L'effet secondaire

Commission Charbonneau



Ce qui avait le plus embarrassé le gouvernement Charest dans la saga de la vente du mont Orford était moins la colère de la population que la division au sein de la famille libérale.
Le dossier aurait été nettement plus facile à gérer si la contestation n'avait pas été menée par un ancien président du PLQ et député d'Orford, Robert Benoît, et par un membre influent de la commission politique, Jean-Guy Dépôt.
Même si le projet de privatisation a finalement été abandonné, l'affaire a laissé des traces. Trois ans plus tard, M. Benoît déclarait encore au Devoir que, sous la gouverne de M. Charest, le PLQ était devenu «une machine à amasser de l'argent».
Certes, le rapport Duchesneau a ravivé le mouvement en faveur d'une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction, qui s'était essoufflé au cours des derniers mois, mais la grande différence depuis le printemps dernier est qu'il s'est étendu aux rangs libéraux.
Dans le tintamarre causé par les démissions en cascade au PQ, celle du président de l'association libérale de Jonquière, à la mi-août, avait eu moins d'écho, mais il n'avait pas mâché ses mots, dénonçant aussi bien le refus d'ordonner une enquête publique que la façon dont le Plan Nord était mis en oeuvre.
Le départ d'un rédacteur de discours du premier ministre ne traduit pas nécessairement l'état d'esprit des militants, mais quand un influent collecteur de fonds, qui oeuvre au PLQ depuis trente ans, brise l'omerta en déclarant que l'entêtement du gouvernement pourrait nuire au parti, c'est clairement le signal qu'un geste significatif s'impose.
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Après avoir résisté avec autant d'opiniâtreté depuis deux ans, ce n'est pas de gaieté de coeur que M. Charest se résignerait à la tenue d'une enquête, mais cela pourrait bien être un moindre mal.
Aussi bien Pauline Marois que François Legault se sont engagés à en déclencher une s'ils sont appelés à former le gouvernement. Si le premier ministre craint que l'image de son parti soit ternie pour des années, il a tout intérêt à fixer lui-même les paramètres de l'exercice. Même s'il trouvait les conclusions de l'enquête décevantes, un nouveau gouvernement ne pourrait pas en tenir une autre.
Depuis une dizaine de jours, le gouvernement a plus ou moins réussi à faire accepter qu'une partie des audiences se déroule à huis clos et il va certainement tout faire pour limiter les audiences publiques le plus possible, la difficulté étant de ne pas donner l'impression d'un simulacre d'enquête.
La marge de manoeuvre des partis d'opposition est cependant limitée. En les invitant à s'associer à l'opération, le gouvernement les met du même coup en demeure de ne pas jouer indûment les trouble-fête. L'opposition a de bonnes raisons de se méfier, mais le désir légitime de s'assurer que l'enquête ait les moyens d'aller au fond des choses ne doit pas se traduire par une intransigeance telle qu'elle s'apparenterait à du sabotage.
Dans l'état actuel des choses, c'est-à-dire des sondages, M. Charest ne sait probablement pas encore quand il déclenchera des élections, ni même s'il sera toujours là. Si les élections ont lieu au printemps, le déclenchement d'une enquête dont les conclusions ne seront pas connues avant longtemps lui permettrait de faire campagne en paix. Si les élections sont plus tard, une enquête bien balisée pourrait au moins limiter les dégâts que son parti aura à subir.
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Le tort incalculable que des années de corruption ont fait à la société québécoise risque d'être plus long à réparer. Pendant longtemps, les Québécois, qui n'avaient pas l'habitude de briller parmi les meilleurs, se sont enorgueillis du succès mondial des grandes firmes de génie-conseil.
Aujourd'hui, elles sont au centre d'un système de collusion et de financement occulte des partis politiques qui permet à un magazine torontois de dire que le Québec est la province la plus corrompue de la fédération.
Même ce fleuron qu'était Hydro-Québec, symbole par excellence de l'émancipation résultant de la Révolution tranquille, se retrouve au banc des accusés. Ceux qui avaient nationalisé l'électricité ont bradé le gaz et le pétrole enfouis dans le sous-sol québécois pour le plus grand profit d'intérêts privés soutenus activement par un ancien premier ministre, jadis adulé par ceux qui rêvaient d'un pays. Quel gâchis!
Se désolant de la désaffection actuelle pour la souveraineté, Joseph Facal déplorait jeudi le «matérialisme anesthésiant» dans lequel baignent les Québécois, en particulier cette élite de baby-boomers qui a construit le Québec et qui ne se préoccupe plus que de ses fonds de retraite.
Il y a sans doute du vrai dans ce diagnostic, mais un projet comme la souveraineté carbure aussi à la fierté, qui renforce l'audace, et il n'y a vraiment pas de quoi être fier ces temps-ci. C'est même carrément honteux. Il aurait fallu être Machiavel en personne pour imaginer de répandre la corruption afin de mieux combattre le mouvement souverainiste. Disons plutôt qu'il s'agit d'un effet secondaire.


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