Vigile est honoré d'accueillir parmi ses collaborateurs le grand journaliste d'enquête français
Monsieur le Président, Madame et Monsieur les assesseurs, Mesdames et Messieurs les Jurés, vous avez une tâche très difficile, celle de juger un homme dans un système totalement déséquilibré en faveur de l’accusation, un système injuste. Je ne connais pas Pascal Simbikangwa et les raisons qui l’ont conduit dans le box des accusés, mais je sais que ce procès pose nombreux problèmes sur la manière dont la justice se réclamant de la compétence universelle est exercée.
Mon témoignage de contexte a d’abord pour objectif d’attirer l’attention sur l’importance du cadre dans lequel la Justice a inscrit les faits reprochés à l’accusé. La Cour les situe dans ceux « d'une organisation collective reposant nécessairement sur un plan concerté », comme je l’ai lu dans la lettre de motivation, adhérant ainsi à l’existence d’un plan machiavélique établi en 1990 pour éliminer les Tutsis. Or, le 18 décembre 2008, le Colonel Bagosora, « cerveau du génocide », a été acquitté du crime « d'entente en vue de commettre le génocide », une qualification recouvrant l'élaboration collective du projet génocidaire et les préparatifs nécessaires en vue de son exécution. La Cour balaie ainsi la thèse attribuée à l’accusé d’un mouvement populaire chaotique, spontané, incontrôlable qui aurait suivi l’attentat du 6 avril 1994 contre le Falcon 50 dans lequel sont morts les présidents rwandais et burundais. A-t-elle pour autant pris le parti de la vérité? J’en doute. L’attentat ne peut être évacué des enchaînements du drame rwandais. Presque tout le monde est en effet d’accord pour considérer cet attentat comme le « facteur déclenchant du génocide ». Ce n’est donc pas anodin de savoir quels sont les commanditaires de cet attentat.
« S’il était avéré que c’est le FPR qui a abattu l’avion du président Habyarimana, c’est toute l’histoire du génocide du Rwanda qu’il faudrait réécrire. Bien que cette situation n’atténue en rien la responsabilité des extrémistes hutus dans la mort de centaines de milliers de personnes, elle ferait apparaître le FPR sous un jour nouveau […] », pour reprendre les mots de Carla del Ponte, ancienne procureure du TPIR. Ou exprimé plus prosaïquement, Paul Kagame et le FPR auraient une responsabilité dans le génocide des Tutsis et des Hutus modérés. Autrement dit s’il était avéré que c’est le FPR qui avait abattu l’avion, la thèse soutenue par la Cour volerait en éclats.
C’est à l’intérieur du Palais de Justice de Paris que sera tranchée cette question essentielle. À la suite d’une plainte déposée par la famille du personnel français pilotant le Falcon 50, le juge Jean-Louis Bruguière a ouvert une enquête quatre ans après les faits. En 2006, il a lancé neuf mandats d’arrêt internationaux contre neuf proches de Paul Kagame. Provoquant une grave crise politique entre le Rwanda et la France que le président Sarkozy a tout fait pour aplanir. Marc Trévidic, le successeur du juge Bruguière, a donné une nouvelle orientation à l’instruction. Laquelle a été bouclée voici quelques mois. Kigali espérait qu’un non-lieu allait être prononcé. Mais le général Kayumba Nyamwasa, patron de la DMI, les services secrets rwandais, au moment de l’attentat, a décidé de parler au juge après lui avoir acheminé un document dans lequel il accuse Paul Kagame et deux de ses proches d’être les auteurs de l’attentat.
Soldat de l'Armée patriotique rwandaise, dirigée par Paul Kagame, devant la carcasse de l'avion présidentiel abattu le 6 avril 1994 par un missile SA 16 IGLA fabriqué en avril 1987 par l'Union soviétique et vendu à l'Ouganda. Deux missiles ont été tirés, mais un seul a fait mouche. Les tubes lance-missile ont été découverts à Masaka le 25 avril 1994. Ils portaient les nos de série 04814 et 04835. Les tireurs étaient deux militaires de l'APR, Franck Nziza et Eric Hakizimana. Ils faisaient partie de l'équipe constituée par le colonel James Kabarebe, l'actuel ministre de la Défense du Rwanda, afin de commettre l'attentat où ont péri Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, respectivement chefs d'État du Rwanda et du Burundi, de même que sept autres dignitaires rwandais et burundais et les trois membres d'équipage, de nationalité française.
