La honte a une ville

Comment croire qu'il pourra faire au cours des quatre prochaines années ce dont il a été incapable durant les huit dernières?

Montréal - élection 2009

Les Québécois sont souvent exagérément soucieux de leur image à l'étranger. Il y a quelques années, le Guide du routard avait suscité l'indignation générale quand il avait qualifié la gastronomie québécoise de «vraie cuisine de bûcherons». À tel point que la maison Hachette avait jugé préférable de le retirer du marché.
Que Montréal soit maintenant présenté par des médias aussi prestigieux que Le Monde ou The Economist comme une capitale de la corruption, au même titre que Palerme ou Moscou, n'a cependant pas suffi à faire tomber le régime Tremblay. On pourrait maintenant dire que la honte a une ville.
Dans une élection municipale, les sondages sont souvent trompeurs. Plus que les autres partis, Union Montréal avait les moyens de «faire sortir le vote» et le travail a été bien fait. Des électeurs en colère ne devraient cependant pas avoir besoin qu'on leur tienne la main pour aller voter. Si la population est indifférente, pourquoi les magouilleurs se gêneraient-ils?
Certes, la division du vote d'opposition a permis au maire Tremblay de se faufiler, mais cela n'aurait sans doute pas été possible sans l'appui massif que l'électorat non francophone lui a accordé. Plusieurs en concluront qu'aux yeux de certains, la mafia vaut encore mieux que les séparatistes. Cela ne contribuera pas à renforcer la cohésion sociale de la métropole.
Lors de sa rencontre avec la table éditoriale du Devoir, il y a deux jours, M. Tremblay rappelait avoir abandonné son siège à l'Assemblée nationale en mars 1996 avec le sentiment d'une mission inachevée. Cette fois-ci, il ne voulait pas quitter l'Hôtel de Ville avant d'avoir fait le ménage.
Depuis deux semaines, son discours a cependant été si confus que l'on ne sait plus trop ce qu'il ignorait et ce qu'il cachait. Comment croire qu'il pourra faire au cours des quatre prochaines années ce dont il a été incapable durant les huit dernières?
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Les résultats d'hier n'ont rien pour convaincre le premier ministre Charest de l'urgence de tenir une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction. Alors que Louise Harel et Richard Bergeron en faisaient une priorité, M. Tremblay a fini par se convaincre des mérites de la voie policière préconisée par le gouvernement.
Après tout ce qui a été révélé au cours des dernières semaines, la vie ne pourra sans doute pas continuer tout à fait comme avant à l'Hôtel de Ville. Mais il existe un réel danger que le même esprit demeure. Pendant un certain temps, tout le monde va marcher les fesses serrées, après quoi, le naturel reprendra le dessus.
La semaine dernière, quand Le Devoir a révélé que plusieurs membres du comité exécutif de la Ville se retrouvaient régulièrement dans les loges du centre Bell louées par les firmes d'ingénieurs-conseils qui font fortune grâce aux contrats municipaux, leur réaction a été tristement significative.
«Ce n'est pas parce qu'on va au hockey que l'intérêt public est à risque. Prétendre ça, c'est ridicule», a déclaré le responsable du développement économique au comité exécutif, Alan DeSousa.
Dans un mémoire présenté en juin dernier devant la commission parlementaire qui examinait le projet de code d'éthique proposé par le gouvernement Charest, l'ancien commissaire au lobbyisme André C. Côté avait pourtant bien expliqué le problème.
«Certaines marques d'hospitalité, comme une soirée dans une loge ou une excursion de pêche, ont pour effet, sinon pour objet, de créer une atmosphère d'intimité et d'inspirer un sentiment de reconnaissance susceptible de faciliter l'accès au titulaire de charge publique et de recevoir une annonce attentive de sa part.» Cela ne devrait pas être si difficile à comprendre.
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Après les espoirs fous qu'ont fait naître les sondages, la troisième place de Richard Bergeron constituera sans doute une déception pour ses partisans, mais les progrès réalisés depuis 2005, alors qu'il avait recueilli seulement 8 % des voix, permettent d'envisager l'avenir avec optimisme. Projet Montréal est une force montante avec laquelle il faudra compter.
En revanche, après cette défaite crève-coeur, Louise Harel ne s'éternisera certainement pas à l'Hôtel de Ville. Cela fait près de quarante ans que le PQ et le PLQ campent sur les mêmes positions à Montréal. Même dans un contexte de crise comme celui des derniers mois, la mairie semble tout simplement inaccessible à un(e) souverainiste notoire.
Inévitablement, certains diront que Mme Harel a fait le mauvais choix en se joignant à Vision Montréal, plutôt qu'à Projet Montréal. La chute fracassante de Benoit Labonté a certainement fait très mal, mais un mariage avec Richard Bergeron n'aurait pas été viable. Alors que l'exercice du pouvoir impose souvent la nécessité de distinguer entre le possible et le souhaitable, M. Bergeron se serait accroché à son programme comme un pitbull.
Il faut maintenant s'attendre à un de sérieux règlements de comptes au sein du PQ et de la famille souverainiste. Dans certains arrondissements, notamment dans Rosemont-Petite Patrie, la campagne a pris des allures fratricides. Pauline Marois, qui a déjà d'autres chats à fouetter, en a pour des années à recoller les pots cassés.
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mdavid@ledevoir.com


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