N'est-ce pas pénible de vivre ce septième anniversaire dans des circonstances comme celles-là, où les gens ne vous croient plus?
Pour moi, ça fait partie de la politique. J'aimerais mieux ne pas vivre ce que j'ai vécu dans les dernière semaines. Évidemment, c'est désagréable. Mais la vie politique nous offre souvent des passages comme ça qui sont très difficiles, parfois pénibles, faut faire avec. C'est pas toujours juste. Quand on est politicien, on n'est pas toujours traité justement. Il faut accepter ça. En même temps qu'il faut combattre quand on est victime d'une injustice comme je pense le vivre actuellement.
C'est clairement le passage le plus difficile de vos sept années?
Je ne sais pas, on a eu des périodes difficiles entre 2003 et en 2007. 2007, ç'a été très pénible. On a réussi à rebondir. Aujourd'hui, ce sont des circonstances assez exceptionnelles parce que c'est un seul individu qui porte des accusations. C'est moins courant en politique.
Vous êtes très contesté, jusque dans votre légitimité, ces jours-ci, craignez-vous que ça entache votre bilan?
Non. Le bilan se mesure dans le temps de différentes façons. Il y a ce que vous ferez, vous, comme exercice. Ce sera fait à chaud. Et il y aura un bilan plus loin dans le temps. C'est toujours un éclairage différent d'une période à l'autre. Je n'ai pas de crainte ni pour le moyen, ni pour le court, ni le long terme. Dans le court terme, tout le monde reconnaît que nous vivons sur le plan économique une période assez exceptionnelle et le Québec s'en sort très bien. C'est lié aux décisions que le gouvernement a prises et en lien direct avec le mandat qu'on avait demandé aux Québécois en 2008. Alors on a livré la marchandise à ce niveau-là.
Vous avez réduit les impôts en 2007, mais les gens ont l'impression que vous revenez tout rechercher aujourd'hui avec des hausses de tarifs et de taxes.
Sauf que ce n'est pas le cas. Malgré la mise en place des mesures, sur le revenu disponible, les gens ont plus d'argent dans les poches aujourd'hui qu'ils en avaient en 2003. Ils ne le sentent pas, on le sait très bien, la nature humaine étant ce qu'elle est; mais il reste que factuellement, les gens ont plus d'argent dans les poches.
Vous disiez en 2003: «Nous devons [...] répondre aux besoins des citoyens [...] en rejetant la solution facile qui consiste à toujours puiser dans la poche des citoyens.» Il y a beaucoup de gens, notamment ceux qui s'appellent les «cols rouges» qui ont l'impression que vous avez choisi la «solution facile».
Bien, 62 % de l'effort pour le retour à l'équilibre budgétaire va se faire par l'État, par des moyens à l'interne, des économies qui vont être difficiles à faire, mais que nous allons faire avec beaucoup de détermination parce que c'est notre part du contrat.
Les hausses, c'était la dernière alternative pour nous, mais si on a fait ce choix-là, après avoir beaucoup consulté et beaucoup écouté, c'est parce qu'on est arrivé à la conclusion que c'est vraiment la seule façon pour nous de retourner à l'équilibre budgétaire le plus rapidement compte tenu de la démographie, compte tenu de l'importance de protéger nos programmes sociaux aussi. On a voulu éviter les erreurs du passé où des décisions budgétaires ont eu des conséquences graves à long terme sur le développement des programmes au Québec. Ça fait partie du choix. Je suis très à l'aise avec ça.
Selon des observateurs consultés, un dossier paraît emblématique de vos sept ans, c'est le CHUM. Il donne l'impression d'un Québec en panne plus capable de construire un hôpital. N'avez-vous pas de regret dans la façon que ç'a été mené, ce dossier?
Non, je n'ai pas de regret. Ce sont des dossiers extrêmement complexes. Et quand on prend la peine d'aller voir comment ça s'est passé ailleurs avec des projets similaires, on constate le même genre de problèmes, le même genre de débats. Allez voir comment ça s'est passé pour l'hôpital Georges Pompidou à Paris, par exemple. Le timing est bon pour que vous me posiez cette question. On vient d'annoncer la construction du Centre de recherche, qui est directement lié au développement du CHUM, on est dans nos échéanciers dans la prochaine année pour recevoir les appels d'offres techniques et financiers. On devrait être bons pour annoncer au début 2011 le début de la construction du CHUM. On a annoncé le CUSM, alors ça suit son cours.
Le résultat final, c'est que je vais l'annoncer, moi. C'est moi qui vais mettre en branle les travaux comme je l'ai fait pour le CUSM. Je serai le premier ministre qui va lancer les travaux et qui va mener le projet à maturité, ce que mes prédécesseurs n'avaient pas réussi à faire. Quand j'irai couper le ruban, en plus, ce sera un moment fort qui... pourra entrer dans mon bilan de mon deuxième septennat!
Comment voulez-vous qu'on se souvienne de vous? Car on peut dire avec assurance que vous en avez plus de fait au pouvoir que ce qui vous reste à faire.
Ça, ce n'est pas sûr! On ne sait jamais comment la vie politique se passe, mais j'aime beaucoup ce que je fais. Je sais qu'avec la semaine que je viens de vivre, ce n'est pas évident de dire ça. J'ai quand même 25 ans de vie politique dans le corps. J'en ai vu des très durs.