L’instruction judiciaire vient donc d’être rouverte et nul ne peut savoir de quel côté penchera la balance de la justice. Kigali est en fureur contre cette réouverture et, par effet miroir, considère que cette décision n’est pas le fait de la justice, mais des autorités françaises et vise à déstabiliser Paul Kagame. Ce dernier, en rétorsion, a commencé d’ailleurs à prendre des mesures d’intimidation visant à bloquer le cours de la justice. Sachez, Mesdames et Messieurs les Jurés, que tant que l’instruction n’est pas terminée, c’est donc bien le FPR et Paul Kagame qui sont soupçonnés d’avoir commandité l’attentat, le facteur déclenchant du génocide. Huit Rwandais du FPR sont toujours mis en examen et un neuvième, le général Kayumba Nyamwasa, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Ce simple rappel des faits montre ainsi l’incohérence de l’approche de la question rwandaise au sein de l’institution judiciaire.
Avant même de parler plus à fond de la spécificité française de juger des Rwandais, je vais enfoncer une porte ouverte en soulignant la très grande difficulté d’appréhender des faits datant de 22 ans. Difficulté encore plus grande quand instructeurs et magistrats n’appartiennent pas à la même culture que les justiciables.
Au-delà du cas de Pascal Simbikangwa, je suis convaincu de l’impossibilité de juger équitablement et sereinement des Rwandais en France. Le pôle génocide est malgré lui producteur d’injustice. Au départ, encore éloignée du réel, l’idée de traquer les génocidaires pouvait apparaître belle parce qu’universaliste. Mais la réalité rend sa mise en œuvre impossible. D’abord et avant tout parce que le fonctionnement d’un tel pôle supposerait une intime coopération entre deux justices indépendantes de pays démocratiques. Or le Rwanda est une dictature, et ce qui tient lieu de justice n’a évidemment aucune indépendance.
Dire que le Rwanda est une dictature n’est pas un scoop, mais j’ai cru comprendre que cette affirmation n’est pas acceptée par ceux qui sont à l’origine de ce procès!
Je ne suis pas seul à le dire. Ainsi parle Human Rights Watch :
Le gouvernement impose des restrictions sévères sur la liberté d’expression et ne tolère pas la dissidence. L’espace politique est extrêmement limité et la société civile ainsi que les médias indépendants sont affaiblis. Des opposants et des détracteurs du gouvernement ont été tués, agressés ou menacés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. En dépit de réformes juridiques, le système judiciaire manque d’indépendance dans les affaires politiques et sensibles. Plusieurs dizaines de personnes ont été détenues illégalement par la police ou par l’armée, dans des centres de détention non officiels, où certaines ont été torturées ou maltraitées. Des dizaines de personnes ont été victimes de disparitions forcées en 2014.Certaines ont réapparu en prison suite à une détention prolongée au secret; d’autres demeurent des victimes de disparitions forcées.
De son côté, Gerald Gahima, ancien procureur du Rwanda a affirmé à Marianne :
Le Rwanda est un pays à la fois mystérieux et dangereux qui présente une façade démocratique, contrôlé par un seul homme qui a la main sur toutes les institutions : l’exécutif, la justice, le parlement, le parti au pouvoir et la société civile. Donc, toute personne ou organisation qui n’est pas en phase avec la politique du président Kagame est potentiellement en danger. C’est un pays très étroitement contrôlé.
L’universitaire belge Filip Reyntjens, grand connaisseur du Rwanda, va encore plus loin puisqu’il parle de Paul Kagame comme du « plus grand criminel de guerre en fonction ». Oui, le Rwanda est une dictature sanguinaire comme le rapport Gersony de septembre 1994 le montrait déjà. Il soulignait que, dans les 41 localités où l'enquête avait eu lieu, plus de trente mille civils avaient été tués par le FPR. Ce rapport fut enterré comme le furent de nombreux autres qui mettaient en cause le FPR, notamment les rapports dans lesquels l’ONU impute au Rwanda des carnages, des pillages et d'autres crimes dans l’Est du Congo. Le rapport remis à Kofi Annan le 30 juin 1998 confirme l’ampleur des massacres de réfugiés hutus, même si les enquêteurs, dirigés par Roberto Garreton, n’ont pu aller au terme de leur enquête : ils en furent empêchés par Laurent-Désiré Kabila. Le secrétaire général de l’ONU a écrit au Conseil de sécurité en reprenant certaines conclusions de ce rapport : « Les tueries auxquelles se sont livrés l’AFDL et ses alliés, y compris des éléments de l’armée rwandaise, constituent des crimes contre l’humanité », soulignant que des enquêteurs « pensent que certains meurtres peuvent constituer des actes de génocide selon l’intention qui les motivait ».
