L’élection de Poutine en perspective

Géopolitique — Russie



Les échos sérieux qu’on a sur l’élection de Poutine et sur les perspectives qui l’accompagnent sont très intéressants. Ils confirment l’importance de l’événement, dont nous avons déjà dit qu’il était finalement très inattendu par rapport à la vision assez banale qu’on avait de cette consultation, comme une élection sans véritable suspens ni signification ; et cette importance inattendue, comme conséquence de l’agression du bloc BAO contre lui.
Cette agression, faite essentiellement par des moyens de manipulation de groupes informels, et de groupes frontistes russes sous le couvert de leurs étiquetages d’ONG, ou bien de diffamation médiatique, fonde désormais ce que les Russes nomment de l’expression approximative (pour notre traduction interprétée) de “moyens illégaux d’agression douce”… (Fameuse époque, où l’agression peut être “douce”, mais n’en est pas moins, extrêmement agressive, mais plutôt dans le style vicieux et subreptice ; rejeton incontestable du système de la communication, cela.)
Il est manifeste que cette technique d’“agression douce” va devenir la forme d’agression générale de plus en plus systématiquement employée contre les forces anti-bloc BAO, déstructurant et dissolvant les relations politiques et diplomatiques normales entre les pays qui l’emploie (bloc BAO) et les autres, et rendant ces relations de plus en plus chaotiques et conflictuelles.
… Le fait opérationnel intéressant est que, lorsque cette sorte d’“agression” ne réussit pas, elle apparaît aussitôt dérisoire et produit souvent un effet bénéfique important pour celui qui y a résisté. C’est ce qui est survenu, explique Israël Shamir, sur CounterPunch le 10 mars 2012

«The anticipated apocalypse did not come to pass. The presidential election in Russia ran its course, Putin was duly elected, and to the great astonishment of the opposition, multimillion crowds demanding the blood of the tyrant did not materialize. Only some 15,000 protesters gathered in central Moscow and dispersed peacefully within two hours.»

Shamir explique dans la première moitié de son rapport de Moscou comment la “bulle orange” a fait son “flop” monumental, confirmé par le ratage de la manifestation de ce samedi à Moscou, où l’“opposition” attendait 50.000 personnes, où il n’en est venu que 10.000-25.000 (estimations police-organisateurs, et vu la personnalité et les accointances des organisateurs il sera difficile de prendre le 25.000 pour du comptant, et plus avisé de se rapprocher des 10.000). Shamir termine en nous révélant que l’“opposition” pourrait maintenant s’en prendre à l’Église orthodoxe, ce qui ravira sans doute la pensée anticléricale qui reste un des tics chics du parti des salonards de l’International du bloc BAO mais conduira à un “flop” supplémentaire… Question d’habitude, certes, cette “tournante” des objectifs “constructifs” pour justifier la poursuite d’une action dont le but n’est que d’instaurer le “désordre destructeur” ; ce seront donc le ridicule et l’absentéisme qui éteindront cette action.
«The activists are heart-broken, dashed in their expectations. Their cause, that of fair elections, is dead. Demonization of Putin did not work; to the contrary, it pushed many stubborn Russians back into the fold. Now they look for a new cause, and it seems they have chosen confrontation with the church. After the failure, their first action was in support of four punk-rockers who made a nuisance of themselves in a Moscow cathedral. This is not likely to endear them to the broad masses, as the Russians are quite devout to their national church.»

Shamir soulève en passant un point intéressant en s’interrogeant sur la possibilité que Poutine s’attaque sérieusement aux oligarques russes, qui font peser une main de fer sur la vie politique et économique de la Russie, rayon corruption. Il semble qu’il soit nouvellement équipé pour cela :
«However, there is a possibility that he will do what the oligarchs fear, namely deal with offshoring and the dishonest dealing of the super-rich. John Helmer, an oldtimer journalist in Moscow with Asia Times, wrote enthusiastically of Putin’s directive VP-P13-9308 of December 28, 2011 available here; he described it “the oligarch killer”.»

