Quand les présidents français et brésilien, Sarkozy et Lula, l'un de droite l'autre de gauche, s'entendent pour dire qu'il faut mettre fin à la spéculation excessive, on peut conclure que le débat est clos. Le temps d'agir est venu et la crise actuelle nous fournit une excellente occasion de le faire.
En effet, si nous en sommes à cette désorganisation économique, ce n'est pas tellement à cause de l'économie elle-même qui était plutôt saine jusqu'à récemment. Les États-Unis jouissaient du plein emploi depuis des années. La Chine avait un taux de croissance de dix pour cent par an depuis plus de dix ans, du jamais vu dans l'histoire humaine. Les performances de ce géant et la prospérité américaine donnaient le ton. Tout allait plutôt bien à peu près partout, sauf évidemment, certaines tragédies de pauvreté, comme le sous-développement de l'Afrique.
Nous avons donc connu de relativement belles années. Les travailleurs travaillaient, les gestionnaires de l'industrie et des services réels, géraient, les ingénieurs et les chercheurs contribuaient au développement et à la modernité.
Qui donc nous a trahi et fait plonger si brutalement dans le marasme actuel? Au cours des années qui nous ont menés à la crise, une partie de plus en plus grande de la richesse créée était plus virtuelle que réelle. Il ne s'agissait plus de biens ou de services tangibles que l'on engendrait mais plutôt de gains totalement déconnectés de la réalité. Autrement dit, la finance, de plus en plus obscure et complexe, largement à cause des excès d'une dérèglementation débridée, a fini par détrôner le vrai travail créateur.
Ce genre de système a généré dans les livres comptables, une richesse beaucoup plus considérable que celle que l'on retrouve dans les entrepôts, les usines et les centres de recherche. En d'autres termes, la spéculation dont le fondement est l'appât du gain, a pris le dessus et créé des fortunes qui, on s'en doute bien, ont été réparties de façon totalement inéquitable. Nous avons versé à la fois dans l'irréel et l'injuste et permis à des gens de devenir scandaleusement riches sans rien créer d'utile.
En gros la spéculation ressemble à un jeu où il y a plus de calcul que de hasard, mais qui reste un mélange des deux. Les spéculateurs achètent un bien dont ils espèrent que le prix va monter, pour le revendre ensuite et encaisser le profit. En réalité, entre le début et la fin de l'opération, le bien en question est toujours essentiellement le même. Les industriels et les travailleurs qui l'ont produit, ont été rémunérés depuis longtemps au prix initial. Le spéculateur, lui, fait souvent plus d'argent que ceux qui ont contribué, parfois péniblement, à le créer avant qu'il ne l'achète.
Pour tout ce bénéfice, le spéculateur n'a pas à se salir les mains, au sens propre en tout cas! Il ne quitte même pas son bureau et fait tout par téléphone ou internet. Très souvent il ne fait rien d'illégal non plus, car ce n'est pas un crime d'acheter des terrains, du pétrole, de l'or, des devises et d'attendre que les prix montent pour revendre. Il est tentant par ailleurs, d'essayer de manipuler les prix à la hausse par des rumeurs, des paniques inventées, des pénuries artificielles. Malheureusement cela est monnaie courante dans l'univers spéculatif, c'est le cas de le dire!
De plus les énormes profits générés sont souvent acheminés vers des paradis fiscaux, et il y en a beaucoup aux Bahamas et ailleurs. Certains sont même animés et gérés par des gens d'ici. De cette manière, ces fortunes artificielles ne contribuent même pas, par l'impôt, à nos réseaux de santé, d'éducation et de solidarité sociale. On comprend que ce système odieux et inefficace révolte de plus en plus de gens et que les pouvoirs publics se mettent à la recherche de solutions qui par ailleurs ne pourront être simples. Après Sarkozy et Lula, Obama est lui aussi fébrilement à l'ouvrage. Pour cette raison, il est logique de penser que la crise que nous vivons n'aura pas été inutile et qu'un monde meilleur pourra en surgir.
Ce monde devra ramener à la réalité ceux qui ont fait de l'économie de marché une véritable religion. Pour une petite partie des êtres humains, souvent très dynamiques, l'appât du gain et de la fortune constitue une obsession. Certes ils peuvent améliorer la vie en créant des biens et des services utiles et parfois essentiels, mais l'État doit avoir à l'oeil ceux qui par la spéculation ne font que s'enrichir personnellement de façon égoïste.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #26
Spéculation et fausse richesse
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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