Marie-Andrée Chouinard - «On ne parle pas beaucoup de l’amour de notre langue ! Pourtant, c’est de là que tout démarre», dit Éléonore Paré, 17 ans, qui vient tout juste de terminer son secondaire au collège Mont-Saint-Louis.
Les Québécois l’ont exprimé on ne peut plus clairement dans une enquête tout juste dévoilée par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) : la réussite sociale passe par le français, mais pour garantir son avenir économique, l’anglais trône à côté du français. Des données qui traduisent une contradiction entre le désir individuel des jeunes de maîtriser l’anglais tout en poursuivant la défense collective du français.
Gabrielle, Juliette et Éléonore. De beaux visages sur des statistiques montrant les jeunes guidés par cette mondialisation à l’anglaise, mais le coeur porté à la défense du français identitaire. Pour la collectivité, ils jugent important que le français soit traité comme s’il vivait sous une menace. Sur leur route personnelle, ils ne voient pas les langues comme des rivales les unes face aux autres, mais plutôt comme des sources complémentaires d’enrichissement.
« Je ne pense pas que le français soit en danger “ alerte rouge ”, mais je crois qu’il est beaucoup plus fragile qu’on ne le croit. » Gabrielle Tremblay-Baillargeon n’a pas toujours eu cette impression d’avoir fort à faire pour préserver sa langue. Les 21 années de sa jeune vie se sont passées en berceau francophone, niché sur le Plateau Mont-Royal.
« Quand je suis arrivée à l’Université Concordia et que je suis allée faire faire ma carte étudiante, j’ai eu carrément l’impression d’être en voyage, dans un autre pays », raconte l’étudiante, qui a complété une année en études cinématographiques à l’université anglophone de Montréal, mais ne poussera pas l’expérience plus loin. Question de langue ? « Moi, je dirais que non, mais peut-être qu’il y a un peu de ça dans le fond », répond Gabrielle, qui passera à l’Université de Montréal à l’automne, principalement parce que le programme lui convient mieux.
Un an sur la planète anglaise et l’impact d’un « minichoc culturel » lui ont fait prendre conscience de l’importance de sa culture francophone et de la facilité avec laquelle elle pourrait tout doucement en perdre des pans. « J’ai vu que ce serait possible de parler tout le temps en anglais, avec des tournures en anglais, d’adopter d’autres habitudes ; je me suis dit que c’était comme ça, tout simplement, qu’on pouvait passer à une forme d’“ assimilation ”, ceci dit entre gros guillemets. »
Facteur cool
Chemin faisant à Montréal, l’oreille attrape en effet un peu de tout : la langue chantante de la diversité, l’efficacité de l’anglais, beaucoup de français, bien sûr, mais aussi ce mélange hétéroclite de plus en plus à la mode, où se croisent français et anglais dans une même conversation. « C’est carrément devenu cool de parler anglais, comme si le français, lui, perdait de son importance », déplore Juliette Casgrain, 18 ans, qui remarque dans son entourage une tendance à parsemer d’anglais ici et là les tournures de phrase. La jeune fille en est agacée, car cela lui retourne l’image de sa langue en perte de vitesse. Mais elle comprend que l’on succombe à cette tendance, tant les tentacules anglophones, d’Internet à la musique, en passant par la télé et le cinéma, sont audacieux, titillant tout particulièrement les jeunes.
Le franglais est une tentation à laquelle elle refuse de succomber, mais cela lui coûte un effort. Elle étudie au collège Marianopolis, un établissement collégial anglophone privé situé en plein coeur de Westmount. Un choix motivé par son désir de devenir scientifique plus tard. « Comme je veux aller en sciences, que je suis intéressée par la recherche, que les documents, les rapports, tout est rédigé en anglais, que plusieurs bonnes universités sont anglophones, je me suis dit que j’allais me donner toutes les chances en allant parfaire mon anglais. »
Une fois passé le seuil de l’école, elle s’impose de remiser l’anglais. « Ce serait tellement facile de tout faire en anglais, mais je lutte contre ça. Je ne veux pas mélanger, je ne veux pas parler franglais, je ne veux pas tomber dans la banalisation que je vois autour et qui me choque. »
Individu ou collectivité?
Mais ces allers-retours de l’une à l’autre langue finiront-ils par éroder l’identité linguistique ? Le sociologue Gérard Bouchard observe attentivement les changements qui s’opèrent dans la société québécoise et touchent au fer de l’identité qu’est la langue. Comme il nous l’écrit dans un texte publié aujourd’hui en page Idées, l’équilibre lié à la langue comme composante identitaire principale des Québécois est « maintenant menacé par la mondialisation qui bouleverse les paramètres des dernières décennies ». « Comment sortir de la contradiction à laquelle plusieurs d’entre nous sont présentement confrontés, qui nous fait beaucoup aimer le français collectivement mais nous fait aussi beaucoup miser sur l’anglais individuellement ? », demande-t-il.
