Le chef de l'État britannique est la reine Élisabeth II. C'est l'hérédité qui la désigne même si son pays est une démocratie exemplaire. Le rôle de la reine est symbolique et cérémoniel: c'est le gouvernement qui décide. Cette institution coûte cher, la famille royale est souvent contestée et plusieurs Britanniques commencent à trouver la monarchie dépassée. Des rumeurs persistantes veulent qu'Élisabeth II pourrait être la dernière personne à occuper cette fonction. Mais au moins la reine d'Angleterre règne sur le pays qui est le sien.
Qui est le chef de l'État canadien? La même Élisabeth II qui est représentée ici par la Gouverneure générale désignée arbitrairement par le gouvernement canadien. Cette symbolique est encore plus dépassée ici, dans un pays d'outre-atlantique indépendant depuis longtemps. En tout respect pour la personne qui représente la reine, sa charge est complètement désuète, pour ne pas dire folklorique, et c'est un symbole anti-démocratique que les Canadiens, et à plus forte raison les Québécois, devraient considérer comme humiliant. D'ailleurs plusieurs esprits d'avant-garde au Canada, dont un ancien ministre libéral fédéral, veulent que le Canada rompe avec cette institution.
Quand on songe en particulier que les immigrants, pour avoir la citoyenneté canadienne, doivent prêter serment d'allégeance à Élisabeth II, on flirte tout simplement avec l'absurde. Voilà une bien étrange façon de changer de pays! Ce rituel déplacé n'est pas sans rapport avec le fait qu'il est souvent difficile de convaincre nos frères et soeurs issus de l'immigration de voter pour la liberté de notre nation. Ils ont leur serment en mémoire et ont l'impression de le violer en épousant la cause pourtant très démocratique de notre indépendance.
Pour le Québec, toute cette comédie royaliste est encore plus excentrique et déshonorante. Le lieutenant gouverneur, M. Pierre Duchesne, exerce ses fonctions au sein de l'État national québécois en étant le représentant de la représentante d'une reine exotique! Il est en plus désigné exclusivement par Ottawa pour ajouter l'insulte à l'injure. Il s'agit actuellement d'une personne hautement respectable et je lui ai écrit lors de sa nomination que mon estime pour lui était inversement proportionnelle à celle que j'ai pour sa fonction.
En plus, et c'est à peine croyable à notre époque, les députés que nous élisons ne peuvent pas nous représenter dans notre Assemblée nationale s'ils ne prêtent pas serment d'allégeance à la reine. Nos députés à Ottawa sont aussi soumis à cet absurde rituel. J'ai dû moi-même m'y soumettre à plusieurs reprises, en me marchant sur le coeur comme l'avaient fait René Lévesque et tous les autres pour remplir leur devoir d'élus. Il faut dire que dans mon cas, comme le faisaient bien d'autres, j'ajoutais une phrase au texte officiel pour dire que je le prononçais en souhaitant que le peuple mette fin démocratiquement, et au plus tôt, à ce rituel dépassé.
À l'ouverture, en France, des cérémonies célébrant le quatrième centenaire de notre capitale nationale, c'est la représentante de la reine d'Angleterre qui nous a représentés aussi. On l'a même présentée ensuite comme le successeur de Samuel de Champlain! Il faut le faire! Même si la gouverneure générale a une résidence officielle à Québec, très vaste et somptueuse comparée à celle de notre Premier ministre, et qui donne sur l'un des plus beaux paysages du monde, Samuel de Champlain n'a jamais eu, ni rêvé d'un tel palais.
Les deux grands peuples dont nous sommes voisins géographiquement ou culturellement, les États-Unis d'Amérique et la France, ont tourné le dos à la monarchie depuis longtemps. Les deux ont agi suivant un puissant souffle démocratique et de modernité, inspirés par ces penseurs lucides et visionnaires que l'on appelait "les Lumières". Leurs régimes portent le beau nom de "République", ce qui veut dire littéralement "la chose publique", contrairement à la monarchie centrée sur une personne sur le choix de laquelle le peuple n'a rien à dire.
Je veux bien qu'on s'habitue à tout, mais cette monarchie étrangère et désuète a beaucoup trop duré. Il est temps que le Canada qui n'est pas sans prétention quant à son image, se réveille et se débarrasse de cette symbolique qui n'est pas à son honneur. S'il le fait, ce qui semble encore improbable, et si nous avons encore à ce moment le statut de "province", il nous débarrassera en même temps.
Mais la vraie façon est beaucoup plus digne et plus simple: faire l'indépendance. Un des premiers gestes de notre gouvernement souverain sera de proclamer la République du Québec. Ce sera clair et net, et nous le méritons. Dans ses mots, Pierre Falardeau aurait dit "C... de T... d'H... il est à peu près temps!" Quant à moi, j'ai hâte de m'écrier "Vive la République!"
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #35
Échec à la Reine
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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