«Moi, si je suis premier ministre, je vais avoir un compteur sur mon bureau. »
Même ses plus féroces détracteurs n’ont jamais illustré de façon aussi éclatante que François Legault lui-même la vision essentiellement comptable qui l’anime. Plus que les deux face-à-face précédents, celui de mercredi a parfaitement campé le choix que les électeurs auront à faire le 4 septembre.
Malgré leurs nombreux différends, le Parti libéral et le PQ sont tous les deux issus de la Révolution tranquille. Après l’échec de son projet de réingénierie, Jean Charest s’est plus ou moins résigné à se contenter d’un réaménagement du « modèle québécois », alors que le chef de la CAQ, qui a repris à son compte l’obsession antisyndicale de l’ADQ, le remet ouvertement en question.
Sans doute consciente de l’impact qu’a eu la performance de Françoise David lors du débat à quatre, Mme Marois a joué la carte progressiste à fond : « Pendant que vous allez vous occuper des structures, je vais m’occuper des enfants. »
Son refus de promettre à la légère de régler une fois pour toutes le problème des urgences témoignait simplement de son respect pour l’intelligence des électeurs, mais il était facile de le présenter comme une acceptation du statu quo.
Face à un comptable, il très était imprudent de se présenter à un débat sans cadre financier. Mme Marois a eu beau assurer que ses engagements totaliseraient moins d’un milliard, il est clair que les revenus auxquels elle a renoncé limiteront singulièrement sa marge de manoeuvre.
Le règlement de comptes entre anciens collègues sur le thème de l’intégrité n’était pas particulièrement élégant, mais la façon dont M. Legault a soudainement refusé de poser des questions sur la gestion des FIER à l’Assemblée nationale, dès que le nom Charles Sirois a été prononcé, demeure troublante.
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Le principal enjeu du débat d’hier était cependant ailleurs. M. Legault savait très bien qu’en se rangeant résolument dans le camp du non, il renonçait au vote des souverainistes convaincus, mais ils n’ont jamais fait partie de son équation. Il visait plutôt cette tranche de nationalistes « mous » qui décident généralement de l’issue des élections québécoises, selon le camp qu’ils choisissent. Le chef de la CAQ sait aussi compter les votes.
Il a très bien vu tout le profit qu’il pouvait tirer de la crainte de voir un référendum d’initiative populaire précipiter la tenue d’un autre référendum sur la souveraineté. « Mme Marois va nous précipiter dans le ravin avec les caribous » a-t-il lancé, faisant ainsi allusion à ceux qu’on n’appelait pas encore les « purs et durs », mais qui avaient imposé une radicalisation du programme péquiste au début des années 1980, jusqu’à ce que René Lévesque impose le « beau risque ».
Au conseil national de janvier dernier, Mme Marois n’avait accepté qu’à son corps défendant d’inscrire dans la plateforme du PQ la possibilité qu’un référendum puisse être tenu sur tout sujet, sauf les questions à incidence financière, si 15 % des électeurs inscrits signaient un registre à cet effet.
Elle était très consciente du risque politique qu’elle prenait en offrant pareil argument à ses adversaires, mais sa priorité était de sauver son leadership. Elle avait bien laissé entendre à l’époque que la tenue d’un référendum ne serait pas nécessairement automatique, le gouvernement pouvant toujours s’y refuser, mais la plateforme ne le précise pas et les explications qu’elle a données durant le débat étaient passablement confuses.
Consciente que les « mous » risquaient de prendre peur, elle a décidé de clarifier les choses après le débat. Vider cet engagement de son contenu risque cependant d’avoir un effet démobilisateur chez les militants souverainistes à moins de deux semaines de l’élection. Cette fois, c’est Jean-Martin Aussant qui a dû sourire.
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Le chef de la CAQ n’a pas jugé utile d’insister sur le projet de citoyenneté que Mme Marois a décidé de ressusciter malgré la controverse qu’il avait suscitée en 2007, mais il risque aussi de venir hanter la chef péquiste d’ici le 4 septembre.
Passe encore que la citoyenneté québécoise soit conditionnelle à une connaissance minimale du français. Cela irait de soi dans un Québec souverain, comme c’est la norme dans de nombreux États tout à fait démocratiques.
Le problème est que le Québec demeure jusqu’à nouvel ordre une province canadienne et que la proposition péquiste priverait des citoyens canadiens de droits qui leur sont garantis.
Si le but est de provoquer une réaction anti-Québec dans le reste du Canada dans l’espoir de réunir les « conditions gagnantes », le moyen choisi est excellent. Il est malheureusement de nature à déplaire aux « mous », sans lesquels une majorité à l’Assemblée nationale, sinon le pouvoir tout court, risque d’échapper au PQ. Et sans le pouvoir, il n’y a aucun référendum possible.
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