Centres hospitaliers universitaires

L'Agence des PPP a faussé les analyses

CHUM

Robert Dutrisac - Québec — Au regard des deux projets des centres hospitaliers universitaires de Montréal, le gouvernement Charest s'est fié à des analyses faussées par l'Agence des partenariats publics-privés (PPP) pour choisir le mode PPP au lieu du mode conventionnel, a établi le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance. Si les analyses avaient été «réalistes», le mode conventionnel aurait pu l'emporter.
C'est le constat que fait le vérificateur général dans le chapitre 5 du tome II de son rapport qu'il a déposé, hier, à l'Assemblée nationale. Renaud Lachance s'était donné pour tâche de s'assurer que les analyses de la valeur ajoutée, fournies par l'Agence des PPP, permettaient de conclure «avec rigueur» que le mode PPP était avantageux pour la construction du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) et du Centre de santé de l'Université McGill (CUSM), des projets qui totalisent 5,2 milliards. Ce n'est pas le cas.
Les analyses produites par l'Agence des PPP, alors dirigée par Pierre Lefebvre, un adepte des PPP, pour le CHUM et le CUSM, sont basées sur des «hypothèses [qui] ne sont pas appropriées et [qui] accentuent de manière exagérée l'écart en faveur du mode PPP». Le mode traditionnel entraînerait des coûts supérieurs au mode PPP de l'ordre de 24 % pour le CHUM, et de 17 % pour le CUSM, selon les analyses. Or ces chiffres sont invalidés par le vérificateur, qui juge que les analyses «ne permettent pas de soutenir la conclusion» au profit des PPP.
«Certaines modifications aux hypothèses de départ réduisent de façon importante l'écart positif favorable au PPP, et peuvent même l'inverser. Dans ces cas, nous pourrions conclure que le mode traditionnel aurait pu être choisi pour la réalisation du projet», affirme le vérificateur général.
Qui plus est les firmes d'experts-comptables, comme PricewaterhouseCoopers, engagées par Pierre Lefebvre pour préparer les dossiers d'affaires et réaliser les analyses, étaient à la botte de l'Agence des PPP, désignée par le vérificateur sous le vocable «PPP Québec». Encaissant des millions pour leurs services, ces firmes «n'ont pas agi comme des experts indépendants ayant pour objectif de critiquer et de remettre en question les hypothèses posées par PPP Québec, qui les recrutait», écrit Renaud Lachance.
«Somme toute, la recommandation de réaliser les projets en mode PPP et par la suite de passer à l'étape des appels d'offres a eu lieu sans réelle analyse critique experte et indépendante de la qualité des dossiers d'affaires ni approbation officielle par les CHU», note le vérificateur. C'est contraire à la pratique au Royaume-Uni, en Australie ou en France, pays qui se sont tous dotés de mécanismes de révision indépendante des dossiers de PPP.
L'Agence des PPP n'est pas critique par rapport aux hypothèses retenues. «PPP Québec ne peut exercer un rôle de critique indépendant en même temps qu'elle participe de si près à la préparation des analyses de la valeur ajoutée», juge Renaud Lachance.
Aussi, plusieurs des hypothèses retenues par l'agence font pencher la balance en faveur du mode PPP. La plus importante distorsion consiste à gonfler indûment les déficits d'entretien du secteur public, ce qui retranche une valeur de 9,4 milliards à la fin des 30 ans que durent les contrats de PPP. L'État entretiendrait si mal les CHU qu'ils ne vaudraient pratiquement plus rien à terme, soutenait l'agence. Ces déficits d'entretien «ne sont pas réalistes» et comptent pour la moitié de l'écart favorable aux PPP, tranche M. Lachance.
L'Agence des PPP a également utilisé un taux d'actualisation (qui détermine ce que vaudra demain le dollar dépensé aujourd'hui) trop élevé (8 %), alors qu'un taux d'actualisation de 6,5 % est utilisé pour les autres projets de PPP du gouvernement, comme les autoroutes 25 et 30, et la salle de l'Orchestre symphonique de Montréal.
De plus, le vérificateur général signale que les analyses de l'agence ne font pas l'objet de ce qu'on appelle dans le jargon des «analyses de sensibilité», c'est-à-dire établir des scénarios en fonction des variations possibles dans les hypothèses, un élément essentiel à fournir aux décideurs.
Joint hier, l'ancien président de l'Agence des PPP, Pierre Lefebvre, qui n'avait pas lu le rapport de M. Lachance, a cependant minimisé l'importance des analyses qu'a produites l'organisme. «Le directeur exécutif devait porter un jugement indépendant et il le portait en acceptant l'analyse», a-t-il avancé. «Mon seul message, c'est que ça fait partie d'un exercice où une multitude de gens pour qui travaille l'agence ont dû dire: "Oui, ça me paraît raisonnable, oui, ça va de l'avant".»
Selon ce raisonnement, même si les analyses ont été faussées, le fait qu'elles aient été acceptées par tout le monde les rend valables, et personne n'est responsable.


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