Immunité collective et décisions publiques

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Le biopouvoir médical n'est pas moins présent à Québec qu'à Ottawa


Le premier ministre François Legault annonçait le 23 avril dernier le début du déconfinement pour commencer à produire une « immunité naturelle ». Cette immunité naturelle, disait-il, va permettre de contenir une seconde vague à un niveau qui permettra d’éviter l’engorgement des hôpitaux. Deux jours plus tard, l’administratrice en chef de l’Agence de la santé publique du Canada, la Dre Tam, remettait en question l’usage du concept d’immunité collective pour fonder des décisions de politiques publiques, une mise en garde aux premiers ministres provinciaux, François Legault au premier chef, reprise par Justin Trudeau le 27 avril.


Cela soulève une importante question : les autorités provinciales québécoises sont-elles moins en phase avec la science que les autorités fédérales ? Rien n’est moins sûr. Des scientifiques de premier plan sont au cœur des choix politiques visant à protéger la population contre la COVID-19, tant au Québec qu’au fédéral. Cela étant dit, le rôle des scientifiques est d’étayer les décisions, non pas de les dicter. Les connaissances scientifiques ont rarement les qualités requises pour être directement transposées en politiques publiques.


Revenons sur le cas de l’immunité. Lors de sa mise en garde à ce sujet, la Dre Tam citait l’Organisation mondiale de la santé. Ce sont cependant les travaux de l’Imperial College de Londres qui font autorité en la matière, depuis qu’ils ont convaincu le premier ministre britannique de recourir au confinement, qu’il avait initialement rejeté au nom de l’immunité collective. Que disent ces travaux ? Qu’il n’y a pas de certitude scientifique que les anticorps produits par le SRAS-CoV-2 protègent les individus d’un retour de la COVID-19, les soustrayant ainsi du nombre d’individus pouvant transmettre la maladie. Si les anticorps sont peu efficaces, il est aussi peu probable que le seuil de 60 à 70 % d’individus immunisés soit atteint, un seuil nécessaire à la disparition du virus. Déconfiner pour atteindre l’immunité collective est donc risqué, car si les individus ayant guéri de la maladie devaient demeurer des vecteurs de celle-ci, une seconde vague serait susceptible d’engorger les hôpitaux.


Incertitude


Si la plupart des scientifiques sont d’accord pour affirmer qu’il n’existe pas de preuve scientifique que les anticorps produits par le virus protègent contre la COVID-19, il existe néanmoins des connaissances scientifiques indiquant qu’il est probable que ces anticorps aient cette propriété pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans. Les avis sur ce sujet se fondent sur des études produites à la suite de la pandémie du SRAS, un virus qui a beaucoup en commun sur le plan génétique avec le SRAS-CoV-2. Ce sont notamment ces études qui ont amené le chef de la santé publique suédoise à affirmer à la revue Nature que les « signaux montrent qu’il vaut la peine de réfléchir à l’immunité collective, à l’absence de récurrence de la maladie chez les personnes qui ont déjà été infectées ».


Le gouvernement provincial sait que la prudence est de mise à propos de l’immunité collective. C’est sans doute cette prudence qui a amené François Legault à parler d’immunité « naturelle » plutôt que d’immunité collective, ainsi qu’à mettre de côté l’immunité naturelle comme justification du déconfinement quelques jours après l’avoir évoquée. Ce choix politique, cependant, n’invalide pas le rôle de l’immunité.


Les connaissances scientifiques indiquent que le confinement comporte son lot de risques. Il y a bien évidemment les risques liés à la santé mentale, mais aussi ceux associés aux difficultés de contrôler un strict confinement sur une longue période alors qu’il existe peu, ou pas, d’immunité dans la population. Plus le confinement perdure, plus la désobéissance augmentera. Et plus celle-ci augmentera, plus la maladie risque d’être transmise à des personnes vulnérables, faisant déborder les hôpitaux. Un déconfinement qui commence avec les personnes moins vulnérables augmentera la propagation du virus, mais surtout parmi une population susceptible de pouvoir se soigner à la maison. Une fois ces personnes rétablies, il est probable, bien qu’incertain, qu’elles ne soient plus des vecteurs de la maladie, ce qui réduirait les risques si elles devaient accidentellement être en contact avec des personnes vulnérables, la distanciation demeurant une précaution élémentaire.


Bref, la différence d’opinions entre les autorités fédérales et provinciales quant à l’immunité ne s’explique pas par l’ouverture plus ou moins grande aux connaissances scientifiques chez l’un par rapport à l’autre. Les décisions gouvernementales québécoises et fédérales reposent sur les mêmes connaissances scientifiques. Ce qui explique la différence provinciale-fédérale est bien davantage la propension de l’un par rapport à l’autre à prendre différents risques et à tolérer différents niveaux d’incertitude. La science fournit des informations fondamentales à la prise de décisions publiques. Ce n’est cependant pas à elle de dicter les risques qu’il convient de prendre et le niveau de certitude scientifique nécessaire pour aller de l’avant dans le cas d’une mesure de santé publique. Ces responsabilités reviennent aux autorités politiques.




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