Mais tout cela, même si l’importance est évidente, reste accessoire devant ce qu’on nommerait la paysage général ; ce qui fait qu’aujourd’hui qu’il est élu, Poutine apparaît essentiel, comme on dit “face aux orages qui lèvent”, – certains, qui se sont déjà levés, – ce à quoi se rapporte le dernier paragraphe de Shamir…
«Russia faces fateful years. There is the danger of an Israeli-American war against Iran; and Iran is Russia’s neighbour and a friend. Syria, though in much better shape after the taking of Homs, is still in trouble, and Syria is the Russian foothold in the Middle East. The future of the Euro and the EC is doubtful, while Europe is Russia’s biggest trading partner. The US is in a presidential election year, a time when its politicians vie with each other to be tougher to the world – and to Russia. In a way, it’s a relief that this important country is in Mr Putin’s hands.»

Cette même idée est présente chez Pépé Escobar, mais d’une façon plus offensive dans le chef de Vladimir Poutine. (Sur ATimes.com, le 9 mars 2012.) Escobar expose les projets de Poutine, qui ne sont que des annonces de blocages agressifs et fermes des entreprises di bloc BAO, les affaires syrienne, iranienne, les agressions-Tartuffe derrière la logorrhée humanitariste, le blocage du programme antimissile en Europe. Arrêtons-nous à deux champs où Poutine sera particulièrement actif, sans nous étonner outre-mesure…`
• Le groupe BRICS, qui doit prendre de l’expansion, du poids, des initiatives… L’OCS l’Organisation de Coopération de Shanghai, où la Russie voudrait voir le Pakistan entrer (tandis que la Chine voudrait y voir l’Iran, pour préserver ses voies d’alimentation en pétrole). Comme on le comprend, il s’agit bien de créer un tissu organisationnel de contestation et de contre-attaque du Bloc BAO.
• Le projet d’intégration Eurasie, que Poutine oppose aux tentatives d’intégration de l’Ouest, en le proposant comme un projet de pont entre l’Asie et l’Europe, – poussant pour que cette dernière se débarrasse sur son Ouest de la pesanteur atlantiste. Le projet Eurasie prend ses sources dans le néo-eurasianisme d’Alexander Douguine ; on en attendra reparler.
«Make no mistake. Behind the relentless demonization of Putin and the myriad attempts to delegitimize Russia's presidential elections, lie some very angry and powerful sections of Washington and Anglo-American elites. They know Putin will be an ultra tough negotiator on all fronts. They know Moscow will apply increasingly closer coordination with China; on thwarting permanent NATO bases in Afghanistan; on facilitating Pakistan's strategic autonomy; on opposing missile defense; on ensuring Iran is not attacked.
»He will be the devil of choice because there could not be a more formidable opponent in the world stage to Washington's plans…»

Ces commentaires mettent en évidence le poids international pris par l’ex-nouveau, ou le nouveau ex-président russe, ce qui fait de son élection la première surprise majeure de l’année 2012 ; non qu’elle ait eu lieu mais qu’elle soit ce qu’elle est… et qu’elle soit ce qu’elle est parce que le bloc BAO, avec ses manigances diverses, ses erreurs si considérables dans le fait même de ces manigances, dans ce que ces manigances manifestent de méconnaissance (qui n’a rien à voir avec l’inconnaissance) du peuple russe, parce que le bloc BAO a fait ce qu’il a fait, sans rien comprendre à lui-même, sans appréhender les réflexes qu’il allait déclencher chez les Russes.
Nous écrivions le 6 mars 2012:
«L’exercice du bloc BAO a été une opération étrange de renforcement de la position de Poutine dans ses nouvelles orientations, une façon de l’adouber dans ses nouvelles fonctions : pour être ainsi haï d’une telle cabale et d’un tel Système, l’homme ne peut être absolument mauvais, penseront même certains de ses opposants. D’une certaine façon extrêmement paradoxale et en agissant par simple effet de réaction antagoniste, l’évènement a accentué la légitimité de Poutine, et la légitimité de la nouvelle politique qu’il sera conduit à appliquer. Elle a eu, après tout, l’effet bénéfique d’éclaircir la situation jusqu’à montrer sa profonde vérité. Le caprice du parti des salonards et du système de la communication restera comme une opération au bénéfice de la cohésion de la Russie, confirmant une fois de plus, sempiternellement, la dynamique transformatrice et dysfonctionnelle de la surpuissance accouchant de l’autodestruction…»

