Robert Dutrisac Québec — Même dans le secteur public au Québec, l'anglais comme langue de travail prend une place disproportionnée par rapport au poids démographique des anglophones. Dans le reste du Canada, c'est l'inverse, bien que la distorsion soit moins marquée.
C'est le constat que font l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et l'Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) dans une étude sur l'offre d'emploi de langue minoritaire des institutions publiques au Québec et au Canada. Dévoilée hier, cette étude signée par l'économiste Henri Thibaudin est une première: elle analyse la situation dans le réseau de l'éducation et celui de la santé et des services sociaux ainsi que dans les administrations publiques des trois ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal).
Ainsi, 13,6 % des employés du secteur public au Québec utilisent le plus souvent l'anglais au travail ou indifféremment l'anglais ou le français alors que le poids démographique des anglophones est de 8,7 %. C'est un total de 135 250 emplois qui sont touchés et qui représentent une masse salariale de 6,15 milliards, a calculé Henri Thibaudin. Les données sont tirées du recensement de 2006.
«On dit souvent que la situation du français comme langue de travail est problématique à cause de la mondialisation, à cause de l'anglais langue internationale», a souligné le président de l'IRFA, Patrick Sabourin. «On s'est dit: "regardons dans les secteurs d'emploi qui sont largement à l'abri des effets de la mondialisation, le secteur public". On a constaté un déséquilibre assez important.»
Dans le réseau de la santé et des services sociaux, 12,1 % des effectifs au Québec travaillent en anglais, soit 140 % du poids démographique des anglophones. En éducation, c'est 17 % du personnel et des cadres qui travaillent en anglais, soit presque deux fois plus que la proportion d'anglophones au Québec. Dans les administrations publiques, 13 % des employés travaillent en anglais.
«Encore une fois, nous constatons la supériorité des ressources rendues accessibles à cette communauté [anglophone du Québec]», écrit Henri Thibaudin. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées, selon le chercheur. Premièrement, les structures administratives nécessaires au fonctionnement des institutions peuvent être plus importantes, notamment en ce qui a trait aux commissions scolaires. «Deuxièmement, nous comparons les ressources à la demande de la communauté historique. Si cette méthodologie est complètement justifiée du fait que les dispositions légales ont été mises en place pour cette communauté, il faut tenir compte du fait que la demande totale de prestations de services en anglais comporte des individus n'appartenant pas à cette communauté», signale l'économiste. En santé, des francophones et des allophones ont accès aux services dont la communauté anglophone est dotée, de même pour l'enseignement collégial et universitaire.
Si l'on ajoute les employés qui disent utiliser régulièrement l'anglais au travail dans le secteur public au Québec, c'est 31 % d'entre eux qui travaillent en anglais le plus souvent ou de façon régulière (cette notion n'est pas définie dans le recensement) dans le réseau de la santé tandis que cette proportion s'élève à 40 % dans les administrations publiques.
Le portrait est bien différent dans le reste du Canada. Au Nouveau-Brunswick, 31,8 % des employés du secteur public travaillent en français ou dans les deux langues, alors que le poids démographique des francophones dans cette province est de 33,4 %. En Ontario, ils sont 4,9 % à travailler dans la langue de Molière alors que les Franco-Ontariens comptent pour 4,4 % de la population de la province. Dans les autres provinces, l'écart est plus grand: alors que les francophones composent 2,2 % de la population, seulement 1,3 % d'entre eux travaillent en français dans le secteur public.
Au Québec, les francophones et les allophones représentent la part la plus importante des effectifs qui travaillent en anglais dans le secteur public. Ensemble, ils sont majoritaires; leur proportion dépasse celle des anglophones, que ce soit en éducation (52 %), en santé (58 %) ou dans l'administration publique (62 %). Dans les réseaux de la santé et de l'éducation, le quart des employés qui travaillent en anglais sont francophones.
Dans une autre étude rendue publique plus tôt cette année, l'IRFA compare l'utilisation au travail de l'anglais ou du français sur l'île de Montréal et dans la ville d'Ottawa, qui se déclare bilingue. Les deux centres urbains présentent des similitudes: sur l'île de Montréal, une majorité francophone (52,2 %) côtoie une minorité anglophone (17,7 %) tandis qu'à Ottawa, une majorité anglophone (63,4 %) coexiste avec une minorité francophone (17,7 %). Or la situation de la langue minoritaire au travail est fort différente. Plus de 90 % des résidants d'Ottawa travaillent en anglais contre 8 % en français. Sur l'île de Montréal, 34 % des citoyens travaillent en anglais, ce qui dénote le fort pouvoir d'attraction de l'anglais, note l'IRFA. «Au Québec, l'anglais, langue officielle minoritaire, semble plutôt avoir la force d'attraction d'une langue majoritaire», écrivent les auteurs de l'étude, Patrick Sabourin et Mathieu Dupont.
Langue de travail dans le secteur public
Large place à l'anglais
Un poids démesuré par rapport à celui des anglophones au Québec, conclut une étude
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