Le géant canadien de l'énergie, Hydro-Québec, vient d'annoncer l'ouverture d'une filiale à Lacq (Pyrénées-Atlantiques), en partenariat avec la Région Aquitaine. Objectif : créer sur place toute la chaîne de production des batteries du futur. Des batteries révolutionnaires, capables de stocker dix fois plus d'énergie que les lithium-ion.
C'est un projet ambitieux qui prend forme. Hydro-Québec, premier producteur d'électricité du Canada, contrôlé par l'État du Québec, vient de créer SCE France, une filiale spécialisée dans la recherche et le transfert de technologie en matière d'électrification des transports et de stockage d'énergie. C'est la première étape pour produire ici, à Lacq, près de Pau (Pyrénées-Atlantiques), les «batteries du futur».
Chose rare, la Région Aquitaine est copilote de ce vaste projet. Elle a d'ores et déjà contribué à ce transfert de technologie d'Hydro-Québec en apportant une aide de 5,5 millions d'euros, avec la contribution de fonds européens, pour financer un laboratoire de recherche appliquée et d'industrialisation de ces batteries du futur. Des batteries à base de lithium-fer-phosphate (LFP) et utilisant des nanoparticules, qui ne semblent avoir que des avantages.
5oo km d'autonomie pour une voiture
« Ce sont les batteries les plus sûres au monde. De plus, nous disposons des matériaux en abondance et à faible coût. Et, elles ont une capacité de stockage d'énergie dix fois supérieure aux batteries lithium-ion», met en avant Karim Zaghib, directeur du stockage et de la conversion d'énergie à l'Institut de recherche d'Hydro-Québec (IREQ) et directeur de SCE France.
En effet, les performances sont impressionnantes. Ces batteries peuvent supporter 30.000 cycles de rechargements, contre 1.000 pour des batteries lithium-ion. Et, leur durée de vie est de dix ans, au minimum, alors que celle des batteries lithium-ion ne dépasse pas trois ans. Avec cette technologie, d'ici à cinq ans, une voiture électrique pourrait rouler 500 km en totale autonomie. Et, contrairement à la batterie du constructeur américain de voitures électriques, Tesla, celle-ci fait la taille d'une feuille A4...
Aujourd'hui, Hydro-Québec est la seule entreprise au monde à même de maîtriser l'ensemble de la chaîne de production de ces batteries.
« Le prototype, sur lequel nous travaillons depuis trois ans, fonctionne très bien», assure Karim Zaghib.
Tout l'enjeu est désormais d'industrialiser cette technologie de rupture à un coût compétitif. Un vrai pari, à l'heure où le savoir-faire technologique sur les batteries est concentré en Asie.
Renault, par exemple, achète les batteries de ses voitures électriques à LG. Pour réussir à industrialiser cette technologie de rupture, des chercheurs de l'université de Bordeaux et de Pau, ainsi que le laboratoire d'Arkema à Lacq et d'une université du Japon, vont travailler main dans la main. Le point névralgique, c'est l'industrialisation de la fabrication des cellules des batteries.
« L'objectif est de produire cinq millions de cellules de batteries par mois, ce qui va diviser leur prix par trois ou cinq», explique Denis Lagourgue, en charge de l'industrialisation des batteries à base de lithium-fer-phosphate.
Président de la société Aquitaine Energy Factories, la société commune à Hydro-Québec et au Conseil régional d'Aquitaine, c'est cet ingénieur franco-canadien, spécialiste du stockage de l'énergie qui a rapproché la Région et Hydro-Québec, avec qui il travaille depuis plusieurs années.
« Pour réussir l'industrialisation de la fabrication des cellules, nous sommes en discussions avancées avec un grand industriel japonais, qui pourrait devenir notre partenaire», dévoile Thibaut Richebois, directeur général adjoint du développement économique et de l'emploi à la Région Aquitaine.
Les Français ont gagné, face aux Chinois...
À première vue, le choix de Lacq, à trente kilomètres de Pau, dans le Béarn, pour implanter ce vaste projet, peut surprendre. Mais, Hydro-Québec n'avait pas vraiment envie de s'installer en Asie, malgré des offres particulièrement alléchantes financièrement. La raison est simple : elle redoutait de se faire «piller» sa technologie. Et, à Lacq, il y a un vrai savoir-faire dans la chimie et une culture industrielle, liée à l'exploitation du bassin gazier par Elf, puis Total de 1957 à fin 2013. Un gaz, fortement chargé en hydrogène sulfuré.
Autre atout non négligeable, c'est un site Seveso 2, qui dispose de nombreux terrains disponibles depuis l'arrêt de l'exploitation commerciale du gaz par Total. Quatrevingts hectares de réserve foncière ont déjà été réservés pour produire ces batteries du futur.
Et, « sur place, il y a aussi une présence très forte du chimiste Arkema et de Toray, un grand groupe japonais, spécialiste de la fibre de carbone», souligne Karim Zaghib, qui a fait ses études en France, à l'Institut polytechnique de Grenoble. De plus, Chemparc - un groupement d'intérêt public - apporte son expérience pour accompagner l'installation de cette future usine géante de batteries sur ce territoire.
« Nous avons des modules pré-équipés pour des start-up, qui correspondent parfaitement aux premiers besoins des laboratoires de recherche», indique Patrice Bernos, directeur général de Chemparc.
545 millions d'euros investis à Lacq en 6 ans
Le calendrier des opérations est fixé : préparation de l'usine cette année, premiers bâtiments construits en 2016 et lancement de la production l'année suivante. Au total, 545 millions d'euros devraient être investis à Lacq en six ans pour couvrir l'ensemble de la chaîne de fabrication de ces batteries du futur, de la poudre jusqu'au système de stockage. Une somme importante à réunir, mais chacun semble optimiste.
L'arrivée d'un partenaire industriel japonais de premier plan - à confirmer dans les prochaines semaines - devrait consolider définitivement le projet. À la clé, pas moins de 600 emplois directs. Il faut dire que les domaines d'applications sont nombreux : dans les transports (voitures, trains, bus, avions, marine...), la défense ou encore les appareils connectés. Un marché en plein essor, avec l'émergence des villes intelligentes.
Alain Rousset, le président PS du Conseil régional d'Aquitaine, rêve que sa région devienne « leader à l'échelle internationale dans la fabrication de batteries haute performance».
Il faut dire que son partenaire public, HydroQuébec, a les reins solides. C'est un géant du secteur. La société qui emploie 20243 salariés, a réalisé 8,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2013. C'est l'un des premiers producteurs mondiaux d'hydroélectricité. L'entreprise publique investit chaque année plus de 100 millions de dollars dans la recherche, en particulier dans la recherche sur le stockage d'énergie et le développement de matériaux performants pour les batteries.
« Nous avons pour habitude de nous inscrire dans la durée. Et, c'est tout le sens de ce partenariat public-public», rappelle Karim Zaghib.
« Si nous réussissons, nous aurons franchi une nouvelle étape de la vie du bassin gazier de Lacq, en passant de la reconversion à la production», lance, plein d'espoir, Alain Rousset. « C'est une opportunité qui ne se présentera pas deux fois pour Lacq, voire pour l'Europe», met en exergue Thibaut Richebois.
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