Le mariage de l'audace

Churchill Falls - Hydro-Québec / Énergie NB



(Montréal) Hydro-Québec vient de réaliser un grand coup en mettant la main sur Énergie NB, la société d'État qui produit et distribue l'électricité au Nouveau-Brunswick.Un coup tellement fumant que c'est à se demander si cette transaction de 4,75 milliards de dollars se concrétisera comme prévu, le 1er avril prochain.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'affaire n'est pas dans le sac, vu la tempête politique qui, à n'en point douter, se lèvera dans les Maritimes.
Qu'Hydro-Québec soit intéressée à avaler cette société d'État voisine - un précédent au pays - on le conçoit parfaitement.La société d'État gagne un nouvel accès au riche marché du nord-est des États-Unis.Mais que le gouvernement libéral de Shawn Graham ait le courage politique de vendre le producteur d'électricité de sa province, au Québec de surcroît ? C'est le mariage de l'audace.
Cette transaction sera d'autant plus difficile à vendre qu'Hydro-Québec n'assumera pas la dette d'Énergie NB, de quelque 4,7 milliards de dollars, contrairement aux rumeurs qui circulent depuis quelques jours.Ainsi donc, le Nouveau-Brunswick n'aura pas grand-chose de plus dans ses poches après avoir réglé les dettes de sa société d'État.
Mais la province n'aura plus à se soucier d'Énergie NB.Cette société d'État était une grande source de tracas ces dernières années, notamment lorsque le Venezuela lui a unilatéralement coupé son approvisionnement en Orimulsion, une émulsion de bitume grâce à laquelle Énergie NB comptait alimenter ses centrales thermiques à peu de frais.
Surtout, le Nouveau-Brunswick aura des tarifs d'électricité gelés, sinon amoindris pour attirer des industriels au Nouveau-Brunswick ou les convaincre d'y rester.
En vertu de l'entente de principe dévoilée ce matin à Fredericton, Hydro-Québec met la main sur l'ensemble du réseau de transport et de distribution d'électricité du Nouveau-Brunswick et sur l'essentiel de ses centrales de production.
Car Hydro-Québec fait la fine bouche.La société d'État québécoise n'achète aucune des centrales thermiques alimentées au charbon et au mazout.Celles-ci l'encombreront lorsque la réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre deviendra plus astreignante, une éventualité à laquelle Hydro-Québec se prépare.
Par ailleurs, Hydro-Québec ne prendra pas possession de la centrale nucléaire Point Lepreau - qui fournit près du quart de l'électricité de la province - avant qu'elle ne soit remise à neuf.Ces travaux de rénovation, les premiers à avoir été entrepris sur un réacteur Candu-6, souffrent de délais et de dépassements de coûts.
Hydro-Québec le sait pertinemment.Elle s'intéresse à ces travaux depuis leur commencement, en mars 2008, puisque sa centrale nucléaire Gentilly-2 est équipée du même type de réacteur.
Hydro-Québec attendra donc que les travaux soient complétés et qu'Énergie atomique du Canada ait épongé les dépassements de coûts des travaux.En revanche, la société d'État québécoise fait main basse sur la réserve financière d'environ 400 millions de dollars qui a été constituée par Énergie NB pour le déclassement de la centrale et l'enlèvement de son combustible.Ainsi, le risque technique et financier assumé par Hydro-Québec est minime.
Qu'obtient le Nouveau-Brunswick en retour ? Des garanties quant à ses tarifs d'électricité.C'est d'ailleurs pourquoi Hydro-Québec n'était pas prête à offrir plus pour les actifs d'Énergie NB.
Comme au Québec, le Nouveau-Brunswick établit des blocs d'électricité patrimoniaux dont les modalités de fixation des tarifs sont convenues à l'avance.
Pour les clients résidentiels, qui disposent d'un bloc d'électricité qui couvre les besoins actuels de consommation (9,5 térawatts heure), le tarif d'électricité sera maintenu à 11 cents le kilowatt heure pendant cinq ans.Cela peut sembler élevé comparativement au Québec (7 cents), mais après des années de hausses, ce gel - qui deviendra une baisse, compte tenu de l'inflation - offre une certaine prévisibilité.
Les clients industriels, à qui la province réserve 4,5 térawatts heure, verront leur facture d'électricité diminuer.Leur tarif chutera de 7 à 5 cents le kilowatt heure, un niveau comparable au Québec, de sorte que le Nouveau-Brunswick ne souffrira plus de la comparaison.
Après cette période de cinq ans, l'équivalent de la Régie de l'énergie réglementera les coûts de transport et de distribution, alors que les coûts de production seront indexés eux en fonction de l'inflation (mesurée par l'indice qui inclut la composante plus instable de l'énergie).
Est-ce que ce sera suffisant pour convaincre les Néo-Brunswickois de céder leur producteur d'électricité ?
D'un côté, la province aura un fournisseur d'électricité fiable, des tarifs relativement prévisibles et une dette allégée de façon significative.Comme la dette d'Énergie NB, de 4,7 milliards, s'additionne à la dette de la province, projetée à 8,3 milliards de dollars pour l'exercice financier en cours, la transaction diminuera l'endettement de la province d'environ 36%.
Mais de l'autre, les Néo-Brunswickois cèdent les commandes d'un important levier de développement économique.Même si Hydro-Québec compte développer le réseau de transport d'électricité du Nouveau-Brunswick, l'attrait numéro un d'Énergie NB aux yeux de la société d'État, les décisions seront prises à Montréal.
Déjà ce matin, le quotidien Globe & Mail évoquait avec un certain alarmisme les visées expansionnistes d'Hydro-Québec dans les Maritimes, en parlant aussi de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse.
Cette transaction fait saliver Hydro-Québec.La société d'État disposera d'un nouvel accès au Maine et au riche marché du Nord-Est des États-Unis, grâce à des droits de transport supplémentaires de l'ordre de 500 mégawatts.Ce n'est pas tant qu'elle pourra exporter plus d'énergie qu'elle pourra mieux choisir le meilleur moment pour vendre son électricité, lorsque les prix sont les plus élevés.
En effet, en exportant l'électricité des centrales hydro-électriques d'Énergie NB, des centrales au fil de l'eau, Hydro-Québec pourra ménager l'eau de ses grands réservoirs.
C'est cette gestion serrée en fonction du temps qui permettra à Hydro-Québec de rentabiliser cet investissement dès sa première année.Et de contrebalancer en partie la baisse des profits d'Hydro-Québec pour les prochaines années, qui est anticipée dans le plan stratégique 2009-2013.
Hydro-Québec mise sur un rendement de l'avoir des actionnaires de l'ordre de 10%. Mais cela restera un rêve si les consultations publiques au Nouveau-Brunswick donnent voix à une contestation politique intenable pour le gouvernement de Shawn Graham.


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