Le débat

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« Un immigrant, c'est quelqu'un qui ferme sa gueule et qui dit merci »

À l’école laïque que je fréquentais, nous avions congé le jeudi. Le jeudi, ceux qui le désiraient allaient au patronage paroissial, où on leur enseignait le catéchisme. Les mêmes allaient à l’église le dimanche.
Ç'a toujours été mon idée de la laïcité. Dieu le jeudi et le dimanche.
En ce temps-là, il n’y avait pas de petits musulmans dans les écoles. Les fils d’immigrants étaient surtout Polonais et Italiens comme moi. À l’époque, aussi, les immigrants étaient très différents de ceux d’aujourd’hui. En principe égaux en droits aux de souche, mais dans la réalité de la vie, pas tout à fait égaux, pas tout à fait Français. On ne se payait pas de mots comme aujourd’hui, on ne disait pas inclusion, par exemple. On aurait pensé que c’était une maladie du côlon. Bref, ma mère n’a jamais été incluse dans la France, mon père non plus… Vous allez rire ou peut-être vous fâcher, mais à cette époque, les immigrants se comportaient en invités. Essentiellement, un invité, c’est quelqu’un qui ferme sa gueule et qui dit merci, merci beaucoup de votre accueil, c’est gentil à vous, merci, merci.
Je résume. Pour moi, encore aujourd’hui, la laïcité, c’est Dieu le jeudi et le dimanche. Et un immigrant, c’est quelqu’un qui ferme sa gueule et qui dit merci.
C’est un peu pour ça que je suis en train de capoter avec le débat sur la Charte.
On a beau dire que le problème, c’est pas les musulmans… Un peu, quand même. Ce serait moins compliqué avec des Polonais et des Italiens. Le problème avec les musulmans, c’est qu’ils sont beaucoup plus musulmans que les chrétiens ne sont chrétiens. On a un Jean Tremblay à Saguenay. Ils ont 243 millions de Mohamed Tremblay un peu partout.
Juste pour ce que je viens d’écrire, je vais me faire traiter de raciste. Soit. De toute façon, quand je vois où mène l’antiracisme en ce moment, et avec qui, je ne sais plus très bien dans quel camp je ne veux pas me retrouver.
Comme laïc, j’ai fait, il me semble, un grand bout de chemin. J’ai commencé par dire que j’étais pour cette charte dans son intégralité, donc pour l’interdiction des signes religieux ostentatoires. Sauf que je me suis dédit aussitôt en précisant que si cela pouvait éviter des chicanes à plus finir, légales ou non, OK pour les éducatrices en tchador dans les garderies, OK pour les étudiantes en tchador dans les écoles.
On met la barrière où ? Devant les profs ? Pas de profs en tchador ? Et vous croyez que ça ne foutra pas le bordel ? Vous croyez que ceux de l’autre bord feront aussi leur bout de chemin, qu’ils vont dire OK, pas de tchador pour les profs ?
Vous pensez vraiment qu’on est dans un débat pour ou contre la Charte ? Mais non. Comme d’habitude, on est dans un débat Québec-Canada. PQ-PLQ. Anglos-Francos. Religion-Lumières. J’entendais Charles Taylor, l’autre midi à la radio, dans sa défense d’une laïcité ouverte, je l’entendais NE PAS DIRE pourquoi cette charte lui pue au nez. Pourquoi ? Parce que l’idée d’un espace sans Dieu lui pue au nez. Je me suis trompé tantôt en vous disant que les musulmans sont plus musulmans que les chrétiens ne sont chrétiens. Il est de ces chrétiens comme Charles Taylor qui, pour faciliter le retour du Dieu, est bien prêt à le dire laïc.
J’entendais aussi Françoise David dénoncer les visées électoralistes des péquistes, pour lesquels cette charte est la locomotive qui les mènera à la victoire aux prochaines élections. Et si cela était, Françoise ? Serait-ce une si grande catastrophe pour Québec solidaire ? Plus qu’un gouvernement libéral majoritaire ?
Mais revenons au débat dans lequel tu te montres (comme toujours dans les débats) brillante, super efficace. Alors justement, parlant d’électoralisme, ta prestation si punchée, si spectaculaire n’est-elle pas, même accessoirement, très électoraliste, elle aussi ?
Je sais bien que tu n’as pas attendu cette charte pour défendre le droit des musulmanes à porter le voile dans les établissements publics, mais ça tombe drôlement bien en ce moment, non ? C’est bon pour toi, non ? C’est bon pour Québec solidaire. As-tu remarqué comme les médias étaient ravis ? Penses-tu qu’ils le seraient autant si tu débattais par exemple de la répartition de la richesse, de faire payer les riches ? de taxer plus les entreprises ?
Comprends bien que je ne te reproche pas ton opposition à la Charte – je te dois en partie d’être plus accommodant sur le voile –, je me demande seulement si c’est bien nécessaire de varger à ce point-là sur le PQ. Tu ne trouves pas que, là-dessus, les médias font déjà une super bonne job ?
***
Les choses n’avancent pas à coups de chartes. C’est le contraire : les chartes sanctionnent l’avancement des choses. Celle-là, si elle finit par être adoptée, ne fera pas exception. Ce sera le signe qu’une majorité de Québécois est convaincue – je ne dis pas que c’est le cas – de la nécessité d’un espace civique pour se protéger moins de l’intégrisme que de l’incessant retour du religieux.
Les choses n’avancent pas non plus par les débats. Les débats sont utiles pour nommer les choses, les repérer, les situer. Les éclairer, aussi, si on pense à un simple éclairage de scène qui n’aide en rien les spectateurs à voir plus clair dans la pièce qui se joue.
Je ne renvoie pas au théâtre par hasard. Le débat sur la Charte est éminemment théâtral. On y parle fort pour être entendu au fond de la salle, on y fait son numéro. On y donne une représentation de la démocratie.
Les choses avancent d’elles-mêmes. Comme au théâtre, quand on en débat, c’est que la pièce est déjà jouée.


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