Le massacre de Kibeho, perpétré le 22 avril 1995 par l'Armée patriotique rwandaise (APR), contre des déplacés hutus entassés comme du bétail et pratiquement à l'agonie. Ce jour-là, sous les regards des Casques bleus, les hommes de Paul Kagame ont fait de 5 000 à 8 000 morts. Ce n'est que l'un des innombrables massacres qu'ils ont commis depuis qu'ils ont déclenché la guerre d'agression contre le Rwanda, le 1er octobre 1990. Aujourd'hui encore, Paul Kagame continue de tuer au Rwanda, en RDC et ailleurs, avec la complicité de plusieurs capitales occidentales. Loin de mettre fin au génocide de 1994, l'APR y a largement contribué en massacrant un nombre incalculable de Rwandais. Un témoin, Marcel Gérin, qui a été fait prisonnier par l'APR et a échappé de justesse à la mort, affirme qu'en avril 1994, il a roulé dans le sang des victimes de l'APR sur une distance de trente kilomètres. L'APR a parfois sévi en revêtant l'uniforme des Forces armées rwandaises, de manière à lui imputer les crimes. Ce fut le cas notamment de l'assassinat de la famille du chanteur Corneille.
J’ai eu à connaître personnellement la nature du régime rwandais. J’ai vu Victoire Ingabire peu de temps avant son départ à Kigali en janvier 2010. Elle avait l’intention de se présenter aux élections présidentielles. Son parti n’ayant pas été reconnu, elle n’a pu se présenter et a été arrêtée en octobre suivant, puis jugée et condamnée à 15 ans de prison pour « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre, minimisation du génocide de 1994 et propagation de rumeurs dans l'intention d'inciter le public à la violence ».
À l’automne 2013, j’ai eu à plusieurs reprises le colonel Patrick Karegeya au téléphone. Il m’a dit vouloir venir témoigner à Paris dans le cadre de l’instruction sur l’attentat contre le Falcon 50. Il avait d’ailleurs affirmé au micro de RFI qu’il était en mesure de prouver d’où les missiles avaient été tirés. Mais le colonel Karegeya n’est pas venu à Paris : il a été étranglé dans sa chambre d’hôtel de Johannesburg le 1er janvier 2014. Que dire également des deux tentatives d’assassinat contre le général Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien patron de la DMI, également en Afrique du Sud? Ou encore de l’enlèvement d’Émile Gafirita à Nairobi quelques heures après avoir reçu la convocation envoyée par le juge Trévidic, qui avait refusé de garder secrète sa venue à Paris.
Je voudrais également insister sur la dépendance du pôle génocide à l’égard du Collectif des Parties Civiles Rwandaises (CPCR), qui assure, pour le compte de la justice rwandaise, la fonction accusatrice du pôle. Alain Gauthier, devenu rwandais pour services rendus, travaille en étroite relation avec le procureur général du Rwanda. Il en est, avec le CPCR, le bras armé. Il a accès à toutes les procédures en cours. Il est financé par le Rwanda. Souvent aidé par le journaliste Jean-François Dupaquier, ayant acquis comme lui la nationalité rwandaise, il traque les prétendus génocidaires installés en France avec des méthodes dignes de la Stasi : il harcèle les maires des communes où vivent les Rwandais « recherchés » par Kigali, envoie des lettres infamantes sur les avocats qui osent les défendre et sur les gens qui, comme moi, ne partagent pas leur analyse de la tragédie rwandaise.
Alain Gauthier et sa femme Dafroza sont totalement engagés aux côtés du FPR depuis 1990. Après la victoire de Paul Kagame en 1994, Mme Dafroza Gauthier, liée familialement au général James Kabarebe, proche parmi les proches du président Paul Kagame, mis en examen dans l’instruction sur l’attentat du 6 avril 1994, s’est d’ailleurs installée comme la propagandiste en chef du régime rwandais à la tête de la Communauté rwandaise de France (composée en réalité de Tutsis partisans du FPR), en même temps qu’elle a été une militante active de l’association IBUKA, autre excroissance du FPR.
Alain Gauthier et sa femme Dafroza, invités d'une émission de télévision en France, le 9 mai 2016. Les Gauthier organisent la traque des Hutus en France pour le compte du sanguinaire dictateur Paul Kagame. Ils disposent pour ce faire des moyens de l'État rwandais, qui fabrique en série les faux témoins à grand renfort de torture et de menaces et qui assassine ou emprisonne tout opposant politique véritable. Les Gauthier ont des liens familiaux avec le ministre de la Défense du Rwanda, James Kabarebe, l'un des principaux organisateurs des massacres de masse de Hutus.
