Le 11 septembre dernier, je publiai un manifeste en marge du Moulin à Paroles. Ce manifeste était destiné à prolonger la réflexion et le débat autour du Moulin à Paroles, ce qu’il suppose, prépare et présage des temps à venir. Par la même occasion, je mentionnai une Option Sourde qui était alors in-existante. J’évoquai Nelly Arcan, Raymond Dewar et Roland Major parmi certaines figures de prédilection. J'écrivis notamment dans ce texte :
«La violence même de la quête québécoise, que ce soit en littérature, en art, en politique et dans les recoins sombres de notre psyché collective, suppose un témoignage atavique de notre être collectif. Assumer une identité est un parcours du combattant. Entre les Hubert Aquin et Nelly Arcan de ce monde, des visions s’affrontent de façon multipolaire dans l’appréhension d’une réalité et de notre constitution.»
Chose certaine, je n’étais pas sans savoir que certains éléments de notre histoire collective demeuraient à être éclairés. Ils feront l’objet de ce texte que je publie a posteriori. J’insisterai particulièrement sur l’histoire Sourde Québécoise, les décès de Nelly Arcan et Pierre Falardeau, et les suites à donner à notre quête collective.
D’aucuns, Denise Bombardier au premier chef, se sont ingéniés à décrier un certain côté romantique chez les intellectuels québécois et les liens qu’ils entretenaient notamment avec la mémoire collective du manifeste du FLQ. Pour ma part, dès ce moment, je me suis juré que j’allais revenir sur le sujet, d’autant plus que mon manifeste du 11 septembre venait d’être passé sous silence par l’équipe éditoriale du Devoir.
La voie de la résistance est la seule acceptable dans un contexte où le paysage médiatique s’autorise à édicter une certaine ligne de conduite quant aux opinions permises dans le cadre des débats de l’opinion publique québécoise. Un beau jour, Dany Laferrière s’est permis l’irrévérence d’improviser une entrevue avec Denise Bombardier dans son premier livre publié, entrevue qu’il reprit avec cette dernière dans la vraie vie.
Prétendre à un certain côté romantique, c’est faire abstraction de la réalité historique, celle des Sourds Québécois au premier chef. Attendant qu’une certaine reconnaissance de la Langue des Signes Québécoise dans un contexte d’éducation s’effectue, nous nous efforçons de commémorer ce qui constitue jusqu’à ce jour des aberrations. Tout d’abord, il y a quelques années, fruit de mes connaissances en communication politique, je mentionnai l’existence d’un 11 septembre Sourd. Une marche suivit, pour commémorer les 125 ans du Congrès de Milan.
Dans le contexte d’éducation et de culture sourde, le Congrès de Milan constitue jusqu’à ce jour, la trace majeure des ravages de l’audisme. Décrire l’audisme comme symbole d’une certaine domination de la part des personnes et des décideurs entendants, le Congrès de Milan en constitue l’apothéose. En 1880, du 6 au 12 septembre, des personnalités entendantes de différents pays du monde se réunirent afin de proclamer la prétendue supériorité de la parole et de la méthode orale aux dépens des langues signées qui progressaient tant bien que mal jusqu’à là.
Il est permis de révoquer la légitimité et la symbolique de ce congrès, les participants étant presque exclusivement entendants et les quelques personnes sourdes – au nombre de quatre tout au plus - qui prirent part au vote n’étaient pas sans faire face à un courant d’opinion majoritaire et orienté par toute une série de démonstrations vantant les mérites et les bienfaits d’enseigner la parole aux enfants sourds, écartant d’emblée la langue naturelle des Sourds, la langue signée.
Une période sombre allait commencer. Plus tôt, lors des années 1760, l’Abbé de l’Épée ouvrit la première institution destinée aux enfants sourds. Préconisant la méthode manuelle, l’Abbé de l’Épée et ses disciples forgèrent un système rudimentaire de signes et d‘épellation afin d’éduquer les jeunes sourds. Les générations sourdes se succédèrent, et à la troisième, Ferdinand Berthier, sourd français, et Auguste Bébian, semblable entendant, tentèrent de convaincre la direction de l’établissement d’adopter ce qui constitue jusqu’à ce jour, la revendication du bilinguisme sourd (langue signée / langue écrite).
Aux lendemains du Congrès de Milan, la langue signée survécut grâce notamment aux efforts du Sourd français Laurent Clerc qui s’expatria aux États-Unis et aux bonnes œuvres de Thomas Hopkins Gallaudet, et leurs continuateurs. Cependant, Laurent Clerc était plutôt un apôtre de la méthode des signes méthodiques de l’Abbé de l’Épée. Ainsi, des générations de Sourds de par le monde durent résister face aux travers méthodistes et de l’oralisme tous azimuts.
