ÉDUCATION

La religion investit l’université

Pour survivre, la Faculté de théologie de l’Université Laval multiplie les chaires commanditées par des groupes religieux

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La fin de la théologie a l'Université Laval qui semble se convertir a l’évangélisme






La Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval tire le diable par la queue. « Le dos au mur », le doyen Gilles Routhier a décidé de la sauver, quitte à rompre avec les traditions.


 

Il procédera dans quelques semaines à l’embauche du premier professeur de tradition protestante évangélique. Une première en 165 ans d’enseignement universitaire de la théologie et des sciences religieuses au Québec. « Il y a un besoin », soutient-il à l’autre bout du fil. « Et quant à moi, la théologie n’est pas un privilège de catholiques. »


 

M. Routhier craignait le pire à son arrivée à la barre de la Faculté, en 2013. « J’ai réalisé assez vite que presque la moitié du corps professoral allait partir en trois ans. Si tu laisses aller les choses, qu’est-ce qui va arriver ? La fin », souligne le professeur, qui a été ordonné au service de l’Église de Québec. Inspiré par « Félix », l’homme de foi décide de « cracher dans ses mains et de relever ses manches ».


 

Il tombe sur le programme de chaires de leadership en enseignement (CLE), qui a été instauré il y a plus de cinq ans par le recteur sortant Denis Brière afin de pallier le sous-financement des activités de l’UL. « La création d’une CLE nécessite un engagement financier de nature philanthropique » d’« acteurs du milieu socioéconomique ». « [Cette contribution financière] doit s’échelonner sur une période minimale de cinq ans et elle doit couvrir au moins la moitié du salaire annuel de la ressource professorale titulaire de la CLE, de même qu’un montant minimal de 15 000 $ par an pour la réalisation d’activités de formation et d’innovation en enseignement », peut-on lire sur le site Web de l’Université Laval. Ces partenariats public-privé (PPP) s’avèrent la planche de salut de la Faculté de théologie et de sciences religieuses.


 

M. Routhier a monté de toutes pièces — ou presque — 9 des 28 CLE de l’Université. La CLE en enseignement en missiologie protestante évangélique est la dernière en lice. Il a pu la mettre sur pied après que des membres de la communauté évangélique du Canada, mais aussi des États-Unis — dont l’UL préserve l’identité — lui ont fait grâce de 420 000 dollars.


 

La nouvelle chaire aura pour « objectif principal » de « travailler à une actualisation de la théologie de la mission [soit la discipline qui développe une réflexion systématique sur l’activité missionnaire] et à sa mise en oeuvre en contexte québécois “postchrétien” ». Elle contribuera notamment à « former des missiologies, des praticiens et des communautés missionnaires aptes à faire face aux défis que comporte la proposition de l’Évangile dans le monde contemporain ».


 

Le Mouvement laïque québécois (MLQ) craint de voir la faculté de l’UL contribuer à la « montée, un peu épeurante », de l’Église évangélique au Québec afin de garder la tête hors de l’eau. « Au Québec, on est censé être dans une société laïque », soupire la présidente du MLQ, Lucie Jobin.


 

Le professeur retraité de la Faculté des sciences de l’éducation Claude Simard, reproche sans ambages à l’UL de verser dans le prosélytisme. « L’Université a comme tâche essentielle de faire avancer le savoir sur les divers phénomènes naturels et humains selon les principes de la rationalité et de l’objectivité. Elle n’a absolument pas à soutenir l’entreprise d’endoctrinement qu’est l’activité missionnaire des églises », a-t-il écrit dans une lettre ouverte mise en ligne sur le site Web du Devoir.


 

M. Routhier convient que le don de la communauté évangélique — qui compte quelque 75 000 croyants au Québec selon l’Association d’églises baptistes évangéliques — « n’est pas complètement désintéressé ». Cela dit, l’« intérêt » de la communauté évangélique de voir des universitaires approfondir la réflexion sur l’activité missionnaire coïncide avec l’intérêt de l’Université Laval ainsi que de la société, est-il persuadé. « Il y aura un spécialiste pour la communauté protestante évangélique [accessible à ceux qui] veulent poursuivre des études. [Pour l’UL], ce n’est pas simplement davantage d’étudiants », affirme-t-il avant d’ajouter : « S’il n’y a pas un accès à la formation universitaire, on court plus de dangers que si on forme les gens correctement à l’université, en matière de posture religieuse. Donc, ce n’est pas simplement un service au groupe religieux, c’est un service public. »


 

Les donateurs n’ont pas leur mot à dire sur le programme d’une CLE ou encore son titulaire, insiste M. Routhier. « Il y a un mur coupe-feu. » Ainsi, les Chevaliers de Colomb et les congrégations religieuses — qui sont résolument « pro-vie » — n’ont pas participé à l’élaboration du programme de la CLE en éthique de la vie — à laquelle ils ont pourtant contribué à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de dollars. L’« avènement d’une médecine techno-scientifique et d’institutions de soins complexes » force la réflexion sur une foule d’enjeux — le statut de l’embryon humain, l’utilisation des cellules souches, la procréation assistée et l’euthanasie, etc. — dans laquelle la théologie « peut trouver sa place », fait valoir l’Université.


 

L’Université Laval n’est pas la seule à solliciter et accepter l’aide financière de « partenaires externes » afin de renforcer, ou à tout le moins de maintenir, ses effectifs d’enseignement et de recherche. L’Université de Montréal entend créer une chaire portant le nom du sociologue Jacques Grand’Maison qui approfondira la connaissance du catholicisme et de ses liens avec la culture québécoise. Des communautés religieuses y ont fait des promesses de dons.


 
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