L'opinion de Bernard Landry #27

Incohérence européenne

L'opinion de Bernard Landry


"Phoque l'Europe!", pour reprendre une mauvaise blague que les Madelinots doivent être tentés de faire ces jours-ci. L'Union Européenne est une aventure formidable, mais rien n'est parfait. Son Parlement, qui n'en n'est d'ailleurs pas un vrai, a perdu un temps fou à discuter de la chasse aux phoques au Canada et en quelques autres endroits. Ces discussions loufoques ont abouti au bannissement des produits de cette chasse dans les vingt-sept pays membres.
Le Québec a protesté à bon droit, et le Canada a porté plainte à l'O.M.C.. Avec les délais normaux et d'appel, il est probable que la prochaine saison sera affectée, pénalisant ainsi nos pêcheurs, les Inuits et autres autochtones. Ils seront privés, sans aucune raison sérieuse, d'un revenu dont ils ont besoin et cette décision absurde créera d'autres dommages collatéraux peut-être plus sérieux encore.
On est en présence ici d'un parlement qui cède devant des groupes animalistes à la sensibilité humaine compréhensible mais totalement déconnectée du réel et de la logique. Leur égérie est d'ailleurs Brigitte Bardot qui est loin d'être une progressiste si l'on regarde l'ensemble de ses prises de positions. Comment peut-on comprendre une telle attitude sur un continent qui a produit plus que sa part de philosophes de la raison mais qui est aussi celui du triomphe de la gastronomie à base de toutes les sortes de viandes possibles.
Comment les parlementaires européens ont-ils pu quitter les célèbres restaurants strasbourgeois qui entourent leur Parlement et aller voter contre la consommation de viande de phoque après ce qu'ils venaient de manger eux-mêmes. Leurs choucroutes étaient-elles garnies au tofu? Leur foie gras au torchon venait-il d'une plante? Leur boeuf bourguignon et leur magret de canard seraient-ils cultivés au jardin? Les cochons et les veaux sont-ils des végétaux? Franchement la logique est malmenée sur le continent qui a vu naître Descartes, Kant et Spinoza.
En vertu de nos normes vétérinaires extrêmement strictes et respectées, qui excluent d'ailleurs l'abattage des blanchons, les phoques passent de vie à trépas avec la rapidité de l'éclair et sans souffrance aucune. On les dit même moins conscients de leur sort que les cochons supposés plus intelligents que beaucoup d'autres animaux mais qui sont abattus continuellement et depuis toujours en quantité incommensurablement plus grande que les phoques.
Que dit-on à Strasbourg des oies qui, pour subir leur gavage, endurent quotidiennement un tube dans l'oesophage et qui n'en finissent pas moins par mourir comme les phoques qui sont tout de même beaucoup moins éprouvés de leur vivant? Qu'en est-il de ces valeureux taureaux qui ne meurent dans l'arène qu'après une lutte héroïque, devant des milliers de spectateurs, piqués, harcelés enragés au "chiffon rouge" pour finir au fil de l'épée souvent après quelques cruels coups ratés? Si l'Union Européenne bannissait le foie gras, le veau et le boeuf, le canard et le mouton des tables européennes et, dans le même mouvement, interdisait la corrida en Espagne, on ne donnerait pas cher de son avenir! S'attaquer au gagne-pain d'insulaires lointains ou d'autochtones nordiques est beaucoup moins risqué pour un élu européen en regard des élections suivantes.
Ce qui rend cette discrimination encore plus néfaste, c'est que ces phoques, idolâtrés par les animalistes, sont aussi de gros mangeurs d'autres espèces vivantes. L'effondrement de nos stocks de morues est là pour en témoigner, car si nous en sommes partiellement responsables, les phoques font aussi leur part, et de plus en plus. De plus, comme les troupeaux sont en grande croissance depuis 1970, les ravages ne feront que s'amplifier. La décision européenne ne pourra que les aggraver. Donc double choc aux Iles de la Madeleine déjà pénalisées, tout comme la Gaspésie, par cette accélération de l'épuisement de la richesse maritime.
Mais en plus cette fois-ci, pour pousser plus loin l'absurdité, tous ces pêcheurs européens qui traditionnellement viennent pêcher la morue de ce côté-ci de l'Atlantique seront frappés à leur tour. Et pour boucler la boucle, les restaurants de Strasbourg pourraient finir ultimement par manquer de poisson, même si leur spécialité est beaucoup plus carnée qu'aquatique!
La raison et les sentiments sont deux composants essentiels de la nature humaine et ils doivent s'équilibrer mutuellement. Manifestement l'Europe où cette sagesse fut le plus étudiée, n'en a pas fait preuve dans ce dossier visiblement discriminatoire et sans aucun fondement logique. Espérons que l'Organisation mondiale du commerce sera plus rationnelle et rétablira l'équité.
Bernard Landry


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