La fin du bouclier antimissile?

Politique étrangère et Militarisation du Canada

En annonçant, le 17 septembre, un changement de cap radical dans le déploiement d'un bouclier antimissile en Europe centrale, et rompant ainsi avec les orientations prises par son prédécesseur, le président américain, Barack Obama, a amorcé une redéfinition spectaculaire de la politique sécuritaire de Washington. Cette décision n'est cependant pas une surprise, puisque le président américain l'avait à plusieurs reprises évoquée, avant même d'occuper la Maison-Blanche; mais elle n'en est pas moins de taille, au point que certains observateurs ont parlé de fin du bouclier antimissile américain, projet jugé trop coûteux en temps de crise économique, et surtout peu adapté aux réalités sécuritaires actuelles.
Les républicains, déjà unis pour bloquer le projet de réforme de l'assurance santé, se sont pour leur part déchaînés contre ce qu'ils qualifient de «carterisation» de la politique étrangère américaine (en référence à Jimmy Carter), et déplorent un abandon du programme mis en place par l'administration sortante.
Une nécessaire adaptation
Il serait pour autant erroné de considérer que le projet est définitivement abandonné. La défense antimissile s'adapte ainsi aux menaces telles qu'elles sont recensées par la nouvelle administration américaine, mais elle ne disparaît pas. Considérant que les missiles iraniens à courte et moyenne portée constituent aujourd'hui la principale menace à la sécurité, le Pentagone envisage au contraire d'adapter sa défense antimissile européenne et de proposer des programmes alternatifs à ses alliés, notamment le déploiement à horizon 2015 de missiles SM3, destinés à détruire les missiles de courte et moyenne portée, et la possibilité de placer des missiles Patriot sur les territoires polonais et tchèque, qui n'est pas remise en question.
D'un point de vue politique, la décision de la Maison-Blanche est sans aucun doute un sérieux camouflet pour Varsovie et Prague, qui voyaient dans leur association au projet américain une récompense pour leur fidélité dans la guerre en Irak. Mais d'un point de vue sécuritaire, il est excessif de considérer que Washington se détourne de ses alliés d'autant que, n'en déplaise aux intéressés, le partenariat transatlantique ne se limite pas à la relation avec la Pologne et la République tchèque!
Lutter contre la prolifération
Dans les faits, la décision de Barack Obama confirme surtout l'idée selon laquelle la menace russe n'est plus considérée comme importante à Washington, et que l'attention se porte en priorité sur les risques en provenance des pays proliférants, l'Iran en tête. Avec une évolution notable sur ce point malgré tout. Cette menace est ainsi «moins immédiate qu'on ne l'avait estimé auparavant», a jugé le secrétaire à la Défense, Robert Gates, en d'autres termes sous l'administration Bush, dont il était membre.
Mais, là aussi, ce discours ne signifie pas que la menace iranienne n'est plus prise au sérieux à Washington, bien au contraire. Selon plusieurs études récentes, l'Iran serait ainsi résolument engagé dans des projets de missiles balistiques de courte et moyenne portée, posant ainsi un défi sécuritaire aux alliés des États-Unis dans la région, Israël et la Turquie en tête. Mais Téhéran n'aurait pas atteint un niveau capacitaire lui permettant de frapper des cibles en Europe, contrairement aux idées souvent répandues depuis quelques années, et fortement relayées par les milieux conservateurs.
Redéfinir les priorités
Le projet de défense antimissile de l'administration Obama privilégie ainsi à la fois une plus grande mobilité, mais surtout un déplacement vers le sud-est, avec un renforcement des capacités de défense en Israël et en Turquie. L'occasion ainsi de rendre le projet plus cohérent, et dans le même temps plus acceptable à Moscou, notamment en vue de s'attirer la coopération de la Russie sur le programme nucléaire iranien.
Certains y verront un signe de faiblesse de Washington à l'égard de son ancien rival de la guerre froide, d'autres estiment au contraire qu'en tournant définitivement cette page de l'histoire, la Maison-Blanche redéfinit les véritables priorités sécuritaires, et reconvertit les capacités antimissiles au service de la lutte contre la prolifération, et non de rapports de force devenus anachroniques.
En tendant la main à Moscou, l'OTAN est d'ailleurs sur la même ligne que la Maison-Blanche. On peut également replacer cette décision dans les objectifs plus larges de Barack Obama, annoncés au printemps dernier à Prague -- est-ce une coïncidence? -- en faveur de nouvelles initiatives en matière de désarmement nucléaire et de lutte contre la prolifération, avec en ligne de mire la conférence d'examen du Traité de non-prolifération en 2010.
À cet égard, la redéfinition du bouclier antimissile américain, qui fut dans son application l'une des absurdités sécuritaires de l'administration Bush, prend tout son sens: servir la sécurité de Washington et ses alliés, mais ne pas créer inutilement de nouvelles lignes de tension. Et loin d'être naïve, une défense antimissile redéfinie autour de ces objectifs précis a encore de beaux jours devant elle. Présenter Obama comme son fossoyeur est ainsi aussi exagéré qu'inexact.
***
Barthélémy Courmont, Professeur invité à l'UQAM et titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, l'auteur vient de publier (avec Darko Ribnikar) Les Guerres asymétriques (Éditions Dalloz)

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Professeur invité à l'UQAM et titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, l'auteur vient de publier (avec Darko Ribnikar) Les Guerres asymétriques (Éditions Dalloz)





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