Mgr Jean-Claude Turcotte,
Compte tenu du rôle de l'Église au Québec dans un passé encore récent, votre sortie contre le Dr Henry Morgentaler et l'Ordre du Canada soulève beaucoup de questions.
Vous affirmez que l'Ordre du Canada ne devrait être décerné qu'aux seules personnalités faisant l'objet d'un consensus. Si tel était le cas, êtes-vous certain que vous auriez reçu cette distinction? En 1996, de nombreux Québécois ont été choqués que l'Ordre du Canada soit attribué au représentant d'une institution qui, à leurs yeux, avait souvent penché du côté de l'oppression et de l'obscurantisme et représentait toujours une menace pour les libertés. Pourtant, ils n'ont pas mené de cabale contre vous comme vous le faites maintenant contre le Dr Morgentaler. Seraient-ils plus tolérants que vous?
Vous avez retourné votre insigne, car vous ne pouvez supporter l'idée d'être membre d'un ordre aux côtés d'un homme dont les actions soulèvent votre indignation. Est-ce à dire que rien ne vous indigne dans les actions passées et présentes de l'Église? Passons sur l'Inquisition, les bûchers et les massacres d'Albigeois -- c'est de l'histoire ancienne n'est-ce pas? -- même si le clergé québécois glorifiait encore les croisades dans les années 60...
Mais l'antisémitisme? Mais la filière vaticane, et les compromissions avec le nazisme, le fascisme et les dictatures chilienne et argentine? Et ici au Québec, vous ne vous scandalisez pas de la lutte hargneuse contre la démocratie et le droit de vote des femmes, des pressions des prêtres sur les femmes les plus fragiles pour leur imposer la soumission à leur mari et des grossesses répétées, de l'oppression des enfants dans les pensionnats? Rien de cela ne vous pousserait à retourner votre anneau? Je vous trouve l'indignation bien sélective.
Vous avez le droit d'être en désaccord avec la conception du libre choix du Dr Morgentaler, mais vous devez reconnaître son courage et son abnégation, lui qui n'a jamais hésité à sacrifier son confort et sa sécurité à son combat. Ce combat, il l'a mené avec pour seul souci l'émancipation des femmes, au moment où elles étaient maintenues dans un état d'infériorité et de soumission. À l'époque, je n'ai pas souvent entendu le clergé protester contre la condition des femmes, lui qui se prétend au service des faibles et des démunis.
Que pouvons-nous ressentir en vous entendant exprimer des conseils paternels à des femmes fragilisées, vous, le représentant d'une institution qui les a constamment méprisées et rabaissées? Vous prenez un ton bienveillant et prétendez ne pas vouloir recriminaliser l'avortement. Il vous faut convaincre en douceur sans effaroucher les brebis égarées, dont vous sentez bien la méfiance et la réticence à votre endroit. Lorsque le clergé détenait un pouvoir considérable, il ne s'embarrassait pas de tant de scrupules. C'étaient les anathèmes, les excommunications, les interdictions de sépulture, le chantage permanent au châtiment éternel.
Et que pouvons-nous ressentir encore en vous voyant prendre la défense des futurs enfants que sont les foetus, vous dont l'Église a mis plus d'énergie à protéger et à «réhabiliter» les prêtres pédophiles qu'à se porter au secours des enfants réels et bien en chair qui étaient leurs victimes? Est-ce vraiment la vie que vous aimez, ou plutôt un principe abstrait et rigoriste dérivé de vos dogmes religieux?
Le retour aux valeurs traditionnelles dans certaines régions du Québec ne vous a pas échappé. Vous y voyez une occasion rêvée de reconquérir un peu de votre pouvoir. Comme Mgr Marc Ouellet avant vous, vous essayez de surfer sur la vague, trop impatient de reprendre votre magistère moral. L'autre soir, le Téléjournal nous a offert le spectacle d'hommes en noir empressés de diriger les consciences en pleine campagne électorale, parce qu'ils pensent rencontrer enfin un vent favorable. Cela nous a rappelé des souvenirs douloureux. Ceux qui croyaient que vous vous étiez amendés ont été détrompés. Pour cela, je vous remercie.
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Guy Archambault, Ottawa, le 3 septembre 2008
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