L'étapisme: de principe actif à principe délétère

La Province de Québec deviendra-t-elle une coquille vide de son peuple ?

Tribune libre

La conséquence la plus insidieuse de l’étapisme, c’est d’avoir laissé croire si longtemps que l’indépendance, ou la souveraineté, ou n’importe quoi y ressemblant, pourrait advenir comme par enchantement. Sans bataille politique. Sans combat. Comme quelque chose d’inéluctable. Qu’il suffirait simplement à un parti, le P.Q., de marcher, de chanter et d’accompagner le peuple québécois, et qu’un beau jour, mine de rien, le tour serait joué : « C’est à ton tour, mon cher Québec… ».
Ça n’a jamais été le tour des indépendantistes. L’étapisme a plutôt joué un mauvais tour. Il le joue encore.
Puisqu’à ce jour l’indépendance n’est pas advenue, ni la souveraineté, ni la souveraineté-association, ni la culturelle, ni rien d’ailleurs n’est jamais arrivé—après tout, que seulement deux référendums perdus, n’est-ce-pas, mes-amis-du-y-a-rien-là!-- la pensée magique rode et se tourne vers plusieurs solutions. Certaines sont bonnes, d’autres moins. Mais la pire des avenues est celle qui consiste à considérer que si l’indépendance n’est pas arrivée encore, malgré tout le temps passé, qui à militer, qui à voter, à sympathiser et à espérer, c’est simplement parce que nous n’aurions pas mis assez de temps encore, et qu’une bonne marche, nonchalante, une bonne mâchée de gomme, des chants et de l’accompagnement en masse du peuple-souverain-québécois, que cette démarche-là doive se poursuivre. Cette avenue-là est un cul de sac. Nous y sommes.
Comment ne pas remarquer alors, en 2009, le lien entre l’étapisme et la propension des souverainiste de vouloir remplacer si fréquemment leurs chefs ? Le premier, magicien, appelle la pensée magique des seconds. Mais la raison première et fondamentale vient de ce que le P.Q ne veut pas se battre à visière levée. Dans ces conditions, les seuls chefs autorisés sont ceux qui se contentent de proposer des variantes à une gouvernance provinciale, dure ou soft, mais fondamentalement provinciale. Cela piège les chefs, les nouveaux aussi, les futurs aussi, parce que le parti québécois est piégé lui-même depuis longtemps par l’étapisme, qui induit une analyse erronée des forces en présence, seulement apte à susciter des espoirs insensés. La succession des chefs témoigne de cela. L’électorat le ressent.
Le remplacement continu, en boucle presque, le « retour » de Pauline Marois, les «aller- retour » espérés par certains de B.Landry, celui même de J.Parizeau, évoqué parfois, la « venue » et le « saut » de certains en provenance d’Ottawa, ces remplacements, ou l’attente même de remplacement des chefs péquistes, est un frein puissant à l’avancement du mouvement souverainiste lui-même. (Ce qui est bien différent, nuance, que de l’avancement épisodique du parti lui-même).Tel était d’ailleurs le piège de l’étapisme au départ, s’il n’était pas victorieux. Et il ne le fut pas victorieux. C’est donc dans cette mauvaise spirale de remplacements conséquents, depuis, que le mouvement souverainiste s’inflige lui-même gratuitement, que les rouges trouvent leur chance. Tous les parlementaires et les « parlementables » du Québec y trouvent leurs comptes, et jusqu’à certains, venus déjà ou en provenance éventuelle d’Ottawa. Mais les plus « parlamentables » et les plus culs-bénis à notre encontre sont assurément les libéraux, ainsi qu’ils se sont révélés au Moulin à Paroles.
Les libéraux ne sont pas forts de la désunion des indépendantistes, ils sont forts de leur atermoiement.
L’atermoiement péquiste a précédé de loin la désunion actuelle, l’a suscité en quelque sorte. Que pourrait faire maintenant, bientôt, une Assemblée Nationale remplie à raz bord de députés péquistes, en union, en communion même, avec quelques improbables députés de Q.S, tous étapistes, ayant tous promis la main sur le cœur que rien n’adviendrait au cas de leurs élections ? Eh bien, il n’adviendrait rien. Tout simplement. À cet égard, c’est Mme Ferretti qui a raison : on exerce le pouvoir de la manière qu’on l’a pris.
Tous les mandats sollicités puis reçus par le P.Q., toutes ses gouvernances passées en témoignent : il n’est rien advenu en direction de l’indépendance, aucun gouvernement péquiste n’ayant jamais planté son propre drapeau (de guerre) de gouvernement. Celui de la province a suffi.
Et ainsi, chaque remplacement de chef a vu arriver de nouveaux « espérant », mais vu aussi en partir d’autres, ceux-là rejoignant discrètement le rang des désespérants.
Le P.Q. peut se battre pourtant. Il en est capable. Il n’est pas fort, mais il n’est pas mort. En tous les cas, le peuple québécois, lui, n’est pas mort ! Et c’est pour lui, le peuple québécois, garant de tout finalement—ce peuple à propos duquel Jacques Parizeau souhaitait récemment que le P.Q.s’y trouve comme un « poisson dans l’eau »—c’est pour lui et en son nom qu’un combat doit être fait. Mais un combat ! Mais une bataille !
Mais un peuple ! Mais le bon peuple…
Il ne sert à rien, donc, au P.Q. de faire le mort. Les électeurs s’en méfieront encore plus. Ils pourraient même finir à la longue par croire qu’il est mort pour vrai. Et comptez alors sur l’opportunisme des fossoyeurs, ceux de gauche et de droite, main dans la main, oui, la gauche et la droite, main dans la main, pour organiser elles-mêmes ensemble les funérailles ! Celles de l’indépendance !
Cela surprend ? Vous n’y croyez pas ? Pourtant…voyez ! Voyez en 2009 cependant ! Laissez une fois votre rétroviseur! Prenez en compte que les droites et les gauches se méfient partout des peuples : une pour le mépriser, l’autre pour le réformer. Remarquez donc aussi l’état et ses ministères, qui abandonnent littéralement le peuple au multiculturalisme le plus létal (pour le peuple, pas pour les individus). Ajoutez le jeu adroit des partis, qui bloquent maintenant à leur seul avantage tout renouveau politique. Le peuple est décontenancé. Pas désespéré. Mais sans repère.
Une vieille génération abandonne une nouvelle génération, une nouvelle renie la vielle. Un peuple est désuni, sans défense.
Hé! Wake up ! C’est de Nous ici dont il s’agit.

