Julie Gingras - Bachelière en science politique de l'Université Laval et étudiante en Fine Arts à Concordia
Je ne serai plus étudiante à partir de demain. Je pourrais dire que ça m'enrage, parce que je quitte l'institution du savoir par manque de moyens financiers, mais, pour m'encourager, j'essaie plutôt de voir les bons côtés. Je pourrai enfin utiliser mon iPhone sans honte, mais ça, c'est accessoire.
Par contre, je pourrai transférer toutes mes frustrations sur les étudiants qui siphonneront mes impôts. S'ils ne sont pas contents, je leur répondrai qu'ils sont gâtés, qu'ils ont juste à faire comme moi, à quitter les bancs d'école pour aller jouer dans la vraie vie pendant un an ou deux afin de payer leurs études. Et puis, si en plus c'est à des récipiendaires de prêts et bourses que j'aurai affaire, bien là, je rougirai de jalousie, je les traiterai de BS de luxe parce que moi, je n'y ai plus droit.
Quand on me dira que l'éducation est un bien commun, que c'est utile à la société, je leur répondrai que c'est moi, toute seule, qui paie mes dettes d'études, que je m'en fiche de la société, qu'elle n'a jamais rien fait pour moi. Par paresse intellectuelle ou pour mieux vivre avec mes désillusions, je ne voudrai plus replacer les choses dans un ensemble plus large que ma situation personnelle et immédiate.
C'est en brandissant l'argument de la solidarité sociale qu'ils me traiteront d'égoïste. Mais qu'est-ce que j'en aurai à faire de ce qu'ils pensent de moi, quand bien même qu'ils auraient raison? Et là, parce qu'il me restera un peu de jugeote, j'assumerai mon égocentrisme et mon élitisme. Je leur répondrai qu'ils n'ont qu'à se démarquer pour décrocher les bourses d'excellence, même en travaillant une trentaine d'heures par semaine. Que leurs parents n'avaient qu'à mettre de l'argent de côté pour eux, que ce n'est pas de ma faute à moi si leur famille n'a pas fait les efforts nécessaires pour qu'ils puissent jouir de la vie comme des enfants-rois.
Finalement, tranquillement, je me refermerai sur moi-même, dans mon quotidien effréné, à la recherche de la vie qu'on me propose depuis toujours dans les médias, mais que je n'ai jamais pu me permettre. Je consommerai, je m'endetterai même pour le faire. Je trouverai une satisfaction dans la contemplation de mes biens, mais elle sera insatiable et je ne remettrai pas en question mon propre rythme de vie. Ma colère envers les étudiants grandira, parce que je trouverai injuste de devoir me priver pour payer leurs études. Je leur demanderai alors leur juste part.
Demain, je ne serai plus étudiante, mais j'espère que rien de tout ce qui précède ne m'arrivera. Que je trouverai le courage de ne pas renier mon appartenance à ma collectivité. Que je resterai fidèle aux valeurs d'équité et de justice que j'ai eu la chance de développer à l'université, par l'acquisition de connaissances et d'un mode de pensée rationnelle qui me permettent d'appréhender la société dans son ensemble, au-delà de mes intérêts particuliers.
Demain, je serai travailleuse, contribuable, citoyenne, féministe, militante, et je croirai encore à une société juste.
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Julie Gingras - Bachelière en science politique de l'Université Laval et étudiante en Fine Arts à Concordia
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