Selon une étude du Conseil supérieur de la langue française, les Québécois sont attachés à la langue française, mais jugent que l’anglais est aussi important dans le monde du travail.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Environ un demi-milliard de citoyens dans le monde vivent dans des États dont la langue commune est principalement l’anglais. Les plus importants sont les États-Unis, l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. C’est considérable, mais moins que la population des pays dont la langue commune est le mandarin, l’hindi ou l’arabe. Ce ne sont toutefois pas des langues internationales comme le sont l’anglais et le français.
L’anglais est la « langue franche » à l’échelle planétaire. Même si, par exemple, dans les milieux touristiques européens, l’anglais n’est pas aussi répandu qu’on le prétend, ou si, dans un pays comme l’Inde, dont c’est une langue officielle, assez peu de gens le parlent, il est pertinent pour les Québécois de maîtriser l’anglais, surtout dans l’environnement américain.
L’anglais est essentiel pour ceux qui nous représenteront dans les secteurs du commerce, des télécommunications, du tourisme, de la finance, de la haute technologie, de la recherche et quelques autres, sans pour autant renoncer au français. Il est un complément utile pour les travailleurs des autres domaines pour qui, cependant, il n’est pas essentiel. Il va de soi que la préférence personnelle ou l’unilinguisme de l’employeur ne justifient pas l’imposition de l’anglais.
Les Québécois ont fait le choix en 1977 d’articuler leur seule langue officielle autour d’un certain nombre de règles qui visaient à faire du français, outre la langue officielle, la véritable langue commune, du travail et du commerce, de l’affichage et de l’enseignement. Dans cette foulée, chacun reconnaissait qu’elle devait aussi être celle dans laquelle s’intégreraient les immigrants.
Un Québec décomplexé et confiant
Une étude publiée la semaine dernière par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) jette un éclairage singulier sur 35 ans d’application de la Charte de la langue française - application très discutable et minée par les juridictions dont s’est emparé le Canada -, mais surtout sur un Québec sans complexes et sans inquiétudes jusqu’à l’imprudence dans sa relation tant avec le français qu’avec l’anglais.
De façon générale, l’étude Importance et priorité du français pour la population québécoise laisse entendre que les Québécois, y compris ceux d’expression anglaise, sont attachés au français dans leur vie sociale, culturelle et identitaire. En revanche, le français est perçu comme d’importance égale ou moindre que l’anglais en matière d’économie, d’emploi ou même de relations avec nos institutions et notre immigration. Il importe de prendre acte de cette tendance à laquelle on répugne à opposer la contrainte, sûrs que nous sommes que, dans un avenir prévisible au moins, le français ne disparaîtra pas.
Dans une intervention récente, je mentionnais d’ailleurs la crainte que le paradigme linguistique implanté par la loi 101 ne soit en voie d’être inversé. D’une situation où la maîtrise du français est essentielle et celle de l’anglais utile au Québec, le constat opposé progresse : l’anglais est de plus en plus imposé comme essentiel en matière d’emploi à Montréal, et le français un complément utile. Un survol de l’étude confirme que ce constat est plus lucide qu’alarmiste, mais ne serait pas reçu tant avec inquiétude qu’avec une certaine insouciance.
Retour d’un handicap
L’étude rendue publique par le CSLF se pose comme un constat localisé dans le temps, un instantané qui précède le débat. Pour lancer la discussion, à la veille d’une élection où l’identité, la langue, la culture et les valeurs seront encore des enjeux, je pose l’hypothèse que l’inversion de ce paradigme linguistique deviendra rapidement un handicap pour les francophones sur le marché du travail. J’allais dire « redeviendra » parce que la Révolution tranquille, dont la Charte de la langue française est un jalon crucial, n’a-t-elle pas eu pour objet, justement, de donner aux Canadiens français devenus Québécois un statut économique égal, au détriment de celui de porteur d’eau ?
Les scrupules des Québécois, historiquement reflétés par leurs élus, laissent entendre que tant que le français est un trait distinctif du Québec, les mesures plus coercitives au regard des services en anglais aux immigrants ou de l’application de la loi 101 au niveau collégial peuvent heurter la bonne conscience. Enseigner dans la langue officielle avec la générosité que ce soit pratiquement gratuit, accueillir les immigrants dans la langue officielle, traiter avec les entreprises dans la langue officielle, ces comportements normaux dans tous les pays du monde sont vus comme des contraintes par beaucoup de ceux-là mêmes dont ces choix visent à perpétuer la langue, la culture et l’identité.
