Droits et Démocratie

Le loup

La nouvelle majorité au conseil d'administration voudrait que Droits et Démocratie cesse ses activités au Moyen-Orient et coupe tout contact avec les organismes qui critiquent Israël.

Droits et Démocratie - KAIROS - Développement et Paix


Dans son mot de présentation du rapport 2008-2009 de l'organisme Droits et Démocratie, le nouveau président du conseil d'administration, Aurel Braun, qui venait tout juste d'entrer en fonction, lançait un avertissement.
«Il nous faut demeurer vigilants en cette période trouble où tous les regards semblent tournés vers la crise économique. C'est dans ces moments difficiles que certains gouvernements pourraient être tentés de limiter les droits de leurs citoyens les plus vulnérables sous prétexte que la démocratie est un luxe qu'on ne doit plus se permettre.»
«En de telles circonstances, nos partenaires et les défenseurs des droits humains en première ligne sont les premiers à subir de nouvelles formes d'intimidation et de restrictions à leurs droits, comme cela se passe déjà dans plusieurs parties du monde.»
En rétrospective, on peut apprécier le cynisme de ces propos. Depuis qu'il a accédé à la présidence du conseil d'administration de Droits et Démocratie, c'est comme si cet éminent professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto s'était employé à illustrer la menace qui plane sur les défenseurs des droits de la personne en faisant entrer le Canada dans le club de leurs persécuteurs.
Après la récession, la catastrophe épouvantable survenue en Haïti, qui monopolise l'opinion publique, est un de ces moments difficiles dont certains pourraient profiter. Comme le disait si bien M. Braun, il faut demeurer vigilants.
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Au cours des derniers jours, mon collègue Alec Castonguay a fait état du malaise grandissant, qui s'est transformé en véritable crise, provoqué par le gouvernement Harper en permettant à des éléments conservateurs résolument partisans d'Israël, M. Braun au premier chef, de prendre le contrôle du conseil d'administration de Droits et Démocratie.
Le lobby pro-israélien n'est pas un phénomène nouveau, mais il ne s'était jamais manifesté aussi brutalement. Au sein de l'organisme, on ne doute pas que le harcèlement systématique dont a été victime son président, Rémy Beauregard, ait contribué à provoquer l'arrêt cardiaque qui a entraîné son décès la semaine dernière.
Hier, le Globe and Mail a défendu en éditorial le «droit de désignation» qui permet à un gouvernement de choisir les dirigeants d'un organisme qu'il subventionne. S'il désire être à l'abri des divergences de vue qui existent dans la société canadienne, il n'a qu'à se financer lui-même, estime le Globe.
La pluralité des opinions est peut-être une chose normale, mais quand la totalité des employés signe une lettre exigeant la démission du président du conseil d'administration et de ses principaux acolytes parce qu'on leur pose des questions sur leur origine ethnique ou leur capacité de parler arabe, il y a un problème.
Même s'il relève du ministère des Affaires étrangères, où on se dit d'ailleurs très satisfait de son travail, Droits et Démocratie est un organisme indépendant qui n'a de comptes à rendre qu'au Parlement canadien. Si le gouvernement a le droit de nommer ses administrateurs, il a aussi le devoir de le protéger des lobbies qui cherchent à le noyauter.
Bien entendu, Ottawa s'est bien gardé de s'ingérer directement dans ses activités. Aucune directive ne lui a été adressée. Ce n'était pas nécessaire. Il suffisait d'ouvrir au loup les portes de la bergerie. M. Beauregard a été le premier à se faire dévorer, mais il est rare qu'un loup se contente d'une seule victime. Surtout si personne ne vient le déranger.
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La nouvelle majorité au conseil d'administration voudrait que Droits et Démocratie cesse ses activités au Moyen-Orient et coupe tout contact avec les organismes qui critiquent Israël. Elle souhaite également mettre un terme à la collaboration avec le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui a souvent dénoncé les politiques israéliennes. Comme chacun le sait, le comportement de l'État hébreu dans les territoires palestiniens est un modèle de respect des droits de la personne.
Tout cela n'est évidemment pas pour déplaire au premier ministre. En 2006, il avait été à peu près le seul à trouver «mesurée» la riposte israélienne. En janvier 2009, le Canada avait encore fait bande à part en s'opposant à une résolution du Conseil des droits de l'ONU condamnant le pilonnage de la bande de Gaza. M. Harper a lui-même des comptes à régler avec le Conseil, qui a montré du doigt son gouvernement pour son manque de respect des droits des autochtones.
Qu'il s'agisse du cas d'Omar Kadhr, toujours enfermé à Guantánamo malgré les représentations des groupes de défense des droits et les injonctions des tribunaux canadiens, toujours portés en appel, ou encore du traitement réservé aux prisonniers afghans, livrés à des tortionnaires, l'indifférence de M. Harper pour ces questions est largement documentée.
Depuis 2006, le premier ministre a également démontré son mépris pour les institutions et les organismes qui pensent différemment de lui, en commençant par la Chambre des communes, condamnée au silence précisément pour lui éviter de rendre compte des violations de la Convention sur les prisonniers de guerre commises en Afghanistan. M. Harper est aussi de la race des loups.


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