La réorientation qui en cache une autre

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Vers une UE plus dirigiste après le départ du R.-U.


Les régions britanniques ayant voté le plus majoritairement en faveur du Brexit sont celles des « perdants de la mondialisation » : ménages à revenu modeste, chômeurs, travailleurs manuels peu qualifiés, personnes âgées.


Ce sont aussi ces régions, traditionnellement travaillistes, qui ont soutenu massivement les conservateurs de Boris Johnson lors des élections générales de décembre 2019. Dans leur plateforme électorale d’ailleurs, les conservateurs ont visé cet électorat en alliant nationalisme économique et politiques redistributives.


Le gouvernement britannique table donc sur ce nationalisme économique afin de procéder à la réorientation stratégique des politiques industrielles, commerciales et étrangères du pays. Après tout, le Royaume-Uni demeure la cinquième puissance économique mondiale et un poids lourd diplomatique, avec son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Les conservateurs visent toutefois moins l’autarcie que la récupération d’une autonomie permettant au pays de découpler la définition et la poursuite de ses intérêts des contraintes institutionnelles imposées par l’UE.


C’est d’abord la recomposition des relations commerciales américano-britanniques qui retiendra surtout l’attention. La négociation d’un accord bilatéral comporte des risques : les États-Unis, considérant la situation précaire dans laquelle les Britanniques se trouvent, seront particulièrement bien placés pour exiger des concessions en matière d’accès au secteur pharmaceutique et aux marchés publics.


Cela ne signifie toutefois pas que le Royaume-Uni se retrouve sans défense, car les Américains également ont un intérêt stratégique à approfondir leurs relations avec une puissance européenne largement intégrée à un bloc économique auquel ils n’ont encore qu’un accès partiel.


Si le Royaume-Uni demeure dépendant des marchés de l’UE, cette intégration est cependant en décroissance relative alors que l’évolution structurelle de ses propres industries rapproche le pays des États-Unis et de l’Asie. Cela engendrait déjà d’importantes divergences d’intérêts commerciaux avec l’UE, en particulier avec l’Allemagne, s’étant notamment manifestées lors des négociations avortées en vue d’en arriver au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis. C’est ainsi, ironiquement, que l’UE elle-même pourrait bien entamer son propre virage interventionniste et protectionniste à la suite du Brexit.


Durcissement


Historiquement, les Britanniques ont favorisé la libéralisation au sein de l’UE, ayant contrebalancé les tendances dirigistes franco-allemandes. Puisque le Marché unique demeure en chantier, le Brexit pourrait avoir pour effet de laisser libre cours aux penchants interventionnistes réémergeant à l’échelle de l’UE.


L’amenuisement de l’accès des industries continentales au marché de la finance corporative de la City, par exemple, pourrait renforcer le recours aux subventions d’État. Depuis la crise financière de 2008, les subventions industrielles compilées par la Commission européenne ont déjà été multipliées par deux à l’échelle de l’UE et encore davantage en France et en Allemagne.


Échaudées par l’échec de la fusion entre Alstom et Siemens début 2019, à la suite d’un jugement défavorable de la Commission européenne, la France et l’Allemagne remettront éventuellement de l’avant leur projet d’une politique industrielle européenne interventionniste devant faire contrepoids à la Chine et aux États-Unis en appuyant l’émergence de champions continentaux dans les secteurs de la défense, de l’aérospatiale, du transport, de l’énergie renouvelable, des biotechnologies et de l’industrie chimique, de l’imprimerie 3D, puis des batteries au lithium.


Déjà passablement restrictive quant aux pays tiers avec lesquels elle ne jouit pas d’accords commerciaux, l’UE pourrait également prendre un virage modérément protectionniste à la suite du Brexit, à mesure que l’influence des puissances agricoles et manufacturières que sont l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne gagnera en importance, que leurs politiques industrielles se recomposeront dans le sens d’un volontarisme accru, puis que la pression s’accentuera afin que les concessions faites dans de précédentes ententes afin de bénéficier à l’industrie financière britannique soient éliminées ou renégociées.


Ce durcissement industriel et commercial a enfin son pendant militaire : depuis le vote sur le Brexit, l’UE a déjà significativement accru ses capacités de coordination en matière de défense, notamment par la mise en place de la Capacité militaire de planification et de conduite. Paradoxalement, une telle consolidation militaire à l’échelle européenne, en se substituant graduellement aux politiques nationales et à la collaboration franco-britannique traditionnelle, pourrait toutefois faciliter la coopération au sein de l’OTAN plutôt que l’inverse. À moins que Huawei ne complique passablement les choses…




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