États-unis - L'avenir sombre de la politique étrangère de Bush

2005


Le discours inaugural du président Bush ne comporte rien de nouveau, même si certains observateurs soulignent la grandiloquence et l'audace de son message démocratique. Tous les présidents depuis la Déclaration d'indépendance de 1776 proclament les vertus de l'expansion de la démocratie et de la lutte contre la tyrannie et les dictatures. Le message a été réitéré avec force par des présidents aussi différents que Reagan ou Clinton. Bush s'ajoute à la liste déjà longue.
Les Américains sont convaincus de la justesse de ce message qui correspond à leur culture politique et leur histoire. Les apparences sont toutefois trompeuses. Les réalités de la politique intérieure et extérieure vont sérieusement obérer les ambitions du deuxième mandat Bush. Non seulement les quatre prochaines années vont voir resurgir les enjeux domestiques -- absents depuis le 11 septembre 2001 -- mais les questions internationales vont, au bout du compte, déterminer l'héritage de la présidence Bush.
Un cabinet plus équilibré ?
Les attentes de changement en politique étrangère sont mitigées dans la mesure où l'on ne retrouve aucune véritable nouvelle figure dans le cabinet Bush. En effet, le remaniement ministériel dans l'équipe de politique étrangère a été relativement modeste : Condoleezza Rice prend la place de Colin Powell au département d'État et son fidèle adjoint d'alors, Stephen Hadley, la remplace au Conseil de sécurité nationale.
Au Pentagone et à la vice-présidence, la plus puissante de toute l'histoire américaine, rien ne bouge. Rumsfeld, Cheney et leurs fidèles néo-conservateurs restent en place : ils continueront à exercer une influence considérable.
L'arrivée de Rice au département d'État pourrait cependant contrebalancer cette influence. Compte tenu de sa relation privilégiée avec le président, certains ont interprété sa nomination comme la volonté de ce dernier de renforcer son emprise sur la diplomatie. Or, la confiance du président à l'égard de Condoleezza Rice pourrait, au contraire, l'amener à accepter davantage les décisions de cette dernière : Rice ne sera plus prisonnière du jeu bureaucratique comme elle l'a été à titre de conseillère à la sécurité nationale.
En tant que secrétaire d'État, elle est désormais un acteur promouvant les intérêts et les idées de son organisation. Il faut rappeler que, même si elle dit avoir été «transformée» par les événements du 11 septembre, elle a été formée par l'école réaliste, plus encline au multilatéralisme et à la diplomatie que le néo-conservatisme ou le nationalisme agressif.
Le départ du néo-conservateur John Bolton du département d'État et le choix d'un modéré comme adjoint, Robert Zoellick, sont aussi les signes d'une tendance plus grande à la modération. Aussi est-il envisageable que Rice puisse freiner l'influence des faucons de l'administration, ce qu'elle n'a pas voulu (ou pu) faire au cours du premier mandat.
Les contraintes de la politique intérieure
Plusieurs éléments de politique intérieure vont sans doute également freiner les ambitions des faucons. En effet, contrairement à ce qu'on a pu observer dans les semaines suivant le 11 septembre 2001, la popularité de Bush est désormais assez faible. Moins de 50 % de l'électorat approuve ses politiques. [...]
Ainsi, les élus républicains (gouverneurs, représentants, sénateurs, etc.) exerceront des pressions pour que le président promeuve des politiques populaires en vue des élections de 2006 et de 2008. Les élus républicains craignent en effet d'être victimes par ricochet du déclin de popularité du président (negative coattails).
De surcroît, au Congrès, le sentiment d'urgence et le consensus bipartisan engendrés par le 11 septembre 2001 s'estompent peu à peu. Bush ne peut plus, comme ce fut le cas durant son premier mandat, obtenir des législateurs un appui inconditionnel pour mettre en oeuvre «sa» lutte contre le terrorisme.
Ainsi, d'ici la fin de l'année, les démocrates au Capitole critiqueront massivement le renouvellement du USA Patriot Act. Et contrairement à ce qu'on a vu dans les cas de l'Afghanistan et de l'Irak, des sénateurs comme John Kerry et Harry Reid refuseront assurément de voter pour une résolution autorisant la Maison-Blanche à intervenir militairement en Iran.
En outre, comme l'ont démontré les récentes négociations -- fastidieuses -- entre la Maison-Blanche et la Chambre des représentants concernant l'adoption de la loi appliquant les recommandations de la commission sur le 11 septembre, même les républicains au Congrès ne sont plus prêts à octroyer un blanc-seing au président. Tom Delay, leader républicain à la Chambre, a déjà clairement fait savoir à Bush que ses collègues et lui-même exprimeront leurs désaccords avec la présidence sur des enjeux comme l'immigration, le contrôle des armements ou encore le libre-échange. De toute évidence, ces querelles intestines lieront souvent les mains de Bush. Au gré de l'humeur politique à Washington, il devra ajuster ses positions et tempérer ses ardeurs en politique étrangère afin de conserver l'appui des membres du Congrès sur d'autres projets chers à la Maison-Blanche, comme la privatisation du système de sécurité sociale ou encore la pérennisation des réductions d'impôt. [...]
La politique étrangère
Le principal chantier demeure l'Irak, au sujet duquel Condoleezza Rice a reconnu, certes à demi-mot, que l'administration avait échoué dans la planification de l'après-guerre. Les élections du 30 janvier seront-elles utilisées comme une preuve de la réussite américaine en Irak, alors même que la Maison-Blanche a officiellement annoncé la fin et l'échec des opérations de recherche d'armes de destruction massive ?
L'administration ne prévoit, pour l'heure, aucun calendrier de retrait des troupes. [...] Toutefois, alors que la population américaine exprime des doutes croissants sur la pertinence de l'intervention en Irak, il est très envisageable que les républicains, qui vont rapidement se positionner pour les élections de 2006 et 2008, exercent des pressions pour un retour rapide d'au moins une partie des troupes.
La question des forces armées disponibles constitue, il est vrai, une contrainte importante pour l'administration Bush. Engagées sur de multiples fronts, elles sont utilisées à la limite -- sinon au-delà -- de leurs capacités. Dès lors, même si l'article de Seymour Hersh «The Coming Wars» dans The New Yorker (avançant l'éventualité d'une intervention américaine en Iran) a fait sensation, une invasion de l'Iran reste peu probable à l'heure actuelle.
De toute évidence, George W. Bush doit avant tout améliorer l'image des États-Unis dans le monde, aujourd'hui profondément dégradée. [...] La diplomatie publique, cette fameuse soft power qui semble avoir été tant délaissée, est désormais au coeur des défis du second mandat.
Il demeure cependant que le discours inaugural est un énoncé de principes, non de politiques. C'est dans son discours sur l'État de l'Union, le 2 février prochain, que Bush indiquera peut-être les moyens qu'il entend vraiment mettre en oeuvre.
Frédérick Gagnon
_ Chercheur à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay
_ Chercheur à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal
Julien Tourreille
_ Chercheur à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal


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