La soif du pouvoir

17. Actualité archives 2007

Peut-on être assoiffé du pouvoir... mais se révéler en même temps un politicien sincère, doté de vrais idéaux? Vouloir personnellement, passionnément, obsessionnellement devenir président... mais pas seulement pour la jouissance, devenue une fin en soi, d'être assis, un jour, dans la chaise, le bureau, la résidence du président -- qu'elle s'appelle Maison-Blanche ou Élysée?
On a parfois l'impression que des George Bush ou des Jacques Chirac ont bâti leur carrière et atteint leur but suprême -- la présidence d'un grand pays -- abstraction faite de tout idéal, dans un cynisme pur, la politique se ramenant, selon la formule de Nicolas Machiavel, aux deux simples et éternelles questions : «Comment conquérir le pouvoir?» et «Comment le conserver?»
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Aux États-Unis, la vie idéologique des partis est réduite à sa plus simple expression; les formations politiques sont essentiellement des machines à amasser de l'argent et à gagner des élections. En France, le verbe, l'idéologie, les belles et grandes déclarations ont certes plus d'importance que sur les bords du Potomac. Mais on a vu dans ce pays, au cours du dernier quart de siècle, deux hommes utiliser de façon opportuniste -- et finalement assez vide sur le plan des programmes ou des idéaux-- les machines partisanes et les idéologies aux seules fins de leur ambition personnelle.
Jacques Chirac a manié successivement le discours néolibéral reaganien (années 1980), puis embrassé la complainte «néosocialiste» (années 1990, lorsqu'il se faisait élire, malgré son étiquette de droite, sous le slogan «Réduire la fracture sociale»), pour finalement accoucher d'une présidence (1995-2007) sans idéologie particulière, qui a changé de slogan tous les six mois, une présidence avant tout occupée à survivre, au jour le jour, aux aléas politiciens.
Son prédécesseur François Mitterrand était un extraordinaire animal politique, qui semble avoir vécu une vie entière dans l'obsession du pouvoir personnel. Une vie couronnée par deux septennats à l'Élysée au cours desquels Mitterrand -- plus souvent qu'à son tour -- a roulé ses adversaires dans la farine avec une suprême habileté. Malgré ses références littéraires, son génie de la formule, malgré son adhésion du bout des lèvres au «socialisme», c'était surtout un pur machiavélien, qui n'a pas hésité à sacrifier les idéaux des naïfs sur l'autel du «dur désir de durer».
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C'est dans ce contexte qu'arrive, telle une comète, le phénomène Nicolas Sarkozy. À regarder ce féroce animal politique, qui, avec son franc-parler et ses formules-chocs, domine le paysage politique depuis de nombreux mois, on a l'impression, encore une fois, d'une ambition dévorante, d'une obsession maniaque de la conquête du «pouvoir pour le pouvoir»... Et ce, alors même que Jacques Chirac, pendant ses 12 années à l'Élysée, a présidé malgré lui à une grave dévaluation de la fonction. Il n'importe: un président de la France, ce n'est peut-être plus ce que c'était, mais le poste fait encore rêver quelques ambitieux!
Au cours des années 2000, Sarkozy a patiemment tissé sa toile, bâti une organisation politique, suscitant certes beaucoup de révulsion (y compris au sein d'une fraction de la droite), mais aussi la fidélité sans faille de ceux -- de plus en plus nombreux -- qui se rallient à lui. Sa conquête, au cours des dernières années, du parti présidentiel UMP est un modèle de stratégie, de patience, de persévérance. Couronné hier champion de la droite par une foule en délire, dans une cérémonie qui rappelait les grands rassemblements à l'américaine, il n'en a pas moins tenu un discours passionné... un discours qui étonne par sa densité et une forte apparence de sincérité.
Car Sarkozy-l'ambitieux, Sarkozy-l'obsédé-du-pouvoir semble vraiment croire à ce qu'il raconte, et y croire avec passion. Il fallait l'entendre, hier, déclarer : «Je n'accepte pas qu'on veuille habiter en France sans respecter et sans aimer la France. Je n'accepte pas qu'on veuille s'installer en France sans se donner la peine de parler et d'écrire le français.» Il fallait l'entendre appeler de ses voeux «une école de l'autorité et du respect, où l'élève se lève quand le professeur entre, où les filles ne portent pas le voile, où les garçons ne gardent pas leur casquette en classe». Il fallait l'entendre invoquer les grands Français du passé, de Jean Jaurès (héros mythique de la gauche du début du XXe siècle) à Charles de Gaulle, en passant par Albert Camus, pour se dire: Voici un assoiffé du pouvoir prêt à toutes les bassesses... ou bien voici un authentique passionné qui veut vraiment changer les choses.
La campagne est ouverte. Dans trois mois, les Français décideront de l'identité de leur prochain président. Un homme, Nicolas Sarkozy, et une femme, Ségolène Royal, se feront vraisemblablement la lutte au second tour, dans un combat qui s'annonce sans pitié. Par sa détermination affichée, par sa franchise et par le degré de détail dans l'énoncé de ses objectifs, Sarkozy vient de prendre les devants. On attend maintenant Ségolène...
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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