COVID-19

Le droit de manifester supplante les consignes sanitaires, selon le SPVQ

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Encore heureux qu'il soit possible de manifester...


Le Service de police de la Ville de Québec a choisi de ne pas intervenir malgré le non-respect de la distanciation physique lors d'une manifestation où personne ne portait le masque, dimanche dernier. Il est d'avis que le droit de manifester aurait alors été brimé.




Notons d'emblée que l'État québécois n'exige pas un nombre maximal de personnes rassemblées dans les lieux publics extérieurs. À l'heure actuelle, la santé publique recommande fortement de s'en tenir à une limite de 50 personnes.


Des consignes sanitaires doivent toutefois s'appliquer même à l'extérieur, précise le gouvernement, comme le maintien d'une distance de deux mètres entre chaque être humain. Le port du couvre-visage, lui, est fortement recommandé lorsque cette distanciation n'est pas possible.


Réunis dimanche contre le port du masque obligatoire, plus d'un millier de manifestants rassemblés devant l'Assemblée nationale du Québec ne respectaient ni l'une ni l'autre de ces pratiques.


Ce mépris des mesures sanitaires a été dénoncé par la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault. Elle s'est particulièrement indignée du comportement de deux hommes ayant enlacé une journaliste contre sa volonté, et sans masque.


On ne peut pas tolérer des situations comme ça, a déclaré lundi celle qui est aussi ministre de la Sécurité publique, évoquant un probable resserrement des mesures répressives.


Des manifestants devant l'Assemblée nationale du Québec

Plus d'un millier de personnes se sont rassemblées contre le port du masque, dimanche midi, à Québec.


Photo : Radio-Canada / David Rémillard




Pas d'intervention


Quoi qu'en pense la ministre après les faits, la police de Québec a pourtant fait le choix de tolérer le non-respect des consignes sanitaires durant la manifestation. Elle n'a pas non plus tenté de mettre fin à la violence verbale et à l'intimidation subies par les journalistes couvrant l'événement.


Encore mercredi, le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) affirmait à Radio-Canada que tout s’est bien déroulé et qu'aucune infraction criminelle n'avait été constatée.


Dans ce contexte, la position de la police a été de ne pas intervenir. La balance des inconvénients et des bénéfices nous a poussés à agir en ce sens, a expliqué Sandra Dion, porte-parole au SPVQ. Le plus grand inconvénient, dit-on, aurait été de contrevenir au droit de manifester.



Nous croyons qu’intervenir massivement lors de cette manifestation aurait pu empiéter sur les droits fondamentaux de manifester des gens sur place.


Sandra Dion, porte-parole, Service de police de la Ville de Québec


Les policiers sont des acteurs neutres dans toutes les manifestations, soutient le SPVQ. Leur rôle se limite à s’assurer qu’aucune infraction criminelle ne soit commise et que les gens puissent s’exprimer conformément à la Charte des droits et libertés.



Mme Dion a assuré que le SPVQ avait déployé les effectifs nécessaires lors de cette manifestation en fonction de ses paramètres, de son contexte, du type de foule présente et l’évaluation du risque de celle-ci.


Rappelons qu'à Montréal, la veille de la manifestation de Québec, le journaliste de TVA Yves Poirier avait été invectivé par des manifestants antimasques.


Quant à l'accolade non sollicitée sur la journaliste Kariane Bourassa le lendemain, Sandra Dion a préféré ne pas commenter ce cas précis ni dévoiler si les policiers en avaient eu connaissance au moment des faits.


La journaliste Kariane Bourassa se fait toucher par un inconnu.

La journaliste Kariane Bourassa a été victime de ce qu'elle appelle un « câlin non désiré » alors qu'elle couvrait une manifestation.


Photo : Twitter / Kariane Bourassa




Nouvelle approche?


Sur le maintien du droit de manifester, les justifications de la police de Québec sont intéressantes aux yeux de Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval et spécialiste des droits et libertés de la personne.


Si la manifestation de dimanche est garante du comportement policier à venir lors de prochains rassemblements citoyens, il se dit même encouragé par le respect de la Charte des droits et libertés démontré par le SPVQ.



Je me donne presque espoir qu'ils ont compris le message, qu'ils ont compris l'importance de laisser les gens manifester.


Louis-Philippe Lampron, professeur de droit


Après des contestations judiciaires visant certaines stratégies notamment employées lors du printemps érable de 2012, les policiers, en particulier ceux de Québec et de Montréal, ont été rabroués par les tribunaux, rappelle M. Lampron.


En octobre dernier, le règlement 19.2 de la Ville de Québec a été jugé inconstitutionnel par la Cour d'appel du Québec. Il permettait aux policiers de déclarer une manifestation illégale dès que l'itinéraire n'était pas fourni par les organisateurs. L'article 500.1 du Code de la sécurité routière, lui aussi invoqué dans le passé pour déclarer des rassemblements illégaux, a également été invalidé.


Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval

Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval


Photo : Radio-Canada




Si la police était intervenue pour faire respecter la distanciation physique dimanche dernier, elle se serait probablement exposée à des critiques, selon Louis-Philippe Lampron. Car, selon lui, le raisonnement selon lequel le droit de manifester supplante les décrets prévoyant les consignes sanitaires est tout à fait défendable avec un raisonnement de charte.


Il pose toutefois certains bémols sur le travail policier à l'égard des manifestants dont le comportement individuel est répréhensible. Le fait que c'était des journalistes qui soient ciblés, là c'est peut-être plus difficile à justifier, dit-il à propos de l'inaction policière, la liberté de presse étant elle aussi prévue par la Charte des droits et libertés.




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