Le projet Keystone XL de la compagnie TransCanada subit un déculottage en règle de la part du président Obama. Les arguments utilisés par ses promoteurs sont battus en brèche les uns après les autres, victimes de l’opposition des écologistes et de citoyens riverains, d’une analyse plus rationnelle de ses impacts économiques éventuels et, surtout, d’un bouleversement imprévu dans la production pétrolière américaine. Il apparaît aujourd’hui douteux que celui-ci s’en remette. La pression se fera d’autant plus forte pour que les Québécois autorisent le passage du pétrole albertain vers les marchés de raffinage.
Sur la place publique, les promoteurs de Keystone XL ont mis de l’avant deux types d’arguments. Un argument géopolitique d’abord : alors que la production pétrolière américaine est en déclin et la demande interne croissante, il est préférable que les approvisionnements des États-Unis proviennent du Canada plutôt que de pays étrangers instables et hostiles. Un argument économique ensuite : Keystone XL procurera des milliers d’emplois dans une économie qui peine à sortir de la crise.
Ces arguments ne tiennent plus autant aujourd’hui. La production pétrolière américaine est en croissance depuis 2005, après une longue période de déclin que l’on croyait inexorable. De nouvelles technologies d’extraction permettent aujourd’hui l’exploitation du pétrole de schiste, autrefois inaccessible.
La dépendance des États-Unis au pétrole importé diminue rapidement, au point que l’on estime que la production américaine devrait dépasser celle de l’Arabie saoudite d’ici 2020 et que le pays devrait devenir énergétiquement autosuffisant d’ici 2030. De plus, la demande interne aux États-Unis devrait stagner ou décroître légèrement au cours des prochaines années.
En matière de création d’emplois, les promoteurs de Keystone XL ont peut-être aussi poussé un peu trop fort et jonglé un peu trop librement avec les projections. En septembre 2010, TransCanada annonçait que l’oléoduc créerait 13 000 nouveaux emplois aux États-Unis tout en citant des études prévoyant des retombées de 118 000 emplois/année. Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs transforment le projet en poule aux oeufs d’or et que les élus républicains au Congrès consacrent Keystone XL sauveur de l’économie américaine.
S’inspirant de données peut-être plus proches de la réalité, Barack Obama s’est fait un vilain plaisir, samedi de la semaine dernière, dans une entrevue au New York Times, de dégonfler les retombées « à quelque 2000 emplois en phase de construction, et peut-être 50 à 100 personnes une fois le pipeline construit », soulignant que cela ne représentait pas grand-chose, dans une économie de 150 millions de travailleurs.
Enfonçant le clou, il a également laissé tomber que « le pétrole acheminé par Keystone XL sera vendu sur les marchés mondiaux », c’est-à-dire que rien ne garantit qu’il servira à réduire la dépendance des États-Unis au pétrole importé.
Les effets de l’opposition environnementale
Au-delà de leurs arguments malmenés, les promoteurs de Keystone XL doivent aussi composer avec une forte opposition environnementale. D’abord quant aux craintes d’impacts locaux du passage du pipeline, souvent en terre agricole, ou encore - pour le premier tracé proposé - au beau milieu d’une des plus importantes nappes phréatiques des États-Unis. La compagnie a beau décréter Keystone XL « le plus sécuritaire et le plus technologiquement avancé d’Amérique du Nord », les accidents hautement médiatisés - et pour cause - dans le secteur du transport de pétrole, dont le déversement de Kalamazoo, au Michigan, par la compagnie Enbridge, n’ont rien fait pour rassurer les oppositions locales.
Les promoteurs doivent également contrer un discours environnemental de plus en plus puissant, qui fait valoir l’impact de la production et de la consommation de pétrole sur les émissions de gaz à effet de serre et le dérèglement du climat. Alliés traditionnels du Parti démocrate, de grands pans du milieu environnemental américain, dont les plateformes de militantisme en ligne MoveOn, Avaaz et 350.org, se seront déchaînées contre le projet Keystone XL, recevant au passage des appuis de personnalités internationales, de prix Nobel et de stars hollywoodiennes.
Semblant avoir fait son lit, Barack Obama, dans son entrevue au New York Times, déclare que le projet devra faire la preuve qu’il ne contribuera pas « de manière marquée » aux émissions de gaz à effet de serre. Il en profite également pour rappeler que « le Canada pourrait faire plus pour réduire les émissions ».
Même si la partie n’est peut-être pas jouée, les signaux de fumée semblent clairs pour ceux et celles qui savent les lire. Le château de cartes sur lequel repose Keystone XL risque bien de ne pas pouvoir tenir bien longtemps.
Une pression accrue sur le Québec
Le rejet éventuel du projet Keystone XL, couplé au cul-de-sac dans lequel se trouve le projet Northern Gateway en Colombie-Britannique, augmente considérablement la pression sur les Québécois pour que ceux-ci acceptent le passage du pétrole albertain sur leur territoire. Des milliards de dollars ont été investis au cours des dernières années dans les sables bitumineux de l’Alberta, dans l’espoir d’en augmenter considérablement la production. Mais une partie de cette croissance demeure enclavée faute de moyens de transport. Si cette situation perdure, de gros joueurs pourraient y perdre de gros sous.
Dans la guerre des pipelines qui fait rage en Amérique du Nord, le front québécois est le dernier en date à subir l’assaut des pétrolières. Tiendra-t-il ?
Le château de cartes de Keystone XL
Hugo Séguin
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé