Voix publique

L'arnaque

Commission Castonguay

Comme c'est bizarre. On aura beau faire toutes les démonstrations rigoureuses sur les dangers du privé en santé, l'illusion de son efficacité perdure. C'est à y perdre son latin.
Voyant les effets négatifs des compressions passées sur le système public, sondage après sondage, une majorité de Québécois veulent plus de privé. Disons aussi que les "think tanks" de droite inondent les médias depuis des années avec des études biaisées idéologiquement et qui font miroiter le mirage d'une réduction magique des listes d'attente grâce au privé.
Face à une opinion publique conditionnée à n'y voir que du feu, les gouvernements ont donc laissé le privé gagner du terrain. Nouvelle étape: mardi prochain, le gouvernement Charest rendra public le rapport qu'il a commandé à Claude Castonguay, un ardent défenseur des assurances et des services privés en santé. Poussant jusqu'à l'absurde son préjugé favorable au privé, c'est devant la Chambre de commerce de Montréal que Castonguay ira "expliquer" son rapport le lendemain! Avec les GROS SOUS que le milieu des affaires entend faire avec ce qu'il appelle l'"industrie de la santé", voilà un choix qui a au moins le mérite de la cohérence...
UNE NOTE D'ESPOIR
Mais il y a une note d'espoir. Le rapport Castonguay arrive à un moment où de plus en plus de citoyens, médecins et infirmières s'opposent enfin et très publiquement à ce glissement vers le privé.
Cette semaine, on a même eu droit à une analyse fort différente de celle du Conseil du patronat et de l'Institut économique de Montréal - deux des haut-parleurs les plus stridents de la droite au Québec. Se basant en partie sur des études comparatives, [deux chercheurs de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS)->11758] avancent qu'en santé, le privé est moins efficace que le public, plus coûteux, et nettement plus inéquitable sur le plan de l'accès.
Traduction: les seuls à profiter du privé sont ceux pouvant se le payer directement ou grâce à des assurances privées coûteuses. Pour les autres, pendant que le privé siphonne et l'argent des patients capables de payer et l'argent public en sous-traitance, l'attente ne diminuera pas. Elle s'allongera.
L'an dernier, l'Association britannique des consultants du Service national de la santé, regroupant 650 médecins spécialistes, écrivait à l'Association médicale canadienne pour l'informer du côté moins rose de ce qu'ils vivent dans un système "mixte" privé-public. Avec Philippe Couillard qui encourage les hôpitaux à sous-traiter des chirurgies à des cliniques privées avec de l'argent public, leur lettre prend tout son sens. Elle disait: "La réalité est que cet argent (public) a été essentiellement consacré à la réduction des listes d'attente en chirurgies non urgentes particulièrement sensibles d'un point de vue politique et cela a été fait au moyen d'ententes dispendieuses et insoutenables avec le secteur privé."
La réalité crue est également que le Québec a une pénurie de 800 médecins de famille et 650 spécialistes. Plus il y aura de privé, plus nos médecins et infirmières, déjà insuffisants, y travailleront. On soupçonne d'ailleurs le gouvernement de se préparer à trouver des moyens pour faciliter le passage des médecins d'un système à l'autre. Bref, contrairement à ce qu'affirment faussement les lobbyistes du privé, rien de cela ne "soulagerait" le système public. Bien au contraire.
LE QUEBEC A CONTRE-COURANT
Cela explique pourquoi, dans certains États occidentaux où on a laissé le privé s'installer dans le financement et les services de santé, on cherche à reculer. Constatant les coûts élevés du privé et l'injustice sociale qu'il crée - sa logique étant le profit et non la santé publique -, certains États tentent maintenant de renforcer le public. Même les États-Unis! Du moins, chez les Démocrates.
Ça ne vous frappe pas, vous, qu'en même temps que Hillary Clinton et Barack Obama se creusent les méninges pour proposer des manières d'AUGMENTER la place du public dans le système de santé américain, ici, on fait le chemin inverse!
En décembre, les directeurs de la santé publique du Québec ont dit ceci au comité Castonguay: avec plus de privé, "on atteint un droit social du citoyen pour le transformer graduellement en bien de consommation". "Le peuple a choisi d'être solidaire et de partager, via une assurance collective, les risques reliés à la maladie. Il importe de réaffirmer ce contrat social."
En novembre, Henri Elbaz, directeur général de l'Hôpital général juif de Montréal, rappelait aussi que les bases du système public "sont solides et il faut les préserver". Et d'ajouter: "Quand il y a un retour sur capital à assurer ou quand le patient devient une source de revenus, ça cause des dérapages."
Malgré tout, on nous chante les vertus du privé, clamant que le public ne peut plus répondre aux besoins d'une population vieillissante. Et pourtant, le Québec est la province qui dépense le moins en santé par habitant. Comme un chien qui se mord la queue, moins on dépense aux bons endroits au public, plus on alimente le mirage du privé. Pendant qu'on croit bien faire en donnant de l'argent public au privé, on néglige aussi les soins à domicile et les aidants naturels. Quant aux super-hôpitaux pour Montréal, on les attend toujours...
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