La dérive

C24e543ba4b923232122df8ca36980a0

«La dérive fédéraliste ou à tout le moins fédéralisante du syndicalisme québécois ces dernières années est pitoyable»

Je suis profondément de gauche. Je suis absolument pro-syndicats. Mais la dérive fédéraliste ou à tout le moins fédéralisante du syndicalisme québécois ces dernières années est pitoyable. On croirait revenir aux années 1950. Nos syndicats s’illusionnent et pensent faire alliance avec le NDP (voire avec les libéraux!) et les syndicats canadian pour un front de « gauche » ad mare usque ad mare… Avec la FTQ qui se dit maintenant prête à appuyer n’importe quel parti fédéraliste pour soi-disant bloquer les conservateurs, on atteint de nouveaux sommets dans la bêtise et, n’ayons pas peur des mots, la trahison. Il faut dire que les errements canadiens du syndicalisme québécois ne datent pas d’hier.
En effet, on a beau taxer le mouvement indépendantiste de méchant mouvement syndicalo-communiste dans les radios de merde de Québec, il faut néanmoins se rendre compte que les hésitations des syndicats quant à la question nationale existent depuis longtemps. Tout d’abord, rappelons-nous que le mouvement indépendantiste moderne n’est pas sorti du tout du mouvement ouvrier et syndical dans les années 1960, mais bien de la prise de conscience d’intellectuels et d’artistes. Ce ne sont pas des syndicalistes qui ont fondé le RIN, mais bien des intellectuels, certes progressistes pour la plupart, des artistes et des gens issus de professions libérales. Ce n’est que plus tard que les syndicats et les mouvements ouvriers ont enfin allumé et opté pour l’indépendance. Et encore, très mollement!
Souvenons-nous par exemple de la pitoyable aventure des marxists-leninists des années 1970 qui rejetèrent l’indépendance « bourgeoise » au profit de la dépendance à Ottawa et à Bay Street… Souvenons-nous aussi des prises de position des syndicats au référendum de 1980 : la CSN qui y va d’un « Oui, mais » et ne fait presque pas campagne pour la souveraineté, la FTQ qui finit in extremis par appuyer le Oui, la CEQ qui y va de sa position alambiquée comme la CSN pour ne pas appuyer clairement le Oui… Ça faisait dur. Toutefois, pour le référendum de 1995, en créant les Partenaires pour la souveraineté, Jacques Parizeau et ses collaborateurs réussirent à bâtir un large front uni pour l’indépendance. Tout ce qu’il y avait de syndicats, de groupes communautaires, d’associations étudiantes, de groupes de femmes, d’unions, etc. appuyèrent alors fermement le Oui. Mis à part le Conseil du patronat (évidemment!), presque toutes les organisations qui comptent au Québec se rangèrent dans le camp indépendantiste. Mais depuis 1995, ces diverses organisations délaissent de plus en plus le combat national et se replient sur leurs intérêts corporatistes quand elles ne sombrent pas carrément dans l’illusion fédéraliste. Quelle dérive. Quel drame.
On en arrive ainsi aux élections fédérales à venir à l’automne 2015. Déjà, à plusieurs mois de l’échéance, la FTQ annonce ses couleurs, et on peut craindre de semblables prises de position de la part des autres organisations syndicales québécoises : n’importe qui sauf Harper! Les intérêts supérieurs de la nation québécoise? La nécessité de l’indépendance, donc d’appuyer le seul parti indépendantiste sur la scène fédérale? De la marde avec tout ça, semble dire la FTQ, il faut bloquer Harper et ses sbires! La belle affaire… Voilà donc que pour bloquer les conservateurs, la FTQ travaillera à l’élection de candidats du NPD, et peut-être même des libéraux de Justin Trudeau s’il le faut! Ça se prétend au service des travailleurs et ça veut militer pour le parti des Mesures de guerre, pour le parti de la corruption et des commandites, pour le parti du bill C-20… À vomir. Et appuyer le NPD n’est guère mieux. Sous son vernis de gauche, le NPD est un parti fédéraliste et anti-Québec comme les autres, ultra centralisateur et défendant d’abord et avant tout les intérêts du Canada anglais…. C’est mieux que les conservateurs? La FTQ nous invite à choisir entre la peste et le choléra.