• … Et le 7 mars 2012 : …
«Car cette élection, en trois jours, grâce à l’activisme absolument forcené et affolant du bloc BAO pour la discréditer, et aboutissant à un fiasco de ce point de vue, a enfanté l’effet exactement inverse ; alors qu’elle n’était au départ qu’une formalité assez banale et avec effectivement un certain volume d’apprêt et de mise en scène qui en amoindrissait l’effet, l’élection de Poutine brusquement dramatisée par le bloc BAO, et d’une dramatisation aboutissant à un fiasco du point de vue du bloc, s’impose en sens inverse, comme un triomphe de Poutine et de sa conception de la Russie. […] [E]n quelque sorte, [l’]illégitimité [des dirigeants du bloc BAO…] tentant de se projeter sur l’élection de Poutine pour les exonérer de leur propre handicap s’étant heurtée au succès de l’élection, a légitimé paradoxalement et par effet inverse Poutine, et accentué leur propre illégitimité. Là-dessus, passant nécessairement d’un plan intérieur au plan extérieur parce que les évènements y pressent, cette paradoxale légitimation de Poutine se projette sur son rôle extérieur…»

Ce qui apparaît de plus en plus dans cette élection du 4 mars en Russie, dont l’exceptionnalité se révèle à mesure, c’est combien elle correspond d’une part aux nécessités des évènements, d’autre part à l’attente d’un peuple à la forte affirmation collective en regard de ce que ce peuple pressent de ces évènements. La phrase la plus juste à cet égard, et valant bien au-delà des évènements qu’il énumère avant d’y venir, c’est celle qu’écrit Shamir, qu’il faut lire en ayant à l’esprit d’introduire l’idée de “dans un moment pareil” : «…it’s a relief that this important country is in Mr Putin’s hands.»
C’est dans ce sens aussi qu’il y a légitimation de Poutine, non parce que c’est un héros ou un génie politique (ce débat est autre et il est de toutes les façons secondaire) mais parce que c’est un dirigeant opportun dans les circonstances, le “scélérat” qui importe (“scélérat”, mot à considérer dans ce cas comme le terme maistrien générique désignant un acteur politique qui s’inscrit dans une continuité favorable aux évènements allant, directement ou indirectement, dans le sens du grand courant déstructurant et dissolvant du Système). L’utilité du Système en mode autodestruction, relayé par le bloc BAO qui est d’une prodigieuse efficacité grâce à sa servilité pour le Système et le non moins prodigieux aveuglement qui l’anime, est de provoquer de ces actes dits d’“agression douce” (les révolutions “de couleur” et autres actions au travers d’organisations regroupées sous le terme générique d’ONG), considérables artifices, montages grotesques couverts d’argent et corrupteur des acteurs et des manipulateurs eux-mêmes. Il y a donc, de la part de ces structures, provocation, alarme, annonce d’un danger terrible qui provoquent en retour la mobilisation nécessaire (l’élection de Poutine), avant que le mouvement de contestation ne se découvre lui-même comme une baudruche inconsistante ; mais l’effet produit, lui, persiste, et l’on peut même dire qu’il se renforce à la lumière de l’effacement de sa cause initiale. Ainsi l’élection prévue de Poutine, archi-prévisible et archi-prévue, est-elle devenue l’événement le plus inattendu et le plus formidable de ce début de l’année 2012.
Mis en ligne le 12 mars 2012 à 04H39


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