Ignatieff aurait dû savoir

La nation québécoise vue du Canada


Un sage québécois de ma connaissance, doté d'une expérience considérable en matière de relations fédérales-pro-vinciales, soutient en plaisantant que le Canada ne connaît des ennuis que lorsque francophones et anglophones discutent de la même chose en même temps. En vertu de cette règle, nous devrions tous être rassérénés de voir que le vingt-cinquième anniversaire de l'accord constitutionnel de Pierre Trudeau avec neuf des provinces a eu peu d'échos au Canada anglais. Pas plus que le quinzième anniversaire (en avril 2002) de la tentative de Brian Mulroney de susciter l'adhésion de l'Assemblée nationale du Québec à la Constitution canadienne en y enchâssant l'accord du lac Meech.
On ne peut en dire autant, hélas, des conjectures de Michael Ignatieff sur la reconnaissance du Québec comme nation. Pour quelqu'un qui, comme moi, a été impliqué dans le processus de négociation, il est difficile de trouver un moment plus inopportun de soulever des questions constitutionnelles. Ses conseillers québécois l'ont sans doute convaincu que cette reconnaissance lui vaudrait le leadership du Parti libéral du Canada dans un premier temps, le bureau du premier ministre, dans un second. Mais d'autres conseillers auraient dû lui rappeler la dynamique particulière enclenchée au Canada par des expressions comme «société distincte».
Si M. Ignatieff avait été au Canada pendant ces années charnières, il aurait observé comment Jean Chrétien a utilisé l'opposition grandissante à l'accord du lac Meech pour déstabiliser le leadership du premier ministre John Turner. Il aurait vu M. Chrétien donner une chaleureuse accolade au premier ministre terre-neuvien Clyde Wells, le jour où il a gagné la chefferie du Parti libéral du Canada, avant de travailler en catimini avec Brian Mulroney pour sauver le lac Meech. M. Ignatieff aurait compris qu'en dépit de la certitude de M. Chrétien que l'échec de Meech ne conduirait pas à une impasse, le Canada a hérité aujourd'hui d'une formule d'amendement impraticable. Comme M. Chrétien l'a découvert avec surprise avec l'entente de Charlottetown, les chefs politiques sont désormais tenus de tenir un référendum s'ils souhaitent modifier la constitution. M. Ignatieff aurait surtout compris que l'échec de Meech signifie qu'il ne pourra y avoir une autre session de négociations constitutionnelles limitée aux demandes du Québec.
Aujourd'hui, les concurrents de M. Ignatieff se réjouissent de sa détresse et ne sont guère pressés de l'aider à se sortir de ce bourbier. À l'extérieur du Québec, M. Ignatieff s'est attiré des ennuis considérables en renforçant son image d'universitaire gaffeur détaché du Canada. Battant depuis en retraite, il s'est aussi aliéné beaucoup de Québécois en déclarant que son soutien pour la reconnaissance du Québec comme nation ne signifie pas nécessairement la venue d'une réforme constitutionnelle, et certainement pas l'acquisition d'un statut ou de pouvoirs particuliers.
La discussion des dernières semaines a également eu un impact négatif sur la candidature de Stéphane Dion, qui n'a pu se concentrer sur l'environnement, son meilleur atout pour faire en sorte que les Québécois oublient ses batailles antérieures. Plus récemment, le seul candidat issu du Québec a fait marche arrière. C'est ainsi qu'il a cessé d'utiliser le terme «nation» pour désigner sa province, en anglais du moins, pour lui préférer le vocable «groupe national».
Même si le débat peut encore dégénérer au congrès du Parti libéral, prévu à la fin du mois, une bonne chose en est déjà ressortie, soit la fin des illusions.
Dans les dernières semaines, plusieurs fédéralistes québécois - dont certains chroniqueurs et éditorialistes d'ordinaire très pondérés - ont semblé assommés par l'abandon de leurs alliés passés, défection qu'ils ont attribuée à un trauma découlant des échecs constitutionnels précédents. Tous ont du mal à comprendre que le reste du pays a effectué un calcul cruel. Libre aux Québécois de tenir un autre référendum, si telle est leur volonté, estiment les Canadiens des autres provinces, mais ce serait de la folie d'enflammer l'opinion publique avec un autre échec avant le jour fatidique.
Voici la réalité telle que je la comprends. Dans un avenir prévisible, la réforme constitutionnelle reste hors d'atteinte. Dans les circonstances, tout ce que peuvent espérer les Québécois, c'est le genre de changements qui ont fait de leur province et du Canada un des meilleurs endroits au monde. Les ententes sur l'immigration et sur la représentation à l'UNESCO (mais pas à Nairobi) qui reconnaissent la spécificité du Québec en sont de bons exemples. Par contre, ceux qui insisteraient sur une relation d'égal à égal avec le «Canada anglais» n'auront d'autre choix que de voter OUI au prochain référendum.
Je ne peux pas vous dire s'il vaut la peine de subir les lourdes conséquences qu'un OUI aurait pour tous les Canadiens. Mais moi qui suis un ami du Québec, je peux en toute franchise dire à ceux qui cherchent une renégociation du «pacte confédéral» qu'au moins deux provinces, l'Alberta et la Colombie-Britannique - avec leur richesses fulgurantes (et je ne parle pas de la mer ni des montagnes!) -, n'accepteront jamais de faire partie d'un «Canada anglais» où l'Ontario représenterait plus de la moitié de la population.
Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail.
nspector@globeandmail.ca


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