Toutefois, comme l’a prouvé la loi 101 du docteur Camille Laurin, une tendance lourde n’est pas irréversible. Il suffit d’en avoir la volonté politique. Au terme de 35 ans d’application incertaine de la Charte de la langue française, en parallèle d’une évolution accélérée de la société québécoise dans un contexte de mondialisation encore plus culturelle qu’économique, et soumise bien sûr aux attaques multiculturalistes d’une constitution canadienne à laquelle nous avons toujours refusé d’adhérer, il n’y a rien de radical, d’extrême ou d’alarmiste à s’engager à la mettre à jour.
Des visions qui s’affrontent
Il est peut-être non seulement urgent, mais aussi opportun de replacer à l’agenda une réflexion sur les véritables perspectives à long terme du français au Québec et dans le monde. Au-delà de la fête, le Forum mondial de la langue française qui a lieu en ce moment à Québec jusqu’au 6 juillet doit servir ce projet.
Lors de cette prochaine campagne électorale, deux visions s’affronteront. Le Parti libéral devra justifier la permission accordée de recourir aux écoles passerelles. Il se fera rappeler son incohérence dans sa négation, puis son aveu timide et enfin sa soudaine attitude électoraliste en matière d’affichage. Il devra expliquer la perpétuation d’une approche linguistique déroutante dans l’accueil des immigrants. Il sera questionné sur la tolérance dans la nomination de cadres unilingues anglophones dans nos propres sociétés d’État.
Il portera le poids du doute pour son application intransigeante d’une mesure d’enseignement intensif de l’anglais soumise aux attentes d’intérêts particuliers, mais contraire aux recommandations des enseignants et des experts en termes pédagogiques et de ressources disponibles.
Le gouvernement actuel aura été en poste près de dix ans. Il en aura fallu bien moins à celui de René Lévesque pour franciser dans l’enthousiasme le visage du Québec. Le message implicite mais insistant qu’a distillé le gouvernement Charest est au contraire celui de l’importance plus grande de l’anglais que du français en économie, en emploi, en relations internationales, reléguant toujours un peu plus le français au domaine plus léger mais opportunément visible des arts qui se déploient singulièrement bien dans l’adversité. L’anglais, la vraie affaire ; le français, sympa. Vous voulez le bien de vos enfants, assurez-vous d’abord de leur maîtrise de l’anglais, au détriment s’il le faut du français, des mathématiques, des sciences et surtout de l’histoire.
Amour d’une langue
Il n’y a dès lors qu’un pas pour conclure à une renonciation passive au français, une tolérance complaisante des reculs, un aveuglement et un mensonge à soi-même qui facilite celui adressé aux autres, et au bénéfice d’intérêts politiques à plus court terme : financement, espoir électoral, obstacle à la souveraineté en n’affrontant pas le fédéral… Le prix à payer pour faire échec à ce qui, partout ailleurs, est une aspiration normale.
Comme formation politique, comme héritiers de René Lévesque et Camille Laurin - dont tout le monde se revendique désormais jusqu’aux libéraux qui se sont farouchement opposés à la loi 101 -, nous devons accréditer la certitude des jeunes que l’amour de la langue est en effet nécessaire. Sa promotion par une culture effervescente comme la nôtre sait l’être est le coeur de notre heureuse et durable participation à la diversité.
L’amour et la promotion pourraient toutefois ne pas suffire. Bilinguisme systématique, culpabilisation institutionnelle, incohérence entre le discours et le geste, ces ambiguïtés pas très courageuses ne rendent service ni aux francophones, ni aux anglophones, ni aux immigrants. Elles entretiennent une confusion coûteuse, nuisible aux objectifs d’intégration et génératrice de conflits.
L’amour de la langue peut devoir aussi s’exprimer par une salutaire fermeté. Toutefois, parmi les réflexions à venir, la nôtre suggère que bien des tergiversations seront désuètes si, comme tous ceux qui le peuvent, le peuple québécois s’empare enfin et bientôt de sa souveraineté politique.
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Yves-François Blanchet, Député de la circonscription de Drummond et porte-parole de l’opposition officielle en immigration, communautés culturelles et langue
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