Moi, j'aimerais qu'on puisse dire que j'ai changé le Québec. Chaque premier ministre est différent. Ma contribution, ç'a été de repositionner le Québec, lui donner une plus grande place dans le monde et dans le reste du Canada. Et d'avoir ouvert le Québec à un nouveau développement. À la fois sur le plan économique, en faisant du Québec un leader de cette nouvelle économie qui va être fondée beaucoup sur l'environnement, sur une économie qui va être décarbonnisée, dans le domaine de l'énergie. Une des choses auxquelles je tiens, c'est de développer la société québécoise en l'ouvrant à la mobilité de la main-d'oeuvre. En faisant en sorte que le Québec puisse être un pôle d'attraction pour des cerveaux et des talents. La raison pour laquelle ça me tient à coeur, c'est que la démographie nous amène à poser ces gestes.
Considérez-vous que vous avez réinventé le Québec, comme vous le disiez en 2002?
Je laisserai ça à ceux qui commentent.
C'était votre ambition. C'est vous qui l'aviez formulé comme ça.
Oui, mais la conclusion, l'évaluation, je la laisse à ceux qui observent la politique.
N'était-ce pas une trop grande ambition de parler de «réinventer» le Québec?
Non. Ça dépend comment on le voit. Il y a des choses qui nous amènent à développer le Québec de manière très différente de celle des visions que nous avions autrefois. Je suis pas embarrassé par ça, au contraire. Moi, je pense qu'il y a de la «réinvention» là-dedans. Maintenant, à vous de juger. C'est une autre affaire qu'on va mesurer dans le moyen et le plus long terme.
Avoir «repositionné le Québec» est votre fierté. Si vous aviez à identifier votre plus grand regret, quel serait-il?
Ma campagne de 2007. Ç'a été pénible. Et c'est une campagne dont j'étais directement responsable. Que j'ai mal conduite et ça, c'est dans mes regrets. Je me suis repris par la suite, mais j'en ai tiré des leçons.
Un regret dans la gouverne de l'État?
Il y a des dossiers sur lesquels l'inexpérience nous a fait bouger trop rapidement. Je pense au Suroît par exemple.
Vous ne referiez plus ça aujourd'hui.
Non, pas du tout. Sincèrement, on prenait une décision qu'on croyait vraiment être la meilleure pour le Québec et ses besoins énergétiques. Au moment où la décision se prend pour le Suroît, le scénario qu'on me présente, c'est des pénuries d'énergie pour le Québec. On était très inquiets de ça. Je n'avais pas ça sur mon écran radar avant l'élection. Le temps m'a appris que dans ces situations-là, il faut peut-être prendre un peu plus de temps avant de faire ses choix et il faut faire des efforts encore plus importants pour bien mesurer le constat qu'on nous présente. Car l'année suivante, on était en surplus.
Quand vous gagnez l'élection en 2003, vous déclarez: «Ce n'est pas juste le Québec qui s'est renforcé, c'est le Canada en entier.» Diriez-vous toujours ça aujourd'hui?
À ce moment-là, ce que je pense, c'est une occasion pour le Canada de pouvoir se renforcer parce que le Québec va être à la table, parce que le Québec ne laissera pas sa chaise vide, parce que le Québec va participer activement à la fédération. A suivi la création du Conseil de la fédération, qui est un beau succès.
Plusieurs disent que ça n'a pas donné grand-chose.
Au contraire, ç'a donné l'entente sur la main-d'oeuvre, par exemple. Ça nous a permis de nous attaquer ensemble à la question des barrières au commerce entre nous. On est allé chercher une entente dans la santé qui est un succès retentissant pour tout le monde.
Ça n'a pas effacé nos différences. Ça nous a permis de travailler avec beaucoup plus de cohésion.
Des universitaires prétendent que «la grosse gaffe de Jean Charest, ce sont les baisses d'impôt de 2007: ç'a complètement bousillé son rapport avec Ottawa et finalement, il a été obligé de reprendre presque tout cet argent après en hausses de taxe. Ça n'a pas donné grand-chose et ç'a eu beaucoup d'effets négatifs».
Quand j'entends ça, ça me déçoit. Ces observateurs ont l'air à concéder aux autres les décisions qu'on a à prendre chez nous au Québec. On est, chez nous, maîtres de nos décisions. On n'a pas de comptes à rendre à Ottawa sur ces choses-là. D'autant plus que l'ironie, c'est qu'il y a neuf provinces sur dix dans la même année qui ont réduit leurs impôts. Neuf! Il y en a sept là-dessus qui reçoivent de la péréquation. Et le seul qui a eu tort, c'est Charest? Le seul, le gars qui a eu tort, là, c'est Charest? D'entendre des Québécois chanter dans cette chorale-là, ça me déçoit. Ça me dit qu'ils n'ont pas compris. Ils sont plus occupés à observer ce qui se passe à côté du match que le vrai match et les vrais enjeux. Et ils ont acheté le spin de certaines personnes qui présentent ça comme une mauvaise décision. C'était une bonne décision! C'était une décision québécoise! Ça relevait de nous! Et là-dessus, on n'a pas à demander de permission à quiconque pour les décisions qu'on prend pour le bien du Québec.
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L'entrevue a été réalisée hier matin, à Québec.
Le premier ministre Jean Charest en entrevue exclusive au Devoir
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