Laicité, chartes et souveraineté

Grand Jeu ou cavalier seul?

Chronique de Louis Lapointe

À l’origine, je croyais qu’il sortirait des rangs fédéralistes quelqu’un d’assez intelligent qui dirait au PQ: si vous y croyez vraiment à votre Charte de la laïcité, utilisez la clause dérogatoire.
Mais voilà, pour que le PQ puisse utiliser cette clause, il lui faudrait d’abord un vote majoritaire de l'Assemblée nationale actuellement difficile à obtenir en raison de l'entêtement du parti libéral et des exigences de la CAQ.
L'opposition préfère se tirer dans le pied plutôt que d'appuyer la Charte de la laïcité.
Une impasse qui permettra vraisemblablement au PQ de faire campagne sur ce sujet.
À moins que...
Ne voyant aucun fédéraliste bouger, Roger Tassé a décidé de jouer le Grand Jeu et de sonner l’appel des troupes en allant encore plus loin que je ne l’aurais cru.
Pas besoin de la clause dérogatoire pour adopter la charte, une approbation de la Cour Suprême serait possible, elle serait même prévisible dans l’ordre actuel des choses.
Selon Roger Tassé, la limitation du port de signes religieux dans les services publics sur les heures de bureau pourrait se justifier dans une société libre et démocratique. Une opinion avec laquelle de nombreux juristes sont d’accord.
Loin d’être xénophobe, la charte de la laïcité est raisonnable et fait avancer le débat sur la laïcité au Canada.
Mieux, elle concorde avec l’idée qu’il se faisait de la Charte canadienne des droits en 1982 et la Cour Suprême pourrait même l’avaliser si le débat est convenablement tenu au Québec.
En somme, Roger Tassé nous dit que Pauline Marois a bien fait ses devoirs et que si les consultations sont bien menées, il ne voit pas pourquoi la Cour Suprême n’approuverait pas cette charte.
Conséquences: les fédéralistes feraient la démonstration aux nationalistes mous que la Charte canadienne des droits n’est pas cette ignominie que dénoncent les indépendantistes depuis 30 ans.
Face à ce scénario catastrophique pour le camp indépendantiste, Pauline Marois peut juste espérer que Roger Tassé fasse cavalier seul, que Philippe Couillard continue à jouer aussi mal ses cartes, qu’il continue son blocus et que François Legault maintienne ses exigences, si minimes soient-elles.
Si le PQ est battu en mars sur un vote de l'Assemblée nationale nous irons en élections, alors que si les libéraux et les caquistes se réveillent et comprennent le message de Roger Tassé, on se dirige possiblement vers une victoire à la Pyrrhus pour le PQ avec comme résultat une Charte de la laïcité conforme à la Charte canadienne des droits qui nous démontrerait que cette dernière peut protéger la spécificité québécoise, alors que nous savons tous que la laïcité des services publics n’est pas une valeur québécoise, mais plutôt de la nature d'une valeur universelle.
Nous perdrions alors tout rapport de force comme René Lévesque en 1982.
Un autre beau risque avec ça?
Qu'est-ce qui empêcherait alors Philippe Couillard ou son successeur de signer la constitution de 1982 et de nous enfermer encore un peu plus dans ce Canada qui nous étouffe?
Voilà pourquoi je dis que ce débat tel qu'il est mené risque de nous éloigner de l’objet de notre combat : la souveraineté du Québec.
Les propos de Roger Tassé sont peut-être de bon augure pour la laïcité et les droits et libertés au Canada, mais ils risquent aussi d’être un piège pour ces indépendantistes qui confondent identité, laïcité et souveraineté.
Il faut le reconnaître, le débat de la laïcité n’est déjà plus un débat québécois, il est devenu un débat canadien comme l'ont été ceux sur l’avortement et le mariage gai depuis la sortie de Roger Tassé qui a permis à ce débat mal engagé par certains esprits chagrins de s’élever d’un cran.
Un revirement qui doit rappeler aux indépendantistes et au gouvernement du Québec la nécessité de tenir un vrai discours sur l’indépendance afin de clarifier une position qui sème la confusion dans nos rangs et chez ceux que nous souhaitons convaincre.
La laïcité ce n'est pas l'indépendance. Elle n'y conduit pas non plus.
Le combat des indépendantistes n'est pas celui d'un Québec laïque dans Canada uni, mais bien celui d'un Québec indépendant exerçant pleinement sa souveraineté, notamment en matière de laïcité.
***
Sur le même sujet :
De la cage à la marmite à homards
«En fait, Roger Tassé défend la légalité de la Charte canadienne des droits et son discours vise simplement à démontrer que même si cette charte n’est pas légitime, elle peut être juste à l’égard du Québec, alors que nous savons tous qu’elle est un affront à notre souveraineté.
Dans cette perspective, si la Cour Suprême donne raison aux tenants de la Charte de la laïcité, cela rendra-t-il la Charte canadienne des droits davantage légitime aux yeux d’une majorité de Québécois ?
De la cage où elle nous enfermait, en raison du discours que tiennent tous ceux qui confondent identité et souveraineté, la Charte canadienne des droits deviendrait une véritable marmite à homards pour tous les Québécois.»

Un pont contre un pipeline
«Satisfaire les nationalistes mous pour espérer gagner des élections provinciales ne nous donnera pas un pays.
Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’urgence à faire l’indépendance, la stratégie de Pauline Marois risque de nous en éloigner encore un peu plus.
Jean Martin Aussant l’avait bien compris lorsqu’il disait de son ancienne chef que jamais elle ne ferait l’indépendance.
Pour lui, le combat de l’indépendance devait se livrer sur le terrain de l’économie, pas sur celui de l’identité.»

Le cadeau de Pierre Trudeau

«Lorsque Pierre Trudeau, avec l’aide de son mercenaire Jean Chrétien, a coulé les accords du Lac Meech en 1990, il nous a préservés du pire geste que le Québec aurait pu commettre à l’époque : renoncer pour toujours à son indépendance en intégrant le giron du Canada et en se soumettant d’emblée à sa nouvelle formule d’amendement qui l’aurait irrémédiablement paralysé.»

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Luc Bertrand Répondre

    7 janvier 2014

    Je suis parfaitement d'accord avec votre lecture, monsieur Lapointe. C'est exactement le sens de mon commentaire à votre dernier article (http://www.vigile.net/De-la-cage-a-la-marmite-a-homards).
    De plus, Pauline Marois ferait le jeu des fédéralistes en invoquant la clause dérogatoire pour en appeler d'un éventuel jugement défavorable de la Cour suprême. Stephen Harper, Justin Trudeau et Thomas Mulcair n'en demanderaient pas mieux! En agissant de la sorte, elle indiquerait implicitement reconnaître le maudit "torchon" de Trudeau de 1982 qu'aucun de ses prédécesseurs n'a pourtant signé!
    Après une telle bourde monumentale, c'en serait fini de la légitimité de l'approche des "gestes de rupture" avec le Canada. Pourquoi rompre avec une légalité constitutionnelle qu'on reconnaîtrait dans les faits?
    La main dans le tordeur! Ni plus ni moins.
    Nous ne pourrions revenir là-dessus que si le peuple reniait le gouvernement (le parti) qui aura été responsable de cette "capitulation tranquille". Le combat pour l'indépendance n'aura d'autre choix que de se faire au moyen d'un autre véhicule politique. Qui saura reprendre le flambeau avec la conviction et la respectabilité nécessaires? Option nationale (ON)? Le Parti indépendantiste (PI)?