La grande illusion

Élection Québec - 8 décembre 2008

Depuis un an, le premier ministre Charest avait réussi à créer l'illusion que le gouvernement issu des élections du 26 mars 2007 en était un de cohabitation, alors qu'en réalité les libéraux ne cohabitent avec personne au sein du conseil des ministres.
Les partis d'opposition ont été piégés par cet abus de langage. Ils ne veulent surtout pas donner à M. Charest un prétexte pour précipiter le déclenchement d'élections, mais ils ne tirent aucun profit de la situation. Au contraire, le PLQ ne cesse de grimper dans les sondages, alors que l'ADQ pique du nez et que le PQ fait au mieux du surplace.
La crise d'indignation que M. Charest a piquée mardi, quand il a dénoncé le «subterfuge» qui a permis à François Gendron d'accéder à la présidence de l'Assemblée nationale, fait plutôt sourire. On peut comprendre la frustration de Jean-Marc Fournier, qui s'est fait avoir comme un néophyte par les partis d'opposition, mais l'élection d'un président issu de l'opposition devrait plutôt être de nature à renforcer l'impression d'une cohabitation.
Dans les circonstances, il aurait été préférable de se rallier à l'idée plutôt que de crier à la trahison. D'autant plus que M. Gendron aura inévitablement le réflexe de se montrer tolérant envers le gouvernement si les débats deviennent plus musclés.
Il y a deux semaines, alors qu'il jonglait sérieusement à la possibilité de déclencher des élections générales dès cet automne, le premier ministre avait lui-même remis la cohabitation en question à l'issue de son tête-à-tête avec Mario Dumont.
Maintenant que l'élection d'un autre gouvernement minoritaire à Ottawa lui a enlevé un prétexte, voilà que M. Charest se scandalise de voir les partis d'opposition refuser de faire comme si lui-même disposait d'une majorité à l'Assemblée nationale. Autrement dit, il s'agit d'une cohabitation à géométrie variable, selon qu'elle fait son affaire ou non.
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Même au gouvernement, on reconnaît que, sous le coup de la colère, M. Charest et son leader parlementaire ont surdramatisé cet incident. Au plan stratégique, c'était une erreur. Si M. Charest veut toujours déclencher des élections cet automne, ce ne peut-être que sur le thème de l'économie, mais il sera maintenant soupçonné d'agir par esprit de vengeance. La population ne comprendrait pas qu'elle soit replongée dans une deuxième campagne électorale consécutive pour un motif aussi futile que l'élection du président.
D'ailleurs, les libéraux n'ont pas de leçon de courtoisie à donner. Dans cette affaire, ils ont tiré les premiers, en avançant la candidature du député de Richmond, Yvon Vallières, sans la moindre consultation avec l'opposition. Étant donné que l'ADQ la jugeait irrecevable, il fallait bien s'attendre à ce qu'elle prenne les moyens de la mettre en échec. Comme le dit si bien Liza Frulla, la politique et la pastorale sont deux choses différentes.
La chose la plus étonnante dans cette histoire aura toutefois été la déclaration de l'ancienne députée de Bourget, Diane Lemieux, qui a confié au Soleil que Pauline Marois était entrée dans le jeu de l'ADQ pour se débarrasser de François Gendron comme leader parlementaire «parce qu'il n'est pas bon».
Venant de celle que M. Gendron a remplacée, le moins qu'on puisse dire est que cela manquait singulièrement d'élégance. Pourtant, elle a raison: le député d'Abitibi-Ouest est un homme estimé de ses collègues qui fera sans doute un bon président, même si son mandat risque d'être assez bref, mais on ne peut pas dire qu'il a l'instinct du tueur, ce dont le PQ aurait grand besoin. À cet égard, Stéphane Bédard a un plus grand potentiel.
Tout le monde sur la colline parlementaire connaît les liens d'amitié qui unissaient Mme Lemieux et Jean-Marc Fournier, mais ses anciens collègues auraient certainement apprécié qu'elle s'abstienne de reprendre à son compte le refrain de M. Fournier sur le manquement à la parole donnée. Cela s'appelle de la rancune.
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Quoi qu'il en soit, le gouvernement a repris le chemin de la cohabitation hier, en appuyant la motion présentée par l'ADQ, qui réclame la présentation d'un plan d'action pour atténuer les effets du ralentissement économique d'ici le 25 novembre.
De toute manière, le libellé de cette motion est suffisamment large pour inclure indifféremment les mesures à venir et celles qui ont déjà été mises en oeuvre. Tout le monde sait que la baisse d'impôt annoncée en catastrophe à dix jours des élections de mars 2007 visait simplement à faire oublier quatre ans de promesses non tenues et que le programme d'infrastructures de l'automne dernier se voulait une réponse à l'écroulement du viaduc de la Concorde et au rapport de la commission présidée par Pierre Marc Johnson. Peu importe, la politique est aussi l'art de la récupération.
Il est écrit dans le ciel que l'opposition jugera très insuffisantes les mesures que la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, présentera dans sa mise à jour économique, la semaine prochaine.
En conférence de presse, Mme Jérôme-Forget est cependant restée très vague sur la portée réelle de l'exercice. Qu'entend la ministre par «mise à jour»? Pourrait-il s'agir d'un mini-budget, comme en Ontario? «C'est bien bon comme question, ça», a-t-elle répondu. Est-ce que cela pourrait inclure des mesures budgétaires, qui devraient être soumises à un vote à l'Assemblée nationale? «Nous allons voir quand je [la] déposerai».
Finalement, la meilleure façon de déterminer si la cohabitation correspond à une quelconque réalité ou s'il s'agit simplement d'une grande illusion serait certainement d'en faire une question de confiance qui engagerait la survie du gouvernement.
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mdavid@ledevoir.com


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