Pierre Rivard a longtemps oeuvré comme conseiller au ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec. À ce titre, il a réalisé d'innombrables entretiens de sélection dans les pays du Maghreb.
Je reprends des extraits de son témoignage, qu'il m'a fait parvenir par courriel.
M. Rivard se souvient particulièrement d'une candidate algérienne qu'il a sélectionnée à Tunis - une femme indépendante et résolue, qui s'était rendue seule d'Alger à Tunis et comptait émigrer seule au Québec. Elle portait un hidjab, mais n'a pas hésité à lui serrer la main.
«La jeune femme détenait un diplôme algérien d'ingénieur d'État, elle s'exprimait dans un français impeccable et pouvait expliquer avec force détails ses motivations», en particulier son désir profond d'échapper aux embûches qui se posent aux femmes sur le marché du travail algérien.
Elle se doutait bien que son hidjab la desservirait au Québec, mais, disait-elle, «l'islam est ma religion, j'en suis fière, et si je porte le hidjab ce n'est pas par obligation, mais par conviction». Elle espérait que chez nous, elle serait évaluée non pas en fonction de son apparence, mais «pour mes compétences et pour ce que je suis.»
Elle travaille aujourd'hui comme ingénieure dans une grande société québécoise. Elle porte toujours son hidjab. «À l'occasion, écrit M. Rivard, elle le laisse tomber, non parce qu'elle y est contrainte, mais parce qu'elle est rendue là.»
«Le processus d'intégration est délicat, long, complexe, jalonné de renoncements et d'adhésions contradictoires», poursuit ce spécialiste en immigration.
«Il ne faut pas brusquer les choses, mais respecter le rythme de chacun, surtout lorsque les différences n'interfèrent d'aucune façon avec les principes d'égalité, d'efficacité et de cohésion de la société.»
M. Rivard se souvient aussi de tous ces candidats à l'immigration à qui il a expliqué, en réponse à leurs inquiétudes, que le Québec était une société pluraliste où le port de signes religieux était un droit garanti par la Charte des droits et libertés... «Qu'ils se sentent trahis aujourd'hui n'est pas surprenant.»
Le PQ, estime-t-il, «s'est engagé dans une démagogie électoraliste analogue à celle du Front national, qui a contaminé la vie politique française en amenant les pouvoirs publics à légiférer contre les comportements inoffensifs de quelques centaines de personnes.» «Qu'on ne s'y méprenne pas», insiste Pierre Rivard, «je ne suis pas un fédéraliste qui se saisit opportunément de ce projet de charte pour pourfendre le PQ et son option. Je suis indépendantiste depuis 40 ans, je n'ai pas renoncé à la souveraineté, qui a notamment pour perspective d'ouvrir le Québec sur le monde.»
«Mais je serais prêt à y renoncer si, comme le propose cette charte de la honte, cela devait se confondre avec une vision étriquée du monde et des "autres".»
Tout est dit, dans ce texte, signé au surplus par quelqu'un qui connaît la question et qui ,au départ, était sympathique au PQ: la fausseté de l'affirmation qui fait équivaloir le port du hidjab à l'asservissement de la femme, la patience qu'une société éclairée doit manifester en ce qui concerne le phénomène complexe de l'acculturation des immigrants - laisser faire le temps plutôt que brusquer les choses -, et, enfin, la trahison dont seront victimes les immigrants que le Québec a fait venir ici après les avoir choisis.
Cette trahison, la «clause grand-père» souhaitée par certains (dont Guy Rocher) ne l'effacerait pas. Elle n'engendrerait, comme l'a si bien dit Lucien Bouchard dans ces pages, que de la confusion et des imbroglios judiciaires. D'ailleurs, comment soutenir que le refus d'embaucher serait plus acceptable que le congédiement?
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