La dictature des « A »

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L'incestueux système de vedettariat québécois qui mène au politiquement correct


« Les Québécois passent l’été à voir les mêmes 50 artistes parader dans des émissions interchangeables, rivalisant de propos mièvres et estivaux. Vite, que l’automne arrive, avec sa télé et sa radio consistantes, ses débats d’idées, sa diversité ethnique et culturelle ! », s’exclame Marie-France Bazzo.



À la radio comme à la télé, les émissions estivales ont atteint leur vitesse de croisière. C’est le paysage habituel : dans un contexte détendu et un décor tropical, des vedettes invitent des vedettes. Évidemment, les « A » sont omniprésents. Y a-t-il encore quelque chose qu’on ignore à propos de Guylaine Tremblay ? Lassitude…


Qu’est-ce qu’une vedette A ? C’est l’ingrédient principal d’un talk-show,d’une émission de recettes, d’un quiz, la farine de la galette télévisuelle, l’épice magique qui fera lever la pâte. On a commencé à en entendre parler à Tout le monde en parle en avril 2016. Le chanteur Pierre Lapointe avait alors craché dans la soupe, exposant les rouages de la dictature des A et accusant ce système informel d’aseptiser la télévision.


A pour aristocratie du showbiz, assurément. Les plus grosses vedettes de l’heure, car la vie de A n’est pas éternelle. La roue tourne. On en parle parce que les diffuseurs veulent attirer un maximum de téléspectateurs et, du coup, imposent la présence de ces hypervedettes aux producteurs des émissions.


Il faut dire que nous possédons, au Québec, un star-system très vivant. C’est d’ailleurs une de nos spécificités culturelles ; ce vaste réservoir de comédiens, chanteurs et humoristes adulés du grand public. Ce vedettariat est nourri par les empires médiatiques, qui pratiquent la convergence par l’intermédiaire de leurs différentes plateformes, font la promotion de leurs stars maison comme s’il s’agissait de produits, et les propulsent partout dans l’empire ou dans la tour.


Mais la raison principale de l’omniprésence des A est le fait qu’ils rapportent une hausse de l’audience, donc des parts de marché, donc de la pub, donc de l’argent ! Résultat : la plupart des émissions veulent des A sur leur plateau. C’est exigé ou tacite ; c’est une convention. Je disais à l’instant que nous avons une galaxie de vedettes bien à nous. Certes, mais ce réservoir est toutefois limité. On voit, saison après saison, les mêmes visages favoris mis à toutes les sauces. À la radio, à l’animation des galas, à la une des magazines, dans la publicité, à la télé : se confiant chez l’un, rénovant chez l’autre, hilare dans un quiz. Une recette keto avec ça ? Avec plaisir ! Go les émissions autour d’un îlot convivial ! La gloire est éphémère ; on en profite pendant que ça passe… sauf que ça donne une télé de l’entre soi, de la plogue à l’infini, du babillage. Je me fous de ton voyage en Afrique ; tu m’as déjà tout raconté dans tes stories Instagram…


Nos vedettes sont donc surexposées. Tant mieux pour elles. Mais le public y perd beaucoup. La profondeur de l’écosystème culturalo-médiatique en arrache. On entend et voit peu de diversité, tant en ce qui concerne les opinions que les expériences, l’âge ou l’origine ethnique. Dans la vie, je suis productrice télé, notamment de Y’a du monde à messe, pour Télé-Québec. Ce diffuseur réclame son lot de A, mais est ouvert à la découverte. Nous avons dans toutes nos émissions deux invités peu connus du grand public, qui font des choses étonnantes, qui se démarquent par leur histoire. Ils sont assis près des A, qui ont parfois l’air bien pâles à côté d’eux. Ces personnages uniques se sont révélés, dès la première saison de YAMM, les préférés des téléspectateurs.


Télé-Québec diffuse aussi une série documentaire qui passionne l’auditoire : De garde 24/7, qui raconte le quotidien d’un hôpital, sans vedettes, sinon les soignants, qui sont vite devenus les chouchous du public grâce à leur humanité profonde.


Le public n’est pas dupe. Il est intelligent. Il est curieux, il veut apprendre. Notre responsabilité de producteurs et de diffuseurs est d’ouvrir des horizons. Le public le réclame. Si le milieu n’était pas centré sur son nombril, il entendrait ce cri. Le public a d’ailleurs droit au meilleur ; c’est lui qui, par le truchement de ses taxes, paie pour les crédits d’impôt qui rendent la télévision québécoise possible. Et le meilleur est souvent la découverte.


Pourtant, les Québécois passent l’été à voir les mêmes 50 artistes parader dans des émissions interchangeables, rivalisant de propos mièvres et estivaux. Vite, que l’automne arrive, avec sa télé et sa radio consistantes, ses débats d’idées, sa diversité ethnique et culturelle !



Ben voyons, c’est une joke !


Nous ne sortirons pas sans mal de la dictature de la culture populaire imposée d’en haut et incarnée par les A. Pour en changer, il faudrait beaucoup d’audace de la part des diffuseurs (et un peu de modestie venant des A).


Comme productrice, j’ai soif de défis.


Comme consommatrice de culture et de médias, j’ai faim de découvertes.


À quand la fin du réchauffé ?