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La grande illusion

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Transparence ou poudre aux yeux ?

Il y a 10 jours, le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Laurent Lessard, a visité le Salon national de la pourvoirie chasse et pêche à Québec. Vendredi dernier, la ministre du Tourisme, Dominique Vien, a accordé une entrevue au 103,9 FM à 7 h 45 alors que Christine St-Pierre, ministre des Relations internationales et de la Francophonie, a pris la parole, à Montréal, dans le cadre de la soirée-réception de la 4e édition du forum international organisé par le Centre d’étude et de coopération internationale et l’Entraide universitaire mondiale du Canada. Oui, oui.

David Heurtel, lui, le ministre de l’Environnement ? Eh bien, il siégeait en matinée à la commission des Transports et de l’Environnement. Quant à Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, deux jours plus tôt, il a participé au cocktail du président de la Chambre de commerce de l’Ouest-de-l’Île de Montréal.

Attention, mesdames et messieurs, une révolution est en marche. Depuis le 15 janvier dernier, le gouvernement du Québec a décidé en effet d’embrasser les préoccupations du présent, de ne faire qu’un avec elles, en mettant à la disposition des citoyens un site Internet dédié entièrement à la transparence. Un ambitieux projet qui pour le moment expose, avec une ostentation qui oscille entre troublante et gênante, les activités publiques inscrites à l’agenda des membres du Conseil exécutif, assemblage d’informations publiques depuis des lunes et à l’intérêt pour le moins limité, particulièrement pour remettre de l’ordre dans la démocratie et améliorer le sentiment de confiance entre élus et électeurs.

C’est un début, se défend Québec dans un communiqué de presse, qui annonce pour le 1er avril prochain — une date particulièrement bien choisie — l’ajout, sur ce portail de la transparence, d’informations sur les rencontres sollicitées par des acteurs non gouvernementaux auxquelles participeront les membres du Conseil exécutif, et ce, au plus tard trois mois après leur tenue. Celles entre les membres du gouvernement, avec les collecteurs de fonds du parti, avec les lobbyistes, les syndicalistes, les bonzes de la finance… Lorsque la rencontre aura été initiée par le ministre ou son cabinet, n’y seront pas. Pas jugé d’intérêt public.

Transparence ou poudre aux yeux ?

Le citoyen qui suit de près l’actualité politique, le journaliste d’enquête, les membres politiques de l’opposition ne s’en peuvent probablement déjà plus, comme dirait l’autre, de pouvoir s’exposer à un tel niveau de transparence visant à mieux informer les citoyens des activités gouvernementales, et ce, « pour assurer une saine démocratie au Québec », résume Québec. Quand il ne te reste plus que l’exagération pour vendre, c’est que généralement le vide est devenu trop profond.

Hasard des calendriers, le Baromètre des données ouvertes, chien de garde de la transparence à travers le monde, mis en place par le fondateur du Web, Tim Berners-Lee, a dévoilé son deuxième rapport annuel la semaine dernière. La Grande-Bretagne y trône en champion toutes catégories de la transparence, juste devant les États-Unis, la Suède, la France et la Nouvelle-Zélande. Le Canada, lui, arrive en 7e place, ex aequo avec la Norvège. C’est bien. Mais le bilan contient surtout ce bémol, qui enlève rapidement tout le lustre à ce palmarès : dans 90 % des pays dont les politiques de transparence ont été passées au crible, les données et les informations qui permettraient réellement de lutter contre la corruption ou d’améliorer les services du gouvernement sont encore et toujours tenues à l’écart du regard des citoyens.

« Beaucoup de gouvernements ont promis de dévoiler ces informations pour retrouver la confiance des électeurs », à une époque qui en a plus que besoin, a rappelé Berners-Lee à la BBC — c’était mardi dernier —, ajoutant : « Mais la plupart ne l’ont pas fait. » Forcément.

Or, sans ces informations, sans la mention de cette rencontre dans un agenda de ministre qui conduit facilement à la construction d’une garderie à places subventionnées, à l’asphaltage d’une portion d’autoroute ou à toute autre compromission, sans la divulgation proactive, comme on dit dans le monde de la communication politique, des détails dans l’octroi d’un contrat public, dans le financement d’un parti politique, et ce, dans des formats ouverts et numériquement assez flexibles pour permettre de tisser des liens, sans le nom et la fonction des personnes présentes à cette petite sauterie dans un club de golf, un site dédié à la transparence ne peut être autre chose que de la poudre aux yeux. Poudre pour masquer non seulement la persistance de l’opacité, mais aussi le fait que ce site Internet, dans cet environnement, n’est au final rien d’autre que ce qu’il prétend vouloir combattre : un gaspillage de fonds publics.


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