Alain Gauthier passe grosso modo la moitié de son temps au Rwanda, où il a accès à toutes les procédures en cours. Une fois son marché fait, tandis que le procureur rwandais lance des demandes d’extradition, Gauthier revient en France, porte plainte contre les cibles définies à Kigali et, en attendant les décisions judiciaires, leur pourrit la vie. En quinze ans, Alain Gauthier a été à l’origine de 28 plaintes dont 22 au nom du collectif et souvent de façon conjointe avec celles déposées par des organisations humanitaires. Alain Gauthier est un si bon petit soldat du régime rwandais qu’à la fin du premier jour du procès en appel, il a rendu compte à Kigali de son déroulement, dans un article pour le site internet proche du régime igihe.com.
Une fois acceptée par le pôle, la plainte initiée par la CPCR devrait entrer dans une mécanique « normale ». Juges et officiers de police judiciaire tentant de mener une instruction à charge et à décharge. En dehors du Rwanda, ils ne rencontrent pas de problème. Au Rwanda, en revanche, ils dépendent du bon vouloir de la justice rwandaise, qui est à l’origine de la plainte et n’a donc aucune raison de faciliter une instruction à décharge. Les témoins n’ont par ailleurs aucune liberté, car ils savent qu’ils risquent leur vie s’ils s’opposent à la doxa rwandaise. Pour étayer mon affirmation sur l’impossibilité pour des magistrats de travailler normalement avec le Rwanda, je crois qu’on peut se référer aux expériences de deux anciennes procureures du TPIR, Louise Arbour et Carla del Ponte.
Louise Arbour, dans une interview accordée le mois dernier au Globe and Mail, dit avoir prévenu sa successeure, Carla del Ponte, que « les investigations ne peuvent être faites qu’à l’extérieur du Rwanda à cause des dangers et des difficultés de travailler à l’intérieur du Rwanda […] Nous travaillions dans un environnement fragile. J’avais beaucoup de problèmes à propos de la sécurité de nos témoins […] Le tribunal était constamment dans une position conflictuelle avec le président Kagame. »
Carla del Ponte a donné encore plus de détails sur l’impossibilité de mener au Rwanda une enquête sereine dans La Traque, les criminels de guerre et moi :
Les autorités rwandaises tenaient déjà sous contrôle chaque étape de nos enquêtes, écrit-elle. Nous savions que le service du renseignement du Rwanda avait reçu des États-Unis un équipement de surveillance qui était utilisé pour les appels téléphoniques, le fax et le trafic Internet. Nous suspections que les autorités avaient aussi infiltré notre réseau informatique et placé des agents parmi les interprètes rwandais et d’autres membres de l’équipe à Kigali. En d’autres termes, les Rwandais savaient en temps réel ce que faisaient les enquêteurs de la Cour.
Ce déséquilibre entre accusation et défense est accentué par la disproportion des moyens entre les deux. L’accusation dispose en réalité des moyens d’un État, alors que la défense n’en a aucun. Je fais mien le cri de colère de la défense que j’ai trouvé sur internet en préparant mon intervention :
Criant déséquilibre, car il ne bénéficie d’aucune des garanties du TPIR. En effet, alors que le TPIR, tribunal spécialisé, bénéficie d’un statut, d’un règlement, de garde-fous procéduraux, de l’accès à des avocats largement rémunérés, la loi française est… vide. Elle n’accorde aucun moyen au mis en examen. Pire, elle lui ôte toute possibilité de défense. Absence d’accès au dossier, impossibilité pour la défense de se déplacer au Rwanda aux côtés des magistrats instructeurs et du Parquet, prise en charge du dossier par des magistrats inexpérimentés, ce avant la création d’un pôle génocide qui ne fera ressortir qu’avec plus d’éclat le déséquilibre flagrant entre l’accusation et la défense. D’un côté, un Parquet, enfermé dans ses certitudes, qui dispose d’assistants spécialisés. De l’autre, une défense commise d’office qui peine à se faire entendre faute de moyens et dont chaque tentative désespérée d’ouvrir le débat est lâchement taxée de négationnisme.
Je sais déjà que les parties civiles me taxeront également de négationnisme pour avoir exprimé mon point de vue. Une accusation monstrueuse puisqu’elle renvoie à la négation de la Shoah. Accusation dont je suis victime depuis onze ans. Vendredi dernier, vous avez déjà eu un avant-goût des attaques des militants pro-Kagame avec le témoignage de l’universitaire Hélène Dumas. Après avoir évoqué l’existence de plusieurs types de négationnisme, elle a asséné : « Celui qui vient de l’extérieur (Péan, par exemple) ». Ce coup bas est une parfaite illustration de mon propos. Si Hélène Dumas est chargée de recherche au CNRS, elle travaille également en étroite relation avec le Docteur Jean Damascène Bizimana, le secrétaire exécutif de la Commission Nationale contre le Génocide (CNLG).
