Rappel

Le fantôme du Centaur

Cégep en français


Bill Johnson est l'enfant tourmenté de quatre géniteurs dysfonctionnels. Telle une mutation nucléaire, il est le fruit de son maître à penser Pierre Trudeau, du perpétuel discours de victime des leaders anglo-québécois, du plan B fédéral et de la politique de concessions du gouvernement Bouchard dans le dossier linguistique.
Johnson manie le discours de victimisation des anglos pour en faire un de persécution. Digne héritier de la démonisation de la loi 101, il prie à l'autel du bilinguisme officiel de Trudeau. Patriote Canadian, il défend le plan B, la partition et tutti quanti. Enfin, Johnson est issu de la colère anglo postréférendaire et des concessions faites par le gouvernement Bouchard depuis le discours du Centaur en mars 1996 pour atténuer cette même colère. Ces concessions ont plutôt aiguisé l'appétit de plusieurs leaders anglos. Résultat: le discours du Centaur a accouché de Galganov et l'acceptation de la loi 86 a enfanté des poursuites devant les tribunaux contre l'application de la prédominance du français dans l'affichage. Bill Johnson, c'est le fantôme du Centaur venu nous hanter pour mieux nous faire voir nos propres faiblesses.
Quant à ceux qui, parmi les souverainistes, se réjouissent à tort de l'élection de Johnson, ils déchanteront bientôt puisqu'elle risque fort de braquer les projecteurs sur des leaders anglos qui se prétendront plus modérés mais qui, en fait, défendent des positions assez similaires. Ceux qui prônent la politique du pire applaudissant à l'élection du nouveau messie du West Island risquent plutôt de voir les faux modérés reprendre du poil de la bête devant des médias et une classe politique désespérés de les opposer à Johnson.
Et qui sont ces faux modérés? Ce sont les leaders anglos qu'on nous présente justement comme des modérés mais qui, bien avant Johnson, ont usé des mêmes tactiques. On crie au radicalisme devant la promesse de Johnson d'aller devant les tribunaux et l'ONU pour imposer le libre choix de la langue d'enseignement. Mais on oublie que depuis l'adoption de la loi 101 en 1977, le recours aux tribunaux est la stratégie n° 1 des leaders anglos. C'est ainsi qu'en 1979, ils ont réimposé le bilinguisme officiel dans notre système de justice et dans le processus législatif. En 1984, ils ont étendu l'accès à l'école anglaise en obtenant des juges une interprétation plus large des règles d'accès. En 1993, ils ont obtenu l'affichage bilingue en allant plaider - eh oui! - devant l'ONU. En 1997, ils ont fait tomber le coeur de la Loi référendaire. Etc., etc. Franchement, les tribunaux et l'ONU, c'est du déjà vu et du déjà fait. Johnson ne fait qu'emprunter la même stratégie.
Et qui donc, au fil des ans, a monté toutes ces contestations devant les tribunaux? Ce sont en bonne partie les mêmes anglos qu'on dit aujourd'hui modérés. Qui a ramené le bilinguisme dans les cours et au Parlement du Québec? Peter Blaikie, un supposé modéré. Qui est allé devant l'ONU pour l'affichage bilingue? Julius Grey, un supposé modéré. Qui a fait tomber la Loi référendaire? Le même Grey, accompagné de deux présumés radicaux, Robert Libman et Howard Galganov. Qui, en 1992, a proposé qu'on ouvre les écoles anglaises à certaines catégories d'immigrants? Gretta Chambers, une supposée modérée.
Johnson, un extrémiste? Un radical? Ni plus ni moins que ces présumés modérés qui, eux aussi, oeuvrent à affaiblir la protection du français. Johnson, un président isolé? Pas lorsque les délégués d'Alliance Québec approuvent sa plate-forme et que les sondages continuent à montrer une opposition fortement majoritaire des anglos à la loi 101. Divisée, la communauté anglophone? Pas vraiment dans la grande région de Montréal, où résident plus de 75% des Anglo-Québécois et où on débat des moyens de combattre la loi 101 et non du principe de cette lutte. La seule division réelle est celle qui les oppose aux anglos plus modérés de certaines régions qui, de moins en moins nombreux, n'ont plus que des miettes de pouvoir politique face aux 500 000 anglos de Montréal.
Bref, il n'y a pas de consensus linguistique. Il n'y a que de brefs répits entre les crises. Pourtant, on refuse toujours de voir que s'il existe bien sûr de vrais anglos modérés, il reste que les Anglo-Montréalais et leurs leaders sont en grande majorité opposés au principe même d'une loi 101 le moindrement efficace. Contrairement à ce que disait M. Bouchard ce lundi, Bill Johnson n'est pas un marginal. Son style agressif l'est sûrement, mais pas ses idées. A la lecture de nombreux sondages d'opinion faits auprès des anglos depuis 20 ans, ce sont ceux qui prônent l'acceptation de la francisation du Québec qui sont les vrais marginaux.
Au delà des étiquettes, il reste que le paravent de leur défense des droits individuels cache la nature réelle d'une lutte pour le renforcement collectif de la communauté anglophone et de sa langue dans l'espace public et comme langue d'assimilation. Résultat: plus on «bilinguise», plus on encourage cette lutte et plus on rétrécit l'espace occupé par le français.
Ceux qui paniquent aujourd'hui à la seule pensée d'avoir du Bill Johnson mur à mur ou le voient erronément comme un marginal devraient se calmer et se souvenir des luttes linguistiques des vingt dernières années et du prix à payer pour des concessions qui, trop souvent, ont fragilisé le français sans jamais provoquer un adoucissement des revendications anglophones.
Qu'ils écoutent bien le fantôme du Centaur. Peut-être sentiront-ils passer le vent salvateur d'une certaine lucidité. Et peut-être verront-ils passer le fantôme d'une loi 101 qui, affaiblie par de supposés modérés, n'est plus aujourd'hui que l'ombre d'elle-même...


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