Vive l’indépendance.


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3 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    26 septembre 2009

    Je viens d’apprendre le décès du grand Falardeau. Ça m’attriste. Je crois qu’il va manquer beaucoup. Beaucoup.
    Il serait hautement contre-productif, M. Bousquet, de parler d’indépendance 24 heures par jour, 365 jours par année. Faisant cela, le P.Q. se suiciderait. Le P.I., non plus que Q.S., ne font pas cela. La joute politique—bien jouer la game—ne commande pas cela. Et ce n’est surtout pas mon propos.
    Mais faire l’indépendance, comment la faire ?
    M. Bouchard, vous exposez bien le dilemme des indépendantistes. Je ne contredirais rien de votre texte. Je le signerais facilement.
    Il y a un point intéressant que vous mentionnez : celui des 20 péquistes pris dans une bulle.
    Je crois que cela ne prendrait pas beaucoup plus de monde que ces vingt-là pour faire l’indépendance. Mais vingt autres ! Ou mieux encore : quarante autres !
    Autrement dit, malgré l’absolue nécessité d’une base militante indépendantiste, il n’est pas nécessaire de réformer tout un peuple à l’indépendantisme—les quarante dernières années devraient être concluantes—mais cela exigerait qu’une quarantaine de personnes décidés, dédiés, en mission, sachent qui elles sont, ce qu’elles veulent. Le militantisme changerait d’allure. Il sortirait du langage correct et inoffensif. Le militantisme pourrait enfin nommer les choses, et devenir contagieux.
    Cela ne prendrait pas une dose de nerf(ou de yogourt) comme on pourrait aller en acheter au magasin. Ce serait plutôt ce que le grand Falardeau n’a jamais cessé de nous dire :
    Du nerf câlice !
    L’indépendance est à portée de main. À portée de nerf ! De cœur!

