L’imposture

Un documentaire d’auteure à voir et à revoir

Tribune libre

Dans mon fauteuil du cinéma Parallèle, j'ai vécu 93 minutes d'émotions. Ève Lamont nous présente un portrait sans concession des réalités de la prostitution. Un portrait dressé par les principales intéressées : les femmes qui se prostituent ou se sont prostituées. La réalisatrice aborde le thème de la prostitution avec une délicatesse et un respect inégalés. Elle évite tous les pièges : voyeurisme, sensations fortes, soulignements et re-soulignements, démonisation des hommes. Elle ne se pose pas en spécialiste, ne porte aucun jugement. Elle se contente de donner la parole à des femmes, en respectant ce qu'elles sont. Elle ne prétend pas savoir, elle veut plutôt apprendre. Cette humilité et ce respect sont omniprésents tout au long du film.
J'ai aimé tous les personnages et j'ai pleuré à certains moments avec ces femmes. Tout simplement. Je dis tout simplement parce que, à aucun moment, Ève Lamont ne tord le bras du spectateur. Sa caméra est là pour « accueillir » les femmes qui lui parlent, pas pour les juger ou les manipuler. On dit souvent de la prostitution que c'est le plus vieux métier du monde. Comme si la nature avait divisé les êtres humains en deux catégories : les hommes et les femmes. Comme si, tout naturellement, le rôle des femmes était de satisfaire les besoins des hommes. Les femmes sont la mère qui porte l’enfant en elle pendant neuf mois, qui lui donne la vie, puis le sein et les soins essentiels à sa survie, qui soigne ses maladies infantiles, le protège et l'accueille quand il a besoin de réconfort. Ce rôle maternel colle aux femmes et explique pourquoi, tout naturellement, elles se sentent responsables du bien-être d’autrui. Dans les relations avec les hommes, elles sont celles qui écoutent, qui accueillent et réconfortent, celles qui donnent le plaisir.
Une amie sexologue m'a écrit « La sexualité a deux fonctions : le plaisir et la procréation. En dehors de ça, on se trompe assurément, surtout si c'est pour avoir des relations sexuelles avec un inconnu que la femme n'aime pas. » La prostitution consiste à vendre du plaisir à un client au dépend de son propre bien-être. Ma fille de seize ans, à qui je parlais du film d’Ève Lamont, m’a dit : « Maman, il y a des filles qui ne pensent qu'au sexe. Je suis certaine qu'il y en a qui aiment ça et qui sont contentes de gagner de l'argent avec ça ». Bien des jeunes filles naïves ne savent pas où les entraîneront les quelques dollars gagnés, apparemment facilement, en dansant dans un bar de danseuses. Ève Lamont nous permet de le découvrir tout simplement en écoutant ses personnages. En leur donnant la parole, elle nous permet d’apprendre la réalité de la prostitution. On ne se lève pas un matin en disant : je veux être prostituée. On le devient par la force des évènements. Cela n'a rien à voir avec l'intelligence, la force de caractère ou quoi que ce soit d'autre. Tout le monde pourrait devenir prostituée. C’est une question de circonstances. Et grâce aux témoignages des femmes de L'imposture, une prise de conscience peut se produire : cela pourrait être moi, ma fille, ma sœur ou mon amie.
Le film est rempli d’amour pour les êtres humains. Les couches y sont multiples et on a envie de connaître les personnages. Rose Dufour sert de fil conducteur : anthropologue intelligente, aimante, remplie d’empathie et combattante, elle sert de lien entre les prostituées et le spectateur. Mais le spectateur est aussi le membre responsable d'une société. Enfin, la facture artistique est indéniable, les motifs musicaux ponctuent le film avec une délicatesse qui rejoint la délicatesse de la réalisation. Un film à voir et à revoir.
Auteure, réalisatrice, scénariste, doctorante en études et pratique des arts à l'UQAM


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    22 février 2011

    Excellente recension, qui ne se contente pas de résumer le sujet ou de réfléter une empathie bien méritée pour les femmes filmées, mais prend soin de saluer le travail et le talent de la cinéaste. On pourait d'ailleurs signaler la qualité de la musique de la grande Catherine Major et la délicatesse du montage, aussi respectueux du vécu des femmes que la caméra.
    Il me semble qu'il y a très longtemps qu'un documentaire d'auteure n'a pas été aussi achevé au Québec. On pense aux classiques du cinéma québécois.
    Un film à distribuer et discuter dans toutes nos collectivités, en se souvenant que c'est en régions que les pimps/trafiquants vont draguer une relève pour leur industrie merdique.
    Un film dont j'espère aussi qu'il ébranlera le silence des hommes, qu'il réduira leur hostilité envers celles qui les invitent simplement à sortir du marasme sexuel et interpersonnel dont témoignent celles que notre société condamne à éponger les dégâts.