ESSAI QUÉBÉCOIS

Jean-Claude Ravet, l’homme révolté

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Contre la bonne conscience des salauds






Dans le monde québécois des idées, Jean-Claude Ravet est un oiseau rare. Intellectuel de gauche de haut vol dont l’univers est habité par les pensées des Camus, Lévinas, Arendt, Benjamin et Patocka, le rédacteur en chef de l’indispensable revue Relations s’inscrit du même souffle dans la tradition d’un catholicisme de combat, inspiré par la théologie de la libération. « La véritable question qui devrait tarauder un croyant, écrit-il, n’est pas tant de savoir s’il y a une vie après la mort, mais s’il y a une vie avant la mort. Et d’engager sa vie pour que cela soit. »


 

Recueil de ses meilleurs textes parus, principalement, dans Relations et dans Le Devoir, depuis une quinzaine d’années, Le désert et l’oasis n’est pas une lecture de divertissement. Rédigés dans une langue de feu pleine de fulgurances, les essais de Jean-Claude Ravet ont la littérarité bouleversante, somptueuse et parfois abstraite des textes prophétiques. « Les oeuvres d’art, écrit l’essayiste en en faisant l’éloge, ne sont pas faites pour être consommées. Elles consument plutôt. » On peut en dire autant de ce livre.




Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir
Avec une langue de feu pleine de fulgurance, Jean-Claude Ravet nous invite à embrasser une éthique de la révolte.

 

Depuis sa jeunesse, Ravet, né en 1954, a joint le geste à la parole. Dans les années 1970, au sein d’une petite fraternité franciscaine, il participe à la réinsertion des détenus à Montréal, avant d’aller vivre dans une communauté de l’Arche, en France. Militant antimilitariste, il vit dans un bidonville du Chili, dans les années 1980, et participe à la lutte contre la torture pratiquée par le régime Pinochet. De retour au Québec en 1990, il se marie, termine une maîtrise en sociologie et devient père de quatre enfants. Son combat pour « la résurrection de la dignité humaine au coeur du monde » se poursuit, depuis 2000, à la revue Relations.


 

Le désert évoqué dans le titre de son ouvrage renvoie à l’idéologie dominante actuelle, obsédée par l’esprit de conquête et de maîtrise, qui impose « un rapport au monde de l’ordre de l’utilitaire et du fonctionnel ». Le monde et les êtres, dans cette logique instrumentale, deviennent « un inventaire de ressources » à exploiter, au nom d’une croissance qui a perdu de vue les fins humaines. Les profondes injustices qui résultent de ce processus sont alors considérées comme des fatalités auxquelles il faudrait s’adapter.


 

Contre le réalisme d’adaptation


 

Ravet ne s’y résout pas et propose, contre ce qu’on nous présente comme l’ordre naturel des choses, d’embrasser une éthique de la révolte. « Cette éthique, explique-t-il, est indignation convertie en courage de remettre en question la fabrication compulsive de marchandises et la reproduction frénétique d’individus contraints à trouver leur raison d’être dans la fonctionnalité consciencieuse, la productivité assidue, si ce n’est dans leur consommation boulimique. »


 

Contre le « réalisme d’adaptation », cette « bonne conscience des salauds », selon la formule de Bernanos, Ravet en appelle à une réhabilitation du politique comme lieu « du combat de la liberté contre l’injustice », espace d’humanisation par « la parole partagée et l’action collective et concertée », de même que par une éducation dont la finalité ne doit pas être « la fabrique de techniciens sans âme », mais le développement d’un « rapport particulier au monde » et aux autres, dans la conscience de leur fragilité constitutive et d’une quête de sens partagée.


 

La force et l’originalité de cet essai, c’est de nous rappeler que vivre ne va pas de soi, qu’il faut sans cesse trouver hors de soi la force de se tenir debout, que l’humanité n’est pas quelque chose de naturel, qu’il faut la conquérir, que c’est une oeuvre politique et poétique.

Extrait de la préface d’Yvon Rivard

L’art, dans cette éthique de la révolte, travaille en synergie avec le politique en brouillant la logique du calcul et du contrôle, en arrachant « les choses et les êtres à la servitude d’être utiles et efficaces », en nous forçant à « être attentifs à notre présence au monde » et à la transcendance, c’est-à-dire au sens qui nous dépasse et gît au coeur de l’existence.


 

La révolte de Ravet s’abreuve aussi à la source de « la mémoire subversive et libératrice » de Jésus, ce « Dieu incarné et crucifié comme un esclave rebelle, séditieux […] solidaire des opprimés ». Pâques, écrit l’essayiste inspiré, « c’est se tenir debout » auprès des opprimés, en clamant que nous voulons être, par la médiation du politique, de l’art et de la spiritualité, les gardiens de nos frères.


 
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