La fierté et la honte

Élection Québec 2012


Je me présente, je suis Léo Bureau-Blouin... La dame prend le signet qu'il lui tend, le met dans son sac d'épicerie, donne une franche poignée de main à Léo et lui dit: M. Bureau-Blouin, je suis fière de vous.
On est à la porte du marché Métro Despatie à Laval-des-Rapides, au pied des résidences Soleil, pas très loin du collège Montmorency. Je rejoins la dame un peu plus loin, elle s'appelle Brigitte, elle est travailleuse sociale dans une unité de soins palliatifs, pourquoi vous êtes fière de lui, madame?
Parce qu'il est articulé, intelligent, instruit, alors que tant d'autres nous font honte, comme le gouvernement qui a si mal écouté les étudiants ce printemps, je suis fière qu'il me représente, vraiment fière, insiste-t-elle.
Un employé du Métro Plus passe en levant simplement son pouce: Yes. N'oubliez pas d'aller voter, lui lance Léo. Inquiète-toi pas, répond l'employé.
Je m'appelle Léo Bureau-Blouin, je me présente pour le PQ dans Laval-des-Rapides... Et moi, lui répond le très vieux monsieur qui pousse son chariot, je m'appelle Patrice Laplante, j'ai 83 ans et j'ai été député péquiste de Bourassa sous René Levesque! (Je suis allé vérifier sur le Net: Patrice Laplante, élu en 76, réélu en 81, né à Cabano, fils d'Éva Leblanc et Élude Laplante, aiguiseur de scies...) Surtout, décourage-toi pas, a dit Patrice à Léo.
Tu vois, Léo, un jour t'auras 83 ans, tu sortiras d'un Métro Plus où tu seras allé acheter des nouilles et des bananes, à la porte un ti-cul te donnera un signet, je me présente, je suis candidat pour le YOPI (le Youpilaye l'Indépendance), on promet un référendum sur la souveraineté dans la première année de notre mandat... alors tu lui passeras un bras autour des épaules et tu lui diras ce que vient de te dire M. Laplante dont le papa était aiguiseur de scies: surtout, décourage-toi pas.
Je m'attendais un peu à un festival de la matante frétillante et de l'ado pigeonnante, pas du tout. Personne n'a déchiré la chemise de Léo ni essayé de l'embrasser de force sur la bouche, la seule tentative de détournement de mineur (ou presque) à laquelle j'ai assisté venait d'un prof de Montmorency porteur d'un message d'une de ses collègues:
Elle veut savoir si vous êtes en couple, M. Léo.
Voui, je suis en couple. Mais ne le lui dites pas tout de suite. Attendez le 5 septembre.
Parlant de Léo, je l'ai trouvé exactement comme on l'a vu à la télé ce printemps: sympathique, intelligent, un jeune homme normal, enfin, si c'est normal d'être si peu chiant et si mature à 20 ans.
Paraît que Laval-des-Rapides est une circonscription baromètre, je ne veux pas présumer de ce que ça donnera le 4 septembre, mais je peux vous dire que jeudi dernier, le baromètre était au beau fixe pour Léo Bureau-Blouin.
Avec ici et là quelques petites cellules orageuses.
Are you Leo? Ce sera la seule anglophone de la journée, d'origine grecque, prof d'histoire, qu'est-ce qu'il va arriver aux commissions scolaires anglophones si vous êtes élu? Léo répond longuement. Des fois, on a l'impression que votre parti veut exclure les allophones, relance la prof. Le ton n'est pas agressif, j'ai même l'impression qu'elle pourrait voter PQ comme elle a très certainement voté NPD au fédéral et un peu pour les mêmes raisons, mais non, elle ne le fera pas, finalement.
Le monsieur un peu bossu regardait Léo par en dessous: si tu deviens ministre de l'Éducation, qu'est-ce que tu vas encore leur donner, à tes amis?
Je ne deviendrai pas ministre de l'Éducation.
Mettons...
Si le PQ est élu, l'augmentation des droits de scolarité sera abolie, abolition de la loi spéciale aussi, tenue d'un forum sur la gestion des universités, composé pour un tiers d'étudiants, un tiers de représentants du gouvernement, un tiers de représentants de la société civile...
