Les opérations militaires d'envergure que mène Israël contre un État souverain -- le Liban -- sans risquer de subir un affrontement généralisé avec ses rivaux mettent en évidence les causes structurelles de l'instabilité du Proche-Orient. [...]
Quelle que soit leur logique, les tentatives de règlement du conflit israélo-palestinien, coeur de l'instabilité du Proche-Orient, ont toutes échoué. L'approche étapiste du processus d'Oslo s'est butée principalement à l'obstacle du statut de Jérusalem et de la question des réfugiés. L'implication directe du président Bill Clinton à la fin de son second mandat n'a pas permis de trouver un accord à l'arraché.
La «feuille de route» promue par les États-Unis, l'Union européenne, la Russie et l'ONU demeure lettre morte.
L'implication de la société civile avec «l'accord de Genève» reste sans effet. Même le règlement unilatéral tenté par Israël avec les retraits du Sud-Liban en 2000 et de Gaza à l'été 2005 n'a pas assuré la sécurité de l'État hébreu, qui subit toujours le harcèlement du Hezbollah et du Hamas.
La force d'Israël
Dès lors, un cessez-le-feu immédiat et une intervention de l'ONU ne sauraient être des solutions efficaces, d'autant plus que la présence de Casques bleus dans le sud du Liban depuis le début des années 1980 n'a en rien empêché le déclenchement de la crise actuelle.
Pour reprendre la logique de Raymond Aron, si la paix est aujourd'hui improbable, il faut alors faire émerger les conditions qui rendront la guerre impossible. Pour cela, la communauté internationale doit s'engager à corriger l'inégale répartition des capacités militaires dans la région.
Ce déséquilibre, qui constitue un obstacle structurel majeur à la paix au Proche-Orient, n'est pas récent. Depuis la guerre de 1973, l'État hébreu bénéficie d'une totale supériorité militaire sur ses rivaux et, avec la disparition de l'URSS en 1991, les États arabes ont perdu un allié essentiel.
Or l'hégémonie militaire d'Israël n'est pas un gage de stabilité régionale, ni même de sécurité pour les Israéliens. Au contraire, elle a au moins eu deux conséquences fâcheuses. D'une part, l'absence de riposte crédible n'incite pas Israël à faire preuve de modération dans son usage de la force armée. D'autre part, devant la puissance de Tsahal, les adversaires d'Israël n'ont guère d'autre choix que de recourir à des moyens non conventionnels (le terrorisme) pour promouvoir et défendre leurs intérêts.
Des États viables garants de la sécurité
Que ce soit pour un futur État palestinien, pour le Liban et dans une certaine mesure la Syrie, la communauté internationale doit s'engager, dans la transparence, à les doter de moyens militaires leur permettant d'exercer pleinement leur souveraineté sur leurs territoires, de disposer du monopole de l'usage légitime de la violence et de constituer des interlocuteurs crédibles face à Israël.
Un tel rééquilibrage de la puissance militaire devra nécessairement s'accompagner de trois types de mesures complémentaires :
- premièrement, il faudra intégrer les factions armées dans les forces gouvernementales;
- deuxièmement, la communauté internationale devra continuer à clairement affirmer que le terrorisme est inacceptable et que tout protagoniste l'utilisant s'exposera aux conséquences les plus sévères;
- troisièmement, il faudra inviter Israël à ne pas s'engager dans une course aux armements. Une réaffirmation des garanties de sécurité de la part de ses alliés en cas d'agression pourrait être ici nécessaire.
Rééquilibrer la distribution régionale des capacités militaires n'est pas une forme de promotion d'une guerre totale, mais bien une solution éprouvée pour doter le Proche-Orient des conditions structurelles favorisant une stabilité durable sur laquelle pourra se bâtir une paix véritable.
En effet, de 1945 à 1991, l'équilibre militaire entre l'URSS et les États-Unis a efficacement dissuadé les deux superpuissances de s'affronter directement sur le sol européen. La militarisation extrême de part et d'autre du 38e parallèle a permis d'éviter une seconde guerre de Corée.
Plus récemment et hors du contexte particulier de la guerre froide, l'acquisition concomitante de l'arme nucléaire par l'Inde et le Pakistan a nettement modéré les velléités conflictuelles entre ces deux rivaux.
Le désarmement des belligérants serait la solution idéale pour résoudre le conflit. Or, devant l'impasse et le drame que connaît actuellement le Proche-Orient, instaurer les conditions d'une guerre froide peut certes paraître paradoxal mais constitue une option réaliste.
Julien Tourreille
_ Chercheur à l'Observatoire sur les missions de paix de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal
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