L'opinion de Bernard Landry #38

Baisser les bras et perdre la face

L'opinion de Bernard Landry

Bernard Landry défend le Québec à Toronto, 15 novembre 2009
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Jean Allaire est un citoyen engagé depuis longtemps au service de notre nation. Il fut perçu comme clairvoyant et honnête par beaucoup de gens. Si son rapport de 1992, adopté massivement en congrès par le Parti libéral du Québec, n'avait pas été saboté par Claude Ryan et abandonné par Robert Bourassa, le Québec serait indépendant ou presque depuis ce jour. D'après ce document, si le Québec n'obtenait pas les vingt-deux pouvoirs réclamés, les libéraux devaient tenir un référendum sur la souveraineté. Dans les deux cas, le Québec aurait accédé au concert des nations et assumé beaucoup mieux son destin.
L'effondrement des libéraux face à un cheminement aussi digne et évident a dégoûté Allaire qui s'est détourné du Parti, qui avait été au centre de son ardent militantisme, pour fonder L'ADQ avec Mario Dumont. Fidèles au fondement du fameux rapport, ils ont appuyé le "oui" en 1995. On sait que ce référendum fut volé sans scrupules par les fédéraux: voir le témoignage de Chuck Guité, l'aveu de Jean Pelletier avant sa mort, et d'autres sources. Autrement le Québec serait indépendant.
Plus tard, l'ADQ, d'une manière incompréhensible, a baissé les bras et courbé l'échine. Son chef, pourtant talentueux et charismatique, a évacué l'indépendance de son "écran radar" et le "V" de la victoire du Québec cessa d'être le sien. Mise à part sa lucidité de 1995, le parcours de Dumont a servi essentiellement à diviser le vote francophone, pour le plus grand bonheur des libéraux mais sans rien apporter de substantiel à notre vie nationale. C'est partir de bien haut pour aller bien bas.
En tout respect pour la personne de Jean Allaire, il est tombé encore plus bas quant à la question nationale dans le document qu'il a publié récemment. Sans minimiser la valeur de sa réflexion sur d'autres sujets pertinents, sa façon d'entrevoir les relations futures entre le Québec et le Canada est humiliante, déshonorante en soi, et par rapport à son parcours antérieur.
Rien de ce que Jean Allaire et Dumont semblaient vouloir sincèrement il y a vingt ans n'est arrivé. Au contraire, le Québec a reculé depuis dans ses rapports avec le Canada. Il a moins de pouvoir et de moyens qu'à l'époque. Ottawa, avec sa politique budgétaire brutale et pour rétablir ses propres finances, nous a "étranglés" d'après Gérard D Lévesque, "vampirisés" d'après Yves Séguin et "pire encore" d'après Bernard Landry!
Les incursions fédérales nombreuses liées au fameux pouvoir de dépenser ont envahi le domaine exclusif de l'éducation qui est le nôtre: bourses du millénaire, chaire du Canada et subventions variées, toutes décidées à Ottawa évidemment. Ottawa nous occulte sur la scène internationale dans tous les domaines y compris la culture et l'éducation. Les fédéraux n'ont cure de la doctrine de Paul Gérin-Lajoie, un grand ministre libéral de l'éducation et fédéraliste en plus. En environnement ce sont eux qui parlent à notre place même s'ils sont parmi les pires élèves du monde alors que nous sommes dans les premiers de la classe. La Cour suprême, comme l'avait si justement dit Maurice Duplessis, penche toujours du même côté à l'instar de la Tour de Pise. Tous ses magistrats nommés exclusivement par Ottawa nous jugent à l'aune de cette constitution imposée unilatéralement par Pierre Trudeau qui a dit qu'elle "allait durer mille ans"!
En même temps, notre poids démographique diminue avec la conséquence démocratique que le nombre de nos députés à Ottawa tend à se réduire relativement. Un gouvernement majoritaire sans appui substantiel au Québec pourrait être élu bientôt. Ce serait la première fois depuis 1917 et pour des raisons bien différentes. Le français n'est plus la seconde langue parlée au Canada hors Québec et la plupart de nos minorités s'y érodent à une vitesse effarante d'une génération à l'autre. Dans ces conditions, comment Jean Allaire peut-il tenter de réaliser une réflexion sérieuse sur notre société en mettant au rencart le coeur de notre problématique: la question nationale non résolue et qui conditionne tout le reste. Comment peut-il songer que sa vision provincialiste avouée et acceptée nous mènera vers un autre avenir que celui des reculs bien connus. Surtout qu'il reconnaît lui-même, honnêteté oblige, "qu'il est à peu près impossible d'amender la constitution canadienne".
C'est pourquoi je demande respectueusement à Jean Allaire pourquoi il a renoncé à son idéal, et s'est livré à cette reddition en rase campagne qui est un vrai déshonneur. Comment pourrions-nous expliquer à nos enfants et petits-enfants que c'est René Lévesque qui avait tort et Pierre Trudeau qui aura eu raison et que leur nation peut rester la simple province d'une autre? Au-delà de toute analyse étriquée: où est la dignité, bon sang! Ta...! comme aurait dit Falardeau.
Bernard Landry


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