  • Archives de Vigile Répondre

    25 septembre 2009

    Bonjour M. Haché
    Je partage votre sentiment, vous visez juste. « Aucun gouvernement péquiste n’ayant jamais planté son propre drapeau (de guerre) de gouvernement. Celui de la province a suffi. » Exactement. Une mention honorable pour M. Parizeau, tout de même, qui était sérieux. Aujourd'hui et quant à moi, depuis plusieurs années, le PQ est malhonnête, il fait de la fausse représentation. Je crois que l’étapisme est une valeur sûre pour la pérennité du parti. Les gens qui contrôlent vraiment ce parti (ils doivent être moins de 20), ceux qui décident en dernier ressort de tous les actes du PQ depuis plusieurs années, ces gens-là sont dans leur bulle et rien ne les fera en sortir.
    Je suis bien d’accord que souvent, l’émancipation de certains peuples a pris plus d'un siècle, mais souvent aussi il s'est agi de confrontations armées, de répressions sanglantes et de soulèvements de la population, ce dont il n'est pas question au Québec. Il ne faut pas accéder à l'indépendance en tuant des gens, pour moi c'est clair. Mais il faut être lucide et comprendre ce que signifie ce choix, le choix de refuser les combats armés. D'abord faire autrement, à moins d'être attaqué et de devoir se défendre, n'est pas humainement acceptable, on ne tue pas les gens. Il faut comprendre que cela est très positif pour notre position internationale, mais très négatif quant à notre capacité d'influence intérieure, je dirais : puisque nous ne sommes pas dangereux, on se permet de nous taper dessus à tout bout de champ, de nous réduire, de nous amenuiser sciemment. Je ne prône pas la violence, je veux que nous comprenions ce qu'implique notre choix et notre comportement. Le PQ ne comprend pas ce que ça implique, il croit se battre à armes égales.
    Je sais qu’un accident de parcours, un événement incontrôlé (par ceux qui dictent l’agenda) peut accélérer les choses, mais on s’en va vers le demi-siècle et on n’est pas plus avancé que dans les années 80. Vous avez raison. Et vous avez raison aussi de nous prévenir que la mort du PQ serait la mort de la Cause pour un bon bout de temps, tout un chacun s’empressant d’interpréter la disparition du PQ comme étant le signe de l’acceptation générale de la britannicité de notre identité, de notre appartenance à la société canadienne, aussi floue soit-elle. La réalité : notre subordination définitive. La mort du PQ consacrerait pour plusieurs années notre statut de citoyen de seconde classe au Canada, comme les amérindiens.
    La majorité des voteurs qui appuient le PQ, c’est-à-dire beaucoup plus de gens que les militants comme nous, ne demandent rien au parti, ils votent pour lui et continuent malgré tout à voter pour lui. Ce sont ces gens-là que le PQ entretient comme on entretient son jardin, il sait lire les sondages, et il n’a pas le courage d’infléchir les choses, il se sent trop petit, incapable. « On exerce le pouvoir de la manière qu’on l’a pris », c’est bien vrai. Le PQ est d’abord et avant tout préoccupé par sa propre survie, son comportement est le même que toute organisation soucieuse de durer dans le temps. Or l’émancipation de la nation requiert le courage de se battre, d’assumer les risques. On ne peut pas affronter sérieusement l’ennemi (mais ça, on ne veut même pas reconnaître que nos adversaires sont en réalité des ennemis car ils tuent le Québec à petit feu), on ne peut pas l’affronter véritablement tant qu’on reste retranchés dans nos positions et que les ennemis avancent. C’est suicidaire, nous sommes entourés. On se demande pourquoi ces gens persistent à vouloir représenter les souverainistes.
    Certains demandent la venue de Gilles Duceppe. Moi je l’aime bien, je crois qu'il ferait beaucoup mieux que Mme Marois, mieux aussi que Bernard Landry, mais quand même, je crois que tout continuerait comme présentement avec lui à la tête du parti. Toujours en respectant les règles du jeu, c’est-à-dire en évitant toujours d’aller à contre-courant des dicktats de la Cour Suprême, des frondes d'Ottawa et de l’opinion publique, celle-là fabriquée par les faiseurs d’opinion majoritairement fédéralistes. Je ne crois pas que Gilles Duceppe travaillerait autrement que pour susciter l’émergence d’éventuelles conditions gagnantes pour un référendum traditionnel.
    Après bientôt 40 ans, il est temps de faire autre chose, d’agir concrètement, de construire envers et contre tous. Il faut un leader qui fixera l’agenda, qui sera plus fort que les faiseurs d’opinion. Quelqu’un qui a les idées claires, comme M. Parizeau, qui a son courage, son énergie et sa détermination. Il y a de tels gens au Québec, mais il n’y a pas de place pour eux dans l’organisation péquiste.
    Nous n’avons pas besoin de l’union autour du PQ, chercher l’union des forces souverainistes est vain s’il s’agit de s’aligner à ce parti. L’union viendra quand un leadership fort et éclairé se manifestera. C’est toujours comme ça que ça se passe. Ça peut venir autrement que par les partis politiques mais nous sommes trop confortables au Québec, on n’est plus en 68.
    P.S. : M. Bousquet semble ne voir toujours que la superficie des choses. « Est-ce parce que le PQ ne parle pas assez de souveraineté ? ». Il ne s’agit pas de parler ou non de la souveraineté, qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Mettre le mot « pays », « souveraineté » ou « indépendance » quelques fois dans nos discours, ce n’est pas utile. Quand je dis qu’il y a des arbres dans la forêt, est-ce que je fais de la foresterie ? Le PQ ne parle pas comme le ferait quelqu’un qui en est convaincu. C’est ça le problème M. Bousquet. L’opinion publique n’est pas d’accord avec ça parce que les faiseurs d’opinion nous ont inculqué que les séparatistes ne parle que de cela, mais la réalité est tout autre. Cette rangaine des fédéralistes nous est rentrée dans la tête depuis des années, même les commentateurs souverainistes se font prendre ; pourtant, jamais jamais il n’est question d’agir avec détermination dans le sens de notre émancipation.

  • Gilles Bousquet Répondre

    24 septembre 2009

    M. Marcel Haché,
    L’étapisme n’est pas le coupable. S’il n’y avait pas eu d’étapisme au PQ, ce parti n’aurait jamais pris le pouvoir. C’est en sachant ça que deux hommes intelligents, Messieurs Lévesque et Parizeau, ont choisi, chacun leur tour, cette solution à la place de subir l’opposition après 1976.
    Le problème est plus simple que ça, c'est le manque de frustration canadienne d’environ 50 % de Québécois qui préfèrent encore voter NON à la souveraineté du Québec. Est-ce parce que le PQ ne parle pas assez de souveraineté ? Le PI a été fondé, prenant cette excuse là, pour centrer son message sur l’indépendance pure du Québec. Résultat : Moins de 0,50 de 1 % des votes partout où il a présenté un candidat.
    Vous avez raison d’écrire : «L’atermoiement péquiste a précédé de loin la désunion actuelle »
    C’est bien le cas mais, est-ce que vous pensez que le PQ devrait promettre un référendum rapide quand il n’y a pas un nombre suffisant de souverainistes au Québec ? Ça prendrait un OUI solide pour ne pas risquer que le fédéral en ignore le résultat comme l’a écrit M. Chrétien dans ses récentes mémoires et comme le feraient probablement Messieurs Harper et Ignatieff ou tout autre chef fédéral, pas intéressé à se faire couper son Canada en deux.