Qu’est-ce que la CNLG? C'est un organisme d’État rwandais qui est au cœur du réacteur de la lutte contre la France et qui, comme par hasard, est l'organisme qui vient de lancer, après la réouverture récente du dossier d'instruction sur l'attentat, la menace d’accusation de 22 militaires français pour participation au génocide. Le communiqué de la CNLG du 30 octobre 2016 est on ne peut plus clair sur le chantage exercé contre la France et sa justice. Je cite : « La manipulation du dossier de l’avion, une occultation des responsabilités françaises dans le génocide : cas des officiers militaires français ».
Vous avez assisté vendredi dernier à la projection du documentaire « Tuez-les tous! » — Rwanda : Histoire d’un génocide sans importance, réalisé par Raphaël Glucksman, David Hazan et Pierre Mezerette, qui est en parfaite adéquation avec la thèse défendue à Kigali et avec la toile de fond de ce procès. Par souci d’équilibre, la Cour pourrait, devrait projeter le documentaire de la BBC , qui raconte une histoire complètement différente du drame rwandais et qui a suscité une pétition signée notamment par Hélène Dumas, Alain Gauthier, Jean-François Dupaquier et les amis français de Kagame. Vous constateriez ainsi qu’il y a deux lectures antagonistes du drame rwandais.
Vous avez compris que je partage celle de la BBC, à savoir que :
1. Cette histoire dramatique est une guerre civile commencée en octobre 1990 par une agression armée des Tutsis de l’extérieur, regroupés dans le FPR et soutenus par l’Ouganda.
2. Les troupes du régime en place, aidées par la France, ont tenté de contrer cette attaque.
3. Les troupes du FPR se sont livrées à des massacres.
4. Elles ont provoqué un exode de plus d’un million de Rwandais.
5. Les extrémistes hutus se sont livrés à leur tour à de graves exactions.
6. Pour accélérer la prise de pouvoir, Paul Kagame a commandité l’attentat contre l’avion d’Habyarimana.
7. Les extrémistes hutus, convaincus qu’ils assistaient à une reproduction de ce qui s’était passé au Burundi six mois plus tôt, à savoir l'assassinat par les Tutsis de Melchior Ndadaye, le président hutu démocratiquement élu au Burundi, et les massacres de Hutus qui ont suivi, ont alors commencé ce qu’on appelait, jusqu’à la fin des années 1990, « le génocide des Tutsis et des Hutus modérés ». Ils ont encouragé la population à les suivre. Toutefois, une des premières victimes n’a-t-elle pas été la première ministre hutue Agathe Uwilingiyimana, suivie de nombreuses personnalités hutues?
8. Des massacres contre des Hutus ont également eu lieu.
Bref, une guerre civile d’une extraordinaire violence dans laquelle les responsabilités ne sont pas à chercher d’un seul côté et qui ne peut être analysée comme une confrontation entre le Bien et le Mal. Si les cours internationales et nationales adoptaient la lecture du documentaire de la BBC, les Hutus ne seraient pas les seuls accusés.
Comme je l'ai dit dans mon introduction, je ne connais pas Pascal Simbikangwa et les raisons qui l’ont conduit dans le box des accusés : je ne suis donc pas son avocat ni encore moins un témoin à décharge. Je ne suis qu'un citoyen français, viscéralement démocrate et républicain, qui défend devant vous une haute idée de la justice.
Mesdames et Messieurs les Jurés, j’espère, pour conclure, que vous aurez à coeur de tenir compte de l’existence d’une vision différente du drame rwandais et des conséquences qu’elle engendrerait sur la manière de rendre la justice si elle était prise en compte.
Pascal Simbikangwa, ex-officier de la garde présidentielle rwandaise, arrive en fauteuil roulant aux assises de Bobigny pour son procès en appel, le 25 octobre 2016.
Célèbre journaliste et écrivain français, Pierre Péan est l'auteur de nombreux ouvrages marquants : Affaires africaines (1983), Une jeunesse française (1994), La Face cachée du Monde (avec Philippe Cohen, 2003) et Le monde selon K (2009). À propos du Rwanda, il a publié deux ouvrages solidement étayés qui ont déplu profondément au dictateur Paul Kagame et à ses adeptes : Noires fureurs, blancs menteurs (2005) et Carnages (2010).
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