La Catalogne mise au pied du mur

L’inquiétude est à son comble à l’amorce d’une semaine cruciale pour l’avenir de la région

76bc0756d30db7e670534f29508b9070

Une leçon pour le Québec : la mobilisation populaire ne fait un pays

Coincée, isolée, piégée, humiliée : ce sont les termes employés par les experts interrogés par Le Devoir pour décrire la situation délicate dans laquelle se trouve actuellement la Catalogne. Au lendemain de l’annonce de la mise sous tutelle de la région indépendantiste par l’Espagne, une semaine décisive, chargée de craintes et d’incertitude, s’amorce.


 Les dirigeants catalans font face à un dilemme de taille depuis samedi, jour où le dirigeant conservateur espagnol Mariano Rajoy a annoncé qu’il allait demander au Sénat la mise en oeuvre de l’article 155 de la Constitution, ce qui l’autorisera à prendre le contrôle de l’exécutif catalan et de la police régionale, et de mettre sous tutelle le Parlement catalan. Bref, de retirer son autonomie à la Catalogne ; du jamais vu depuis la fin de l’ère franquiste, il y a de cela exactement 40 ans. Le Sénat, où les conservateurs sont majoritaires, doit voter ces mesures en séance plénière vendredi.


 « Notre exécutif tel que nous l’avons connu ces quarante dernières années est en danger de mort », a publié dimanche le quotidien catalan La Vanguardia dans un éditorial.


 Deux options s’offrent au chef de l’autorité catalane, Carles Puigdemont : déclarer l’indépendance, ce qui prolongerait la crise sans précédent que traverse la région, ou dissoudre son Parlement et convoquer des élections régionales anticipées, en échange de quoi Madrid renoncera à l’application de l’article 155.


 La première option est loin d’être gagnée, car « pour réussir une déclaration unilatérale, ça prend l’approbation des autres États, ce que la Catalogne n’a pas », souligne le docteur en droit et politologue Frédéric Bérard. La deuxième signifierait en contrepartie une capitulation humiliante pour Barcelone.


 « La Catalogne vient encore une fois de perdre », estime le juriste Maxime St-Hilaire.


 Affrontements à prévoir


 Dans tous les cas, une montée des violences et des affrontements entre les séparatistes catalans et les forces de l’ordre est à craindre.


 En mettant en oeuvre l’article 155, Madrid espère « recouvrer la normalité démocratique ». Mais cette mesure pourrait avoir l’effet inverse en attisant la colère des indépendantistes catalans. D’importantes manifestations pour protester contre la mise sous tutelle ont été annoncées pour cette semaine. Samedi, ils étaient 450 000 Catalans dans les rues de Barcelone, selon la police locale.


 À Barcelone, Ruben Wagensberg, du collectif Debout pour la paix, créé pour épauler des actions de résistance pacifique, a prévenu qu’une réaction était à attendre. « Si la garde civile entre dans les institutions catalanes […] il y aura une résistance très dure, pacifique », a-t-il affirmé à l’AFP.


 Les dirigeants catalans sont demeurés discrets sur leurs intentions dimanche. Le président indépendantiste de la Catalogne, Carles Puigdemont, a réagi samedi soir aux annonces de Madrid en dénonçant une atteinte à l’État de droit, qualifiée de « plus forte attaque » contre sa région depuis la dictature franquiste. Il a demandé que les parlementaires catalans se réunissent pour décider de la réponse à apporter à ces mesures.


 « Nous devrons prendre les décisions avec un maximum d’unité », a déclaré plusieurs fois dimanche Jordi Turull, porte-parole du gouvernement séparatiste, après avoir dénoncé « un coup d’État contre les institutions de Catalogne ».


 La Catalogne, qui comprend 16 % de la population de l’Espagne, a intérêt à déclarer forfait pour l’instant, soutient Michel Seymour, bien que le professeur de philosophie de l’Université de Montréal, qui s’intéresse depuis plusieurs années à l’autodétermination des peuples, soutienne la cause catalane. « C’est délicat pour eux de s’engager sur le terrain de l’indépendance, parce qu’on peut remettre en question la légitimité des résultats du référendum. »


 Les indépendantistes se fondent sur les résultats d’un référendum d’autodétermination interdit organisé le 1er octobre dernier, qu’ils disent avoir emporté avec 90 % des voix et un taux de participation de 43 %.


 Indépendance peu probable


 La mise sous tutelle est justifiée aux yeux de Madrid par le fait que la Catalogne « a violé la Constitution » en tenant le référendum. Selon la Constitution espagnole, une telle démarche est seulement légale si la consultation est menée à l’échelle du pays.


 Ainsi, il est impensable que la Catalogne obtienne gain de cause, selon M. St-Hilaire. « Il n’y a pas de façon pacifique pour la Catalogne de faire son indépendance », soutient-il.


 Le professeur de droit à l’Université de Sherbrooke estime que le seul espoir pour la Catalogne serait l’élection d’un gouvernement « plus conciliant » à Madrid, qui permettrait à la région de tenir sa propre consultation populaire.


 Autrement, il faudrait que la situation dégénère en violences et que les droits des Catalans soient bafoués pour que ces derniers puissent, en vertu du droit international, déclarer unilatéralement leur indépendance. Une situation peu souhaitable aux yeux du juriste. « De la violence, j’en ai déjà trop vu le jour du scrutin », dit-il, dénonçant la répression policière envers les électeurs catalans. « Puigdemont a par ailleurs dit préférer perdre dans la paix que de gagner dans la violence », ajoute-t-il.



>Lire la suite de l'article sur Le Devoir



-->