Kiev — L’enlisement du conflit dans l’Est séparatiste prorusse met l’Ukraine dans une position économique et politique fragile, que Moscou entend exploiter pour empêcher son voisin d’intégrer l’OTAN et l’Union européenne, estiment plusieurs experts interrogés par l’AFP.
«Il n’y aura pas de conflit gelé», clamait fin octobre le président Petro Porochenko, comme pour se rassurer lui-même et l’opinion publique avant des élections législatives cruciales. Mais trois mois plus tard, aucune avancée n’a été réalisée pour définir l’avenir des républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk, qui ont proclamé unilatéralement leur indépendance de Kiev en avril dernier.
Militairement, les positions entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses sont figées et les combats ont redoublé d’intensité depuis quelques jours.
Mardi, douze civils tués dans un bombardement contre un barrage de l’armée ukrainienne sont venus s’ajouter aux plus de 4700 morts victimes du conflit depuis neuf mois.
Diplomatiquement, les discussions patinent. Lundi soir, les ministres des Affaires étrangères ukrainien, russe, français et allemand réunis à Berlin se sont séparés sur un énième constat d’échec, contraints de reporter sine die un sommet de paix envisagé jeudi à Astana.
Et l’Ukraine est plus que jamais fragilisée dans son bras de fer avec la Russie, qu’elle accuse avec les Occidentaux de fournir les rebelles en armes et en hommes, ce que dément Moscou qui se pose en simple médiateur d’un conflit interne à l’Ukraine.
Pour Maria Lipman, experte indépendante basée à Moscou, «là réside l’impossibilité de compromis : La Russie ne se considère en aucune façon comme partie prenante au conflit, et l’Occident la considère responsable du fait que ce conflit ne peut pas se résoudre».
«Si on va vers un conflit gelé, cette zone deviendra une zone d’instabilité pour l’ensemble du pays», estime l’analyste ukrainien Vadim Karassev. «Il n’y aura aucune réforme en Ukraine, aucun développement économique, aucun investissement étranger. Et si le conflit s’éternise, les gens seront déçus du gouvernement actuel. Mais comme il n’y a aucune alternative, ce sera l’anarchie.»
Sanctions économiques
Les États-Unis et l’Union européenne ont pris des sanctions économiques contre la Russie pour tenter d’infléchir ses positions.
Combinées à une chute des prix du pétrole, elles ont fait entrer l’économie russe en récession (-0,5 %) en novembre pour la première fois depuis cinq ans et provoqué une chute de rouble de 41 % en 2014, puis de 16 % supplémentaires depuis le début 2015. Mais l’Ukraine souffre elle aussi énormément.
«C’est le jeu du chat et de la souris», affirme John Lough, de l’institut Chatham House à Londres. «Si c’est une course à qui chutera le plus vite, Moscou pense que l’Ukraine tombera en premier.»
Le conflit pèse de plus en plus lourd sur l’économie ukrainienne, qui a connu en 2014 sa pire année de l’après-guerre : son PIB a chuté de 7,5 % et sa monnaie a été dévaluée de moitié. La guerre dans l’Est coûte plus de 10 millions de dollars chaque jour, selon le président ukrainien Petro Porochenko.
Les institutions internationales et certains pays ont déjà versé plusieurs milliards de dollars d’aides et M. Porochenko attend encore «13 à 15 milliards» pour les deux prochaines années.
Mais combien de temps les pays occidentaux accepteront-ils de payer ? D’autant qu’ils paient aussi le prix de leurs sanctions qui les privent de débouchés commerciaux avec un partenaire important alors qu’ils subissent eux aussi la crise économique mondiale. Et des voix s’élèvent au sein de l’UE pour un allègement des sanctions.
Gaz russe
Le géant russe Gazprom a rajouté à cette pression mercredi en avertissant que ses livraisons de gaz vers l’UE via l’Ukraine risquaient d’être perturbées cet hiver, malgré l’accord provisoire trouvé entre Moscou et Kiev dans leur conflit gazier.
«Poutine veut que l’Europe se lasse et ne soit plus intéressée par la situation en Ukraine», affirme M. Karassev.
Politiquement, l’équilibre est également précaire pour le président Porochenko et son premier ministre Arseni Iatseniouk.
Les autorités pro-occidentales sont sous pression d’une opinion publique de plus en plus antirusse et «toute attitude défaitiste peut conduire à une crise politique aiguë», estime l’experte Maria Lipman.
Ce statu quo constitue donc «une opportunité pour la Russie de créer un conflit gelé qu’on ne peut résoudre sans son intervention», estime John Lough.
Pour son confrère ukrainien Oleksiï Melnik, du Centre Razoumkov de Kiev, «le Kremlin garde ainsi l’initiative» dans les négociations de paix.
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