En outre, à un niveau encore plus fondamental, si tant est qu’un gouvernement NPD serait plus avantageux pour les travailleurs canadiens, il ne s’agirait encore une fois pour les Québécois que de tenter d’aménager la dépendance au lieu de faire l’indépendance. Appuyer le NPD, c’est entretenir encore l’illusion qu’un projet de société progressiste puisse voir le jour au Québec-province, dans une société inféodée à une autre, dominée par une autre. C’est croire qu’un gouvernement « npdiste » favoriserait les intérêts du Québec au détriment de la majorité canadienne-anglaise lorsque nos intérêts et ceux du ROC continueront inévitablement d’entrer en conflit. D’ailleurs, pas besoin de prendre la chance qu’il soit au pouvoir pour comprendre que le NPD, comme les autres partis fédéralistes, tranchera toujours en faveur de la majorité canadienne-anglaise. C’est la logique même. C’est mathématique.
Au fait, quel est le bilan du NPD ces dernières années en matière de défense des intérêts du Québec? Refus d’appliquer la loi 101 aux entreprises sous juridiction fédérale, appui à la loi sur la « clarté » référendaire des libéraux, appui à Terre-Neuve quant au développement hydroélectrique dans le dossier du Bas-Churchill (au mépris du Québec et de la volonté unanime de son Assemblée nationale), appui au projet de pipeline Énergie-Est, et ce, en plus de préconiser de nombreux empiètements dans les champs de compétence du Québec et d’avoir présenté des candidats unilingues anglais au Québec lors des dernières élections… Et j’en passe. Puis s’il faut remonter un peu plus loin, souvenons-nous que le NPD a appuyé le coup de force constitutionnel de Trudeau en 1982, ensuite qu’il a rejeté l’Accord du lac Meech. Plus encore, qui dirige aujourd’hui ce si progressiste NPD? Thomas Mulcair, ex-directeur des affaires juridiques à Alliance-Quebec et ex-ministre de Jean Charest, grand « progressiste » qui a appelé à voter pour les libéraux de Couillard aux dernières élections québécoises. C’est ça à la FTQ votre « gauche » canadienne favorable aux travailleurs québécois?! Mais comment la FTQ peut-elle en arriver là?
Bien la FTQ en est arrivée là à la suite de « pourparlers avec d’autres syndicats dans le reste du pays pour stimuler le vote stratégique aux prochaines élections. » (La Presse). Eh merde, la FTQ qui va s’asseoir avec les syndicats canadian pour décider de sa position pour les prochaines élections… Plus colonisé que ça, tu votes pour Trudeau. Z’êtes pas capables de prendre vos décisions vous-mêmes en fonction du Québec et des travailleurs québécois? Les dirigeants de la FTQ sont une honte pour les travailleurs syndiqués qu’ils prétendent représenter, travailleurs pour lesquels j’ai le plus grand respect. D’ailleurs, il serait peut-être temps que les travailleurs reprennent le contrôle de leur centrale syndicale. De Tony Accurso au NPD, il me semble qu’assez, c’est assez : quelle dérive!
« Au pouvoir, on a oublié que l’indépendance doit passer par le monde, par les travailleurs pour être acquise. À gauche, on a oublié que la lutte des travailleurs, la nécessité d’une autre façon de vivre, d’être, doit passer par l’indépendance pour avoir un sens. Question nationale. Question sociale. Deux questions auxquelles au Québec, il n’y a qu’une seule réponse : Tout reste à faire… »
– Francis Simard


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé