"L'Identité nationale, une énigme", de Marcel Detienne

Livres - revues - 2010

Feu sur Ernest Lavisse, Fernand Braudel, René Rémond et Pierre Nora ! Tous coupables d'avoir, du haut de leur chaire d'historien, fabriqué une identité nationale aussi artificielle qu'orgueilleuse. Non, la France n'est pas le pays incomparable et exemplaire dont ces "historieux" entretiennent le mythe depuis les débuts de la IIIe République.
La France a sa personnalité, bien entendu, mais quel pays n'en a pas ? Parler d'elle comme d'une "terre d'excellence", singulière, rare, c'est se comporter en nationaliste étroit. En idéologue.
Helléniste réputé, anthropologue comparatiste, Marcel Detienne, né en Belgique en 1935, est à la bonne distance pour s'attaquer aux gloires de l'historiographie française. Pour leur reprocher d'avoir, par contagion, ouvert la voie au détestable débat sur l'identité nationale, voulu par le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy. Il met dans le même sac qu'eux l'Eglise et son culte des morts. Et les politiques qui prêtent main-forte aux historiens pour glorifier la mémoire nationale. La terre, la ruralité, le sang répandu, les croix des cimetières, tout ce qui "enracine" alimenterait cette religion irréfléchie de la patrie. Se rappeler le fameux discours de Barrès "La terre et les morts".
Dans cet imaginaire, observe Marcel Detienne, il n'y a pas de place pour l'étranger, pour le métèque. Au même titre qu'Athènes privilégiait ses "purs autochtones ", le nationalisme à la française exclut le métissage. Aux Etats-Unis, on est indien, black, hispanique... En France, on n'est, en aucun cas, basque, breton ou alsacien. On est français.
Marcel Detienne déconstruit avec le même entrain le mythe d'une France immanente, depuis toujours elle-même. La "mêmeté", écrit-il, est une " mythidéologie".
Un peu de lucidité : rappelons-nous que, "jusqu'au XVIIIe siècle, le royaume de France a vécu au bord du Bassin parisien en attendant une série de "rattachements" comme celui de la Savoie ou de la Lorraine". En un mot, la France est le fruit de multiples hybridations.
Marcel Détienne date de 1870 le moment où elle se dote d'une identité historique, le moment où l'écriture du roman national devient une affaire de professionnels : Ernest Lavisse, d'abord, et son Histoire de France (1900-1912). Fernand Braudel plus tard, avec L'Identité de la France (1986). Marcel Détienne dénonce la prétention de celui-ci à établir une filiation entre les Français du XXe siècle et les artistes paléolithiques de la grotte de Lascaux.
A l'ouvrage Lieux de mémoire dirigé par Pierre Nora (1984-1992), il reproche d'avoir avalisé, à son tour, cette version quasi religieuse de la singularité française. Il cite le discours de René Rémond recevant Pierre Nora sous la Coupole et le félicitant de s'être si longtemps interrogé sur "le mystère de l'identité nationale". Mystère, un mot qui appartient au vocabulaire de la foi.
Dans un entretien avec Sylvain Bourmeau, de Mediapart, Marcel Detienne dénonce, avec moins de circonlocutions encore, cette "France qui ne fait que regarder la France". Disponible sur Dailymotion.com, cet entretien en deux parties donne une idée de la jubilation avec laquelle cet intellectuel atypique mène la charge. Digest de son livre, il est tout aussi dérangeant.
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L'Identité nationale, une énigme, de Marcel Detienne. "Folio histoire ", 192 p., 6,60 €.
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Bertrand Le Gendre


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