Tolérance plus que coercition
Les jeunes interrogés sentent la « menace » pesant sur leur langue, reconnaissent l’extrême nécessité de la loi 101 même s’ils n’ont rien connu du contexte l’ayant rendu nécessaire et croient tous que le meilleur rempart du français demeure l’amour et la fierté qu’on éprouve pour lui. « Je sais que la loi 101 est nécessaire. Mais je ne suis pas à l’aise avec tout ce qui rime avec “ forcer ” le français. La tolérance à l’endroit de tous, le respect de la diversité, ce sont des valeurs très importantes pour moi, que je ne peux pas sacrifier. »
Sitôt sa tirade exprimée, Éléonore Paré, 17 ans, confie une ambivalence. « Je sais que l’anglais est en train de prendre tout un espace, mais je trouverais tellement dommage de briser un esprit de curiosité, de diversité, d’ouverture, en ajoutant des lois et des règlements. C’est important de protéger la langue, mais je trouve dommage le prix à payer pour la préserver. »
Elle vient tout juste de terminer son secondaire au collège Mont-Saint-Louis, avec un examen du ministère en français où elle a disserté sur ce sujet imposé : précisément le statut du français en péril dans le monde entier. Éléonore a indiqué qu’il était évident que la menace planait, mais qu’elle jugeait suffisants les outils dont on dispose pour placer le français dans un écrin. « On parle sans cesse de règles, de balises, de lois. On ne parle pas beaucoup de l’amour de notre langue ! Pourtant, c’est de là que tout démarre. »
Le malaise de la langue encarcanée, d’autres avant Éléonore l’ont exprimé. Un certain René Lévesque, par exemple, sous le règne duquel, en 1977, fut instaurée la Charte de la langue française de Camille Laurin. « C’est quelque chose qui crée un malaise chez moi, d’être obligé de faire des lois là-dessus, quand je me dis que le jour où - bientôt espérons-le - les Québécois, comme peuple, prendront la décision de s’appartenir politiquement, il est fort probable que les neuf dixièmes des raisons pour lesquelles on est obligés de légiférer sur la langue en ce moment disparaîtraient », avait dit le premier ministre au moment de lancer cette révolution linguistique.
Naïve jeunesse?
Le combat d’une collectivité se diluera-t-il tranquillement, au profit de cette ouverture sur le monde ? La sociolinguiste Chantal Bouchard, professeure à l’Université McGill au Département de littérature, ne s’inquiète pas outre mesure des passages d’une langue à l’autre, car elle constate que les jeunes assument bien plus et mieux leur identité linguistique qu’à une certaine époque où le français non « normatif » parlé au Québec gênait, dérangeait, au point où on en avait honte. « Ils ont une meilleure assise de leur langue, ils en sont fiers, alors je ne suis pas trop inquiète de leur rapport individuel à la langue, même s’ils glissent à l’anglais au passage. »
La spécialiste, qui s’intéresse au rapport des Québécois à la langue mais depuis le milieu du XIXe siècle, où un discours négatif enrobait notre belle langue, voit toutefois d’un tout autre oeil l’avenir collectif du français si rien n’est raffermi, du côté des institutions, pour en faire aux yeux des immigrants, non pas un outil accessoire, mais plutôt une denrée essentielle. « On ne doit pas baisser la garde sur le plan collectif et plutôt demeurer très, très exigeants. Ne serait-ce que pour des considérations d’ordre démographique, qui appellent à plus d’immigration, c’est capital. »
D’ailleurs, cette jeunesse qui rêve d’une langue aimée plutôt que protégée par des lois est peut-être un brin naïve, croit Mme Bouchard. « Je crois que c’est un brin de naïveté et d’inconscience de la part de jeunes qui ne prennent pas conscience des forces en présence », explique-t-elle.
Comment faire?
Gabrielle ne croit pas tellement aux campagnes de promotion du type « Le français c’est cool » pour donner la piqûre du français. « C’est par la sphère culturelle que ça doit se propager, l’amour d’une langue. »
Juliette prône la vigilance et les efforts constants. « Je souhaite que les jeunes ne succombent pas à la facilité, parce que la facilité, c’est l’anglais en ce moment. »
Éléonore est encore tout imbibée de sa rencontre avec La Pléiade, ce groupe de poètes du XVIe siècle voué à l’enrichissement de la littérature et de la langue française. « Pour y croire, ça nous prend des défenseurs de la langue, mais des personnages inspirants, en qui on croit. Pour l’instant, je ne vois pas trop qui ça pourrait être… »
Les jeunes et la langue française
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