Pourquoi signer quand tout s’acharne à nous vanter les prétendus mérites de la parole et du fait d’entendre, si ce n’est le fruit de l’esprit d’une domination insidieuse? Nous ne pourrons transiger indéfiniment les mérites et les accomplissements de ce qui se signe en toute langue, se transmet à travers une culture mondiale, et constitue l’épicentre d’une civilisation qui communique grâce aux mains, des expressions faciales et corporelles, de même qu’une grammaire propre.
Ce n’est sûrement pas le 11 septembre Sourd qui nous en convaincra, ce même 11 septembre Sourd qui a divisé tant de générations. Revenons maintenant au sein de notre contrée, le Québec. Environ cent ans après Milan, Raymond Dewar proclama la Langue des Signes Québécoise (LSQ) comme langue à part entière. Une année ou deux plus tard, en décembre 1981, ce dernier persista et signa devant une foule majoritairement entendante et médusée, lui qui avait d’abord parlé et qui opta au beau milieu de son discours de signer sans crier gare. Il reprit alors sa tirade, mine de rien, avec les bons services de l’interprète Paul Bourcier.
Avant de mourir de façon prématurée à l’âge de trente ans, Raymond Dewar prit part à l’aventure de la fondation du Centre de jour Roland-Major. Roland Major était une figure respectée de ses pairs sourds et vivait toujours au moment de la nomenclature du Centre de jour. Il était donc mal avisé de le contredire, du moins directement, sur les insuccès du français signé, descendant direct des signes méthodistes de l’Abbé de l’Épée. Au moment de sa mort, Raymond Dewar savait qu’il restait une tonne de boulot à abattre avant de parvenir à une certaine forme de reconnaissance de la LSQ. D’abord, il fallait qu’œuvre se perpétue au fil des générations naissantes.
Avant d’évoquer Nelly Arcan et l’actualité de sa mort retentissante, j’avais soulevé entre Hubert Aquin et elle un parallèle qui ne m’avait pas échappé. Afin de confondre les voix parallèles, je n’étais sûrement pas pour me priver de mentionner celui qui se proclamait comme terroriste et symbole inversé d’une certaine Conquête. Or, Hubert Aquin fréquenta dans sa jeunesse les messes à l’Institut des sourdes-muettes de Montréal selon Françoise Maccabée-Iqbal dans Desafinado.
À mesure que la clameur du Moulin à Paroles battait son plein, je savourais les lendemains de ma fête la fin de semaine précédant la lecture des textes dans le cadre de la cérémonie prévue sur le site du Moulin à Paroles. Apprenant presque sur le coup l’existence de cet événement qui allait façonner l’histoire à venir, je n’étais pas savoir que j’allais encore faire face à une Option Sourde déchirante.
Sachant que j’allais revenir à Québec le samedi 26 septembre pour prendre part à une marche dans le cadre de la journée mondiale des Sourds, je me disais que je devais me consacrer à la méditation du Moulin à Paroles. Je me consolai en me disant que je n’aurais probablement pas eu d’interprétation signée des textes lus sans interruption pendant 24 heures. Ici encore, je ne me doutais pas que j’allais signer d’une certaine manière une mise à mort, la prophétiser entre les lignes de ma quête collective que je nomme Option Sourde depuis un certain jour d’été 2005. Ainsi, Nelly Arcan trouva sa place aux côtés d’Hubert Aquin, et Pierre Falardeau la suivit coup sur coup.
Incarnant et défiant un certain Prochain épisode, Nelly Arcan persista dans la signature de son destin d’écrivaine. Traitant du suicide dans une bonne partie de ses œuvres littéraires, l’écrivaine trouva son dernier repos après certaines tentatives de suicide ratées. Accomplissant l’acte suprême, elle fut à même d’accomplir sa propre volonté. Avant même de publier Paradis, clef en main dans une maison d’édition québécoise, Nelly Arcan prit la scène de la postérité.
Comme il n’est nullement question de romantisme, et que nous nous en tenons aux faits historiques, la mort de Pierre Falardeau induit la nécessité, au dedans et en dehors de tout radicalisme avéré et assumé, de poursuivre le combat en faveur d’une certaine liberté collective à accomplir. Pour ma part, la proposition que suppose la lutte sourde québécoise inculque une forme d’exigence historique dépassant toutes les frontières de notre psyché collective. J’ose espérer par cet appel, contribuer à l’éveil de certaines consciences citoyennes soucieuses de leur devoir et de la primauté donnée à certaines luttes collectives.
En marge du Moulin à Paroles a posteriori
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