Bonjour, je me présente, je suis Léo... Ça m'intéresse pas, a jappé celui-là en refusant le signet. Je l'ai rejoint à l'intérieur, aux fruits et légumes: vous savez qui c'était?
Ben oui, c'est Bureau en gros, je l'hayis. Pis vous aussi, je vous hayis et vos chats.
Mais la pire, ç'a été une dame de la rue Lulli. Elle promenait son chien Frimousse, la vraie mémère à chien-chien qui parle à la place de son chien-chien: je m'appelle Frimousse et je suis très gentil. Mais voilà qu'elle envisage Léo:
J'te connais, toi! Et tout de suite elle pète les plombs. Je vais te dire, mon p'tit garçon, j'ai 73 ans, je n'ai jamais rien vu d'aussi ridicule de toute ma vie que vos manifestations et vos casseroles, sais-tu qu'il y a un journaliste françâ qui est venu ici et qui a raconté aux Françâ que les Québécois étaient tellement arriérés qu'ils manifestaient avec des casseroles, j'ai eu assez honte, tout ça parce que vous ne voulez pas payer pour vos études...
Léo ne l'a pas traitée de crisse de conne et c'est pour ça qu'il sera peut-être élu député et que moi, je ne le serai jamais et que je n'aurais jamais pu l'être. Léo lui a dit sans aucune ironie, avec toute la gentillesse du monde: je vous souhaite une bonne journée, madame.
On a fait aussi un peu de porte-à-porte, je me sentais comme un témoin de Jéhovah à l'entraînement, des trois, j'étais celui qui s'amusait le plus, les deux autres étaient un peu découragés, ça faisait je ne sais combien de fois qu'ils sonnaient à je ne sais combien d'appartements, dring dring, mais ça répondait pas.
Le prochain, je leur annonce, le prochain va répondre, je le sens. Ça va être une dame très gentille, elle va nous dire d'entrer, elle vient justement de sortir du four un gâteau des anges, elle va me reconnaître et elle va dire, cher M. Foglia, je vous mets un peu de confiture de rhubarbe dessus?
Dring! Dring!
La voix dans l'intercom: ouais?
Je me présente, je suis Léo Bureau...
C'est pas l'temps! J'suis après faire mes planchers. Clac.
C'est amusant, la politique, finalement. Et parfois magnifique. Ah si, magnifique, attendez que je vous parle de la rouquine qu'on a rencontrée à la porte du Métro Plus. Belle, tu dis? Une des plus belles que j'ai vues dans ma vie. Vous demanderez aux deux autres. Pas une gamine, 55-60 ans, grande, en robe, la rouquine absolue, la full rouquine, le front, les joues, le nez, les mains, les poignets, les lèvres, partout partout des taches de rouille. Et ce blanc laiteux écrasé dans le rouge brique, son mari me disait: moi, je vais voter pour Québec solidaire, et je m'en crissais, c'était pas possible.
Vous, madame? Québec solidaire comme votre mari? Elle l'a regardé, surprise: tu vas voter Québec solidaire?
Elle, c'est sûr, votera Léo. Et à la fin, lui aussi, je pense bien. En tout cas, si c'était moi, je voterais comme elle.
Même si elle votait libéral?
Maime.
Joséphine, 82 ans, habite juste en face dans la barre des résidences Soleil, je termine cette chronique avec elle parce qu'elle redit ce que j'ai entendu le plus souvent en ce jeudi après-midi: vous m'avez rendue tellement fière d'être québécoise, M. Léo.
S'il est élu, ce sera exactement pour ça. S'il est battu aussi, d'ailleurs, c'est qu'il y aura eu plus de madames Frimousse-la-honte que de Joséphine-la-fierté.
Dites-moi, Joséphine, c'est bien, chez vous, en face, aux résidences Soleil?
C'est tout petit, j'ai un nain et demi. Vous cherchez quelque chose, M. Foglia?
Pas tout de suite, tout de suite. Je me renseigne.


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