Un débat oblitéré en 2009

«La réussite scolaire des jeunes doit leur être présentée comme étant plus importante que leur capacité de consommer.»*

* Claude Corbo, 3 février 1993

Chronique de Louis Lapointe

« La réussite scolaire des jeunes doit leur être présentée comme étant plus importante que leur capacité de consommer. »*Claude Corbo, 3 février 1993.
Cette déclaration de Claude Corbo, recteur de l’UQAM, prononcée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, est rapportée dans l’édition du Devoir du 3 février 1993. À cette époque, Claude Corbo était un des rares recteurs à défendre l’idée que les étudiants devaient étudier plus et travailler moins.
« D'après une recherche réalisée à l'UQAM même, les étudiants qui travaillent consacrent le même nombre d'heures à leurs loisirs, à leurs déplacements et au sommeil que ceux qui ne travaillent pas. C'est donc dans les heures consacrées aux études qu'ils rognent, soit «8 heures de moins par semaine, 250 heures de moins par année universitaire et 750 pour un baccalauréat».
Il a aussi relevé un fait étrange: il semble que la proportion des étudiants qui travaillent tend à s'accroître avec le revenu de leurs parents. Selon le recteur Corbo, le travail étudiant n'est pas nécessairement lié à des besoins économiques de base. Beaucoup d'étudiants travaillent pour consommer et pour accroître leur autonomie face à leurs parents, pas seulement pour payer leurs études. Il signale que même au cégep plusieurs jeunes travaillent, alors qu'il n'existe pas réellement de frais de scolarité. À partir de toutes ces constatations, M. Corbo se demande s'il ne faut pas «baliser le travail étudiant à temps partiel». »

Loin de défendre l’idée d’augmenter les droits de scolarité des étudiants, Claude Corbo souhaitait plutôt que les entreprises investissent davantage dans la formation universitaire des jeunes Québécois.
« Aux yeux de M. Corbo, tous ont à y gagner, jeunes comme entreprises. La qualité de l'éducation est l'affaire aussi des entreprises qui veulent avoir des jeunes mieux formés. De même, il les a invitées à accroître leurs bourses aux étudiants universitaires, comme cela existe par exemple aux États-Unis. «Des bourses en dollars de 1993 coûteront moins cher que des prestations d'assurance-chômage en dollars de 2003.» »
Si chaque heure travaillée est une heure de moins dédiée aux études, nous aurons tous compris que l’actuelle hausse des droits de scolarité risque d’avoir pour effet direct de diminuer le nombre d’heures que les étudiants consacreront à leurs études.
Comme les professeurs et recteurs d’université sont en conflit d’intérêts sur cette question, compte tenu du fait que leurs conditions de travail sont en partie tributaires de la hausse des droits de scolarité des étudiants, il n’y aura probablement personne à l’UQAM pour actualiser cette étude qui date de 1993.
Malgré cela, la solution que proposait alors le recteur Corbo me semble toujours appropriée. Pour que les étudiants étudient plus, il faudrait qu’ils travaillent moins, consomment moins et reçoivent plus de bourses d’études !
Une constatation que ne partagerait certainement pas aujourd'hui la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Les étudiants sont une manne pour ses membres. Il s’agit d’une main-d'œuvre bon marché dont les revenus sont en totalité consacrés à la consommation.
Chaque heure qui n’est pas travaillée par un étudiant est pour ces entreprises non seulement une perte de productivité, mais également une perte de revenu anticipée provenant de la vente de biens de consommation équivalent à la rémunération d’une heure au salaire minimum horaire de 10$. On parle de centaines de millions de dollars pour ces entreprises.
Quand on sait que l’actuelle présidente du conseil d’administration de l’UQAM, Mme Isabelle Hudon, est l’ancienne présidente de la même chambre de commerce, on peut se permettre de douter que le débat sur le travail des étudiants, la réussite scolaire et la hausse des droits de scolarité puisse être ramené à la table du conseil d’administration de cette université. Un autre sujet à mettre sous le tapis en 2010!
***
Le Devoir
Montréal, mercredi 3 février 1993, p. A3
Le travail rémunéré des étudiants devrait être balisé, affirme Claude Corbo
Levesque, Lia,PC
Le recteur de l'UQAM Claude Corbo propose de «baliser» le travail rémunéré des étudiants en établissant une sorte de code d'éthique.
Devant les membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le recteur du l'Université du Québec à Montréal a demandé aux entreprises de s'interroger sur leurs pratiques d'embauche des étudiants.«Je ne pense pas qu'on puisse bannir le travail des jeunes, mais on peut l'encadrer un peu», confiait-il à quelques journalistes, au cours d'une rencontre après son allocution.
Le recteur de l'UQAM a d'abord démontré, chiffres à l'appui, que le travail rémunéré des étudiants pouvait devenir nuisible aux études, au-delà d'un certain seuil.
D'après une recherche réalisée à l'UQAM même, les étudiants qui travaillent consacrent le même nombre d'heures à leurs loisirs, à leurs déplacements et au sommeil que ceux qui ne travaillent pas. C'est donc dans les heures consacrées aux études qu'ils rognent, soit «8 heures de moins par semaine, 250 heures de moins par année universitaire et 750 pour un baccalauréat».
Il a aussi relevé un fait étrange: il semble que la proportion des étudiants qui travaillent tend à s'accroître avec le revenu de leurs parents. Selon le recteur Corbo, le travail étudiant n'est pas nécessairement lié à des besoins économiques de base. Beaucoup d'étudiants travaillent pour consommer et pour accroître leur autonomie face à leurs parents, pas seulement pour payer leurs études. Il signale que même au cégep plusieurs jeunes travaillent, alors qu'il n'existe pas réellement de frais de scolarité. À partir de toutes ces constatations, M. Corbo se demande s'il ne faut pas «baliser le travail étudiant à temps partiel».Il écarte toute idée de législation ou de mesure «autoritaire».Il songe plutôt à une forme de code d'éthique auquel se soumettraient «par conviction des employeurs et des jeunes» qui ont à coeur la réussite scolaire. «C'est le genre d'idée qu'il faut que la Chambre explore, croit-il. Il faut élaborer des règles d'orientation, des principes» pour ne pas nuire à la formation des jeunes et les encourager à terminer leurs études. Et les entreprises ont un rôle à jouer dans cette motivation des jeunes.
Le recteur Corbo cite comme exemple le fait, pour une entreprise, d'être attentive au nombre d'heures qu'elle exige de son jeune employé ou le fait de penser à alléger ses tâches durant les périodes d'examens.
Aux yeux de M. Corbo, tous ont à y gagner, jeunes comme entreprises. La qualité de l'éducation est l'affaire aussi des entreprises qui veulent avoir des jeunes mieux formés. De même, il les a invitées à accroître leurs bourses aux étudiants universitaires, comme cela existe par exemple aux États-Unis. «Des bourses en dollars de 1993 coûteront moins cher que des prestations d'assurance-chômage en dollars de 2003.»
M. Corbo s'est aussi adressé aux parents, les invitant à répéter aux jeunes «que leur heure de responsabilité viendra» assez tôt et qu'ils doivent penser à leurs études avant le travail. «La réussite scolaire des jeunes doit leur être présentée comme étant plus importante que leur capacité de consommer.»

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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