Dans son édition du [mercredi 20 décembre, Le Devoir faisait paraître une lettre d'opinion de Nathalie Elgrably,->3490] de l'Institut économique de Montréal (IEM), sur les prétendus effets catastrophiques du salaire minimum.
On ne peut qu'être envahi d'un sentiment d'irréalité à la lecture de cette lettre: sur quelle planète vit donc Mme Elgrably lorsqu'elle nous dit que le gouvernement, en haussant le salaire minimum, «entrave la négociation d'ententes mutuellement avantageuses» entre les employeurs et les travailleurs? Ai-je bien lu «mutuellement avantageuses»?
De tels propos révèlent une profonde méconnaissance de la réalité des travailleurs non syndiqués rémunérés au salaire minimum. Seuls, donc sans rapport de force, ils n'ont pas l'ombre d'un pouvoir de négociation face à leur employeur.
Ils ne bénéficient généralement d'aucune autre augmentation salariale que celle décrétée par le gouvernement.
Toujours selon Mme Elgrably, le salaire minimum touche surtout des jeunes qui habitent chez leurs parents et qui ne sont pas pauvres. Il est vrai qu'on retrouve un nombre élevé de jeunes parmi les personnes travaillant au salaire minimum, mais il faut se rappeler que ces jeunes n'effectuent qu'une petite proportion (moins de 20 %) de l'ensemble des heures travaillées à ce taux puisque la plupart sont encore aux études.
Quant au rôle du salaire minimum devant la pauvreté, rappelons à l'IEM que près de 30 % des personnes qui gagnent le salaire minimum sont le principal soutien de famille. De plus, 30 % des personnes qui travaillent à temps plein pour un salaire horaire de moins de 10 $ font partie de ménages pauvres. Que ces personnes soient soutien principal ou non, leur apport financier est donc essentiel au ménage.
Effets pervers
Pour aider les personnes à faibles revenus, l'IEM prône les mesures de supplément au revenu (MSR), comme la prime au travail. Ces mesures présentent de nombreux effets pervers, dont voici les principaux.
- Les MSR risquent d'exercer des pressions à la baisse sur les salaires et de favoriser l'existence d'emplois de mauvaise qualité, ce qui est d'ailleurs reconnu par l'OCDE. À long terme, les MSR pourraient n'avoir aucun effet sur le niveau de pauvreté puisqu'elles contribuent à maintenir des salaires faibles et, donc, ne relèvent pas le revenu total des personnes à bas salaire.
- Avec les MSR, on quitte le terrain des relations de travail pour aller sur celui des prestations sociales, ce qui n'est pas sans conséquence. Une prestation sociale n'étant pas un salaire, aucune cotisation n'y est prélevée pour l'assurance emploi, l'assurance parentale, les régimes publics de retraite, etc. La sécurité sociale des travailleurs s'en trouve donc directement affectée alors qu'elle représente une dimension très importante de la sécurité économique des personnes salariées. Cela aussi, l'OCDE le reconnaît. Le fait qu'il s'agisse d'un revenu fiscalisé et non d'un revenu salarial affecte également les montants versés pour les heures supplémentaires, les jours fériés, etc.
- Quitter le terrain des relations de travail pour aller sur celui des prestations sociales a un autre effet: cela déresponsabilise les entreprises, qui peuvent ainsi transférer une partie de leurs coûts salariaux vers les mesures sociales financées par la collectivité. Ces mêmes entreprises réclament régulièrement une réduction de leur participation au financement des programmes sociaux, au nom, bien sûr, de la compétitivité.
- Le salaire minimum a, entre autres rôles, celui de fixer la valeur minimale du travail dans notre société. En exerçant des pressions à la baisse sur les salaires, les MSR ont pour effet de diminuer cette valeur et d'entraîner une dévalorisation du travail, tant sur le plan symbolique que sur celui de la rémunération.
Douteuse causalité
L'IEM affirme également que des «rigidités» comme le salaire minimum «freinent la création d'emplois et créent du chômage». Ce lien de causalité entre hausse du salaire minimum et pertes d'emplois est rudement mis à l'épreuve par de nombreuses recherches empiriques menées depuis le début des années 90.
Par exemple, une étude empirique américaine du Fiscal Policy Institute (2004) a constaté que, de 1998 à 2001, le nombre de petites entreprises a augmenté deux fois plus rapidement dans les États où le niveau du salaire minimum était plus élevé et que le nombre total d'emplois y a aussi augmenté plus vite. Des résultats similaires ont été obtenus dans le secteur du commerce de détail.
Sans surprise, l'IEM cible la syndicalisation comme un autre facteur responsable de nos prétendues piètres performances sur le marché du travail. Pourtant, selon la dernière étude de la firme KPMG sur les coûts des entreprises, Montréal a été jugée la moins coûteuse pour les entreprises parmi les métropoles de plus de deux millions d'habitants en Amérique du Nord. Pas mal pour un environnement si «rigide»...
En terminant, rappelons à l'IEM et à Mme Elgrably que le revenu annuel brut d'une personne qui travaille 40 heures par semaine au taux actuel du salaire minimum (7,75 $) est de 16 120 $.
Ce revenu de misère ne représente que 76 % du seuil de faible revenu, ce qui est totalement inacceptable.
La réglementation sur le salaire minimum ne vise pas à protéger les profits des entreprises mais à assurer un revenu minimum décent aux travailleurs.
Elle doit faire partie intégrante d'une stratégie globale de lutte contre la pauvreté, et il faut rapidement mettre en place une politique de redressement qui permettra d'annuler cet écart de 24 % entre le seuil de faible revenu et le revenu annuel d'une personne travaillant 40 heures par semaine au salaire minimum.
Esther Paquet, Responsable des dossiers politiques à l'organisme Au bas l'échelle
La position de l'IEM sur le salaire minimum: un exemple d'aveuglement idéologique
Par Esther Paquet
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