La grève comme expérience intérieure

Tribune libre

On parle de violence, de vandalisme et d’intimidation ; on s’acharne à démontrer par dix mille théories que la cause étudiante est minée par ses excès ; on nous représente incessamment le désaveu de l’opinion publique ; on conseille avec paternalisme aux étudiants de se conduire comme des saints ou bien de rentrer en classe.
Mais il est une chose dont on ne parle pas. On ne parle pas de la beauté du mouvement étudiant. De l’exceptionnelle beauté de ce sentiment — qui nous faisait si cruellement défaut ! — d’être unis dans un même combat, dans un même espoir ! De la beauté de cette rage qui nous dévore, de cette rage qui est la tristesse d’une vie pleine d’âme et non de chiffres ! On ne parle pas de ces singulières leçons de grandeur morale que nous donnent tous ceux qui, forts de cette conviction qu’ils ne luttent pas seuls, sont prêts, pour défendre une idée juste, à défier toutes les matraques et toutes les injonctions !
De l’âme, enfin ! Oui, voilà le souffle de nouveau qui emporte le Québec. Enfin ! un peu moins de chiffres et un peu plus d’âme ! Je ne saurais la nommer autrement, cette force qui nous inspire à reprendre la lutte auprès des nôtres après avoir passé la nuit en prison dans les conditions humiliantes qu’on réserve aux truands, — et nous inspire à y retourner encore, s’il le faut ! Je ne saurais la nommer autrement, cette force qui nous soude ensemble par milliers en nous exhortant à rivaliser de courage, à rivaliser d’ardeur, à jeter des barricades, à ensevelir des villes entières sous une unanime clameur ! Je ne saurais la nommer autrement, cette force, cette rage, cette ivresse qui nous transporte, ce vif rapt de notre moi ravi par l’idée, par l’espoir !
Notre lutte est belle, notre lutte est bonne, notre lutte est l’exaltation de la vie contre les chiffres, de l’idée contre la matraque, du nous contre le moi ! Notre lutte nous fait entrevoir des vertiges d’espérance ! Refusez de négocier, et nous exigerons le gel ! Refusez le gel, et nous exigerons la gratuité ! Ignorez-nous, méprisez-nous, humiliez-nous, nous n’en serons que plus en droit de réclamer ! Car c’est avec vos lois, vos matraques, vos amendes, vos menaces, vos injures, votre arrogance et votre mépris qu’on se fabrique de l’espérance !


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4 commentaires

  • Stefan Allinger Répondre

    27 avril 2012


    Bonjour M. Fortier,
    Merci pour votre billet. Les étudiants pacifiques contre la hausse donnent une leçon aux puissances établies en renversant chaque argument semaine après semaine.
    Que ce soit la violence, l'enfant-roi, la juste-part, la responsabilité, la démocratie, le boycott, les injonctions et j'en passe.
    Bravo pour votre humanisme. Les étudiants sont des gagnants au grand dam des opposants.
    Stefan Allinger

  • Stéphane Sauvé Répondre

    26 avril 2012

    Ah, ca fait tant de bien de vous lire!
    Merci du fond du coeur.

  • Serge Jean Répondre

    26 avril 2012

    Une musique sublime accompagne votre très beau texte, je l'entend.
    Vous, étudiants, la fresque vivante magnifique du printemps glorieux. Le paraclet de la grande dignité humaine vous accompagne.
    Jean

  • Archives de Vigile Répondre

    26 avril 2012

    Bravo!! Très vibrant et vrai.