Il y a un véritable paradoxe dans le débat sur la santé. D’une part, on voit bien la vigueur avec laquelle certains dénoncent l’idée que le secteur privé puisse prendre plus de place. Et d’autre part, les statistiques montrent que le Canada est l’un des pays industrialisés où les dépenses privées en santé sont les plus importantes, 30 % du total.
Mais ces statistiques globales sur le partage entre privé et public ne veulent pas dire grand-chose, parce qu’elles sont incapables de rendre compte des spécificités du système de santé canadien et de sa nature parfaitement schizophrène.
Il y a deux systèmes de santé parallèles au Canada. Le premier, c’est celui qui a été bâti dans les années 60. Les soins curatifs, les médecins, les hôpitaux ont été intégrés à un régime public, gratuit et universel, encadré par une loi très sévère. C’est un système public presque parfait, le plus pur et dur d’Occident, où la présence du privé est minime et ses incursions dénoncées. Le problème, c’est que les frontières de ce régime public ont été fixées il y a 30 ans, et n’ont pas évolué pour tenir compte de l’évolution de la problématique de la santé.
L’autre système, c’est tout ce que le système de santé public initial ne couvrait pas ou couvrait de façon imparfaite : les médicaments, les dentistes, les soins de la vue, une bonne partie des soins psychologiques, de la physio, plusieurs tests diagnostiques, ou le bien-être des personnes âgées. Et c’est là que le privé joue un grand rôle.
En santé, on est une gang de malades ! Un citoyen canadien a un droit inaliénable que sa petite grippe ou son prurit anal soient pris en charge par un système public et gratuit. Mais s’il n’a pas d’argent pour un médicament coûteux, sauf au Québec, s’il perd ses dents, s’il veut rapidement un soutien de qualité pour un parent âgé ? Tant pis !
Notre système, figé dans le temps, est donc hypocrite. Il est public et gratuit, mais pas vraiment universel. On défend avec passion son caractère public, en oubliant commodément que l’État ne joue pas correctement son rôle et que la couverture est moins complète ici que dans la plupart des pays avancés.
Les données les plus récentes de l’OCDE, pour 2005, montrent que le Canada, où 29,9 % des dépenses totales de santé sont privées, se classe au 22e rang sur 30. En Suède, les dépenses privées ne comptent que pour 15 %, en France, 20 %, en Allemagne 23 %.
Et pourtant, ces pays acceptent des pratiques absolument interdites au Canada, qu’on qualifie ici de médecine à deux vitesses, des hôpitaux privés, des médecins qui pratiquent à la fois dans le public et le privé, des tickets modérateurs. Dans ces domaines, le Canada est plus catholique que le pape : 90,3 % des dépenses hospitalières sont publiques, le reste s’explique surtout par les assurances qui défraient le coût d’une chambre privée ; 98,6 % des dépenses pour les médecins sont aussi publiques.
Mais le privé, à travers des assurances ou des dépenses directes des citoyens, est omniprésent dans des secteurs mieux assurés par l’État dans d’autres pays. Pour les dentistes et les lunettes, il compte pour 92,6 %, pour les médicaments, il représente 61 %.
C’est pour cette raison qu’au Québec, la seule province où les médicaments sont couverts, la part du privé est légèrement inférieure à la moyenne.
Le poids du privé a eu tendance à augmenter dans les années 80, de 24 % à environ 30 %, mais pas parce qu’il y a eu un glissement idéologique. Tout simplement parce que les gouvernements ont coupé leurs budgets pour réduire leurs déficits, et que les dépenses pour les médicaments ont commencé à grimper en flèche. Mais la place du privé s’est stabilisée depuis une décennie et a même baissé entre 2005 et 2007, de 29,9 % en 2005 à 29,4 % en 2007.
Mais encore là, c’est un faux problème. Une contribution judicieuse du privé, au nom de la souplesse et de la concurrence, n’a de sens que si le système public est performant et qu’il s’acquitte de sa mission, celle d’offrir des soins de qualité à tous, indépendamment de leurs besoins. Et pour cela, il faudra que le public joue mieux son rôle, entre autres pour les médicaments et les soins aux personnes âgées.
Et cela nous mène à un autre paradoxe. Si les partisans d’une plus grande place pour le privé, dont je fais partie, remportent un jour leur bataille, il est donc fort possible que la part du privé dans les dépenses de